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Publié le 17 Septembre 2014

Pieds-noirs - les bernés de l'Histoire, par Alain Vincenot (*)

Recension de Jean-Pierre Allali

Depuis plusieurs années, Alain Vincenot nous a habitués à des ouvrages tournant autour du thème de la Shoah. C'est ainsi qu'il nous a successivement proposé les livres émouvants que sont « Les larmes de la rue des Rosiers » (1) et « Vél d'Hiv, 16 juillet 1942. Des survivants de la rafle témoignent » (2).

C'est un tout autre sujet qu'il aborde dans son dernier titre, celui de la tragédie des Pieds-Noirs, et partant, de tous ceux, chrétiens, musulmans et juifs, chassés de leur terre ancestrale par le vent impitoyable de l'Histoire.

Dans une première partie historique divisée en quatre chapitres particulièrement bien documentés intitulés « Le temps des bâtisseurs », « Le temps des brumes », « Le temps de l'espoir trahi » et « Le temps de l'abandon », l'auteur brosse un tableau sans fards de l'histoire de l'Algérie, de la colonisation, des relations entre Arabes et Européens et de la lente et meurtrière ascension du pays vers l'indépendance avec les drames inéluctables qu'elle aura entraînés.

Le double jeu et le double langage du Général De Gaulle qui trahira la confiance des Pieds Noirs comme celles des Harkis sont mis en évidence. Alors qu'il avait lancé son fameux « Je vous ai compris » à Alger, le 4 juin 1958, devant la foule massée sur le Forum et, deux jours plus tard, à Oran,  concluait son intervention par : « Vive l'Algérie française ! », il n'hésitera pas à confier le fond de sa pensée à Alain Peyrefitte en mars 1959 : « Vous croyez que le corps français peut absorber dix millions de Musulmans, qui demain seront vingt millions et après-demain quarante... Mon village ne s'appellerait plus Colombey-les-Deux-Églises, mais Colombey-les-Deux-Mosquées » et, en octobre de la même année, au même interlocuteur : « Avez-vous songé que les Arabes se multiplieront par cinq, puis par dix, pendant que la population française restera presque stationnaire ? Il y aurait deux cents, puis quatre cents députés arabes à Paris ? Vous voyez un Président arabe à l'Élysée ? »

Alain Vincenot rappelle également qu'au cours des années, des hommes de gauche aussi soutiendront le principe d'une Algérie Française. Pierre Mendes-France, Président du Conseil, le 12 novembre 1954, qui martèle : « Les départements d'Algérie constituent une partie de la République française » et François Mitterrand, alors Ministre de l'Intérieur, le même jour, comme en écho : « L'Algérie, c'est la France ».

Dans cet ouvrage très documenté, l'auteur parcourt l'histoire de l'Algérie française, depuis le débarquement de Sidi-Ferruch le 14 juin 1830 jusqu'aux accords d' Évian, de mars 1962, véritables chiffons de papier qui ne seront pas respectés par la partie algérienne et entraîneront l'exode de centaines de milliers de personnes : Pieds-Noirs, Harkis, Juifs.

La seconde partie est consacrée à des témoignages, treize en tout, dont ceux de trois Juifs : Alain Roffé, Andrée Tibika-Bachoud et Didier Nebot et d'un Bourguignon, Jean-Michel Deshaires dont une partie de la famille était d'origine juive (sa grand-mère , Liuba Feyguine, d'Odessa, sera empêchée d'exercer la médecine sous Vichy et sa tante, Odette, fille de Liuba, arrêtée en Tunisie, sera déportée à Ravensbrück).

Un émouvant cahier iconographique constitué de photographies familiales agrémente l'ouvrage.

Dans sa préface, Boualem Sansal qui fustige au passage l'attitude du Président algérien : « L'Algérie est indépendante, et se lamenter est la négation même de l'indépendance, cela veut dire que la lutte pour l'indépendance n'a servi à rien. C'est, quelque part, regretter d'avoir réclamé son indépendance et combattu la France. La demande de repentance, lancée au moment même où le FLN et son Président, M. Bouteflika, faisaient miroiter la signature d'un traité d'amitié entre les deux pays, est indécente, elle est une insulte à tous ceux, Algériens, Français et autres, qui ont œuvré à l'indépendance de l'Algérie ». Le préfacier conclue néanmoins sur une note d'espoir : « Nous voulons nous retrouver et parler de ce que nous aurions pu faire, de ce que nous aurions dû faire pour éviter la guerre et ses malheurs. Et pour voir ce que nous pourrions faire pour une réconciliation totale et définitive. La guerre est finie, il faut maintenant inventer la paix et la vivre ensemble ».

Un livre à découvrir absolument.

Notes :

(*) Éditions de l'Archipel. Préface de Boualem Sansal. Septembre 2014. 288 pages. 19,95 euros.

(1)       Éditions des Syrtes, 2010. Voir notre recension dans la Newsletter du 24-08-2010.

(2)       Éditions de l'Archipel, 2012. Voir notre recension dans la Newsletter du 11-07-2012.

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