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Published on 4 March 2014

Allocution de Manuel Valls, ministre de l’Intérieur, au Diner du CRIF Toulouse Midi-Pyrénées

Jeudi 27 février 2014

 

Après Marseille, en 2012, Lyon, en 2013, c’est pour moi une joie d’être l’invité, ce soir, du dîner du CRIF Toulouse Midi-Pyrénées, et de vous retrouver dans cette si belle ville, colorée, conviviale, à la fois douce et frénétique, fraternelle. La communauté juive de France, ce n’est bien sûr pas que Paris et la région parisienne. Elle est présente et active sur l’ensemble du territoire : du Nord au Sud, de Lille à Nice, et de l’Est à l’Ouest, de Strasbourg à Bordeaux. 

La communauté juive de France épouse les contrastes qui font la France. 

Etre un Juif de France, ou plutôt un Français juif, c’est s’inscrire dans une tradition, un héritage. C’est s’inscrire également dans une longue histoire – millénaire !– qui a donné naissance à ce judaïsme français, alliance remarquable entre les préceptes de la Torah et les principes de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

La France a une part juive incontestable. Sans les Français juifs, ce pays que nous aimons, la France, ne serait plus tout à fait la France. 

Bien sûr, je connais avec précision les interrogations, les inquiétudes qui, souvent – trop souvent … –, traversent la communauté juive : inquiétudes quant à sa sécurité, à sa tranquillité, quant à l’avenir, notamment des jeunes générations qui regardent, parfois, au-delà de nos frontières – et souvent vers Israël – en se disant que leur avenir n’est peut-être plus ici.

 

Je connais les interrogations, les inquiétudes. Et je le dis avec plus de gravité encore, ici, dans cette ville qui a connu, il y a deux ans, l’ignoble, l’infâme. Ces cicatrices rouvertes furent pour notre Nation un cataclysme. Jamais elle n’oubliera ce terrible mois de mars 2012 qui a vu l’assassinat de trois militaires français et de quatre Français juifs, dont trois enfants, tués parce que juifs.

 

Ce soir, les noms d’Imad IBN-ZIATEN, d’Abel CHENNOUF, de Mohamed LEGOUAD, de Myriam MONSONEGO, de Gabriel, Aryeh et Jonathan SANDLER sont dans nos esprits. Nous pensons à eux. Nous pensons à leurs familles. Et je voudrais dire à celles et ceux qui sont avec nous, ce soir, mon émotion, comme à chaque fois que nous nous retrouvons, mais également mon admiration devant leur courage, et leur action.

 

Je sais que le judaïsme bat au rythme de ce refrain, celui de la Haggadah de Pessah : « tu diras à ton fils ». Le judaïsme, c’est la transmission. Et rien n’effacera les souffrances d’un peuple qui viennent s’ajouter à tant de souffrances passées. Mais ces souffrances, si lourdes, ce sont nos souffrances. Elles nous intiment l’ordre de ne pas baisser la garde, car quand on s’en prend à un Juif de France pour ce qu’il est, pour ce en quoi il croit, on s’en prend à la République, à la France, à nos valeurs.

 

La République, c’est la fraternité. C’est la tolérance et le respect. C’est aussi l’intransigeance contre tout ce qui insulte, qui blesse.

 

Dans la République, les propos, les actes antisémites, anti-musulmans, anti-chrétiens, homophobes, racistes n’ont pas leur place. Ils doivent être combattus avec détermination et persévérance. C’est un combat de tous les instants. Et moi, comme vous tous, je ne crois pas à ces vaines hiérarchies entre les petites paroles que l’on excuserait et les actes qui, eux, seraient plus graves. Non, ce combat est un tout. C’est le combat de toute la société qui a un devoir – un devoir absolu – de vigilance vis-à-vis d’elle-même.

 

Je connais les interrogations, les inquiétudes des Juifs de France, mais je sais aussi combien l’identité française et l’identité juive sont indissociables. Je sais combien, pour vous toutes et vous tous, être juif et être français vont de pair.

 

Ici, dans cette terre de France, le judaïsme a trouvé des racines profondes. Juif et Français : l’un ne va pas sans l’autre. Et le CRIF, né de la Résistance, quand justement il fallait relever, retrouver la France, en est un des symboles forts.

 

Je parlais d’une histoire millénaire. Une histoire que, pourtant, on évoque peu. Dans la province du Languedoc, les juifs étaient installés dès le hautmoyen-âge. Ces Juifs du Midi avaient trouvé, ici, leur place. Ils ont bénéficié de l’hospitalité et de la tolérance qui régnaient alors dans le comté de Toulouse. Après les terribles 13e et 14e siècles, leur présence s’est faite plus discrète. Puis, elle a pu ressurgir pleinement quand la Révolution a fait des Juifs de France des citoyens à part entière. Ils sont alors quelques centaines, ici, à Toulouse, souvent très modestes. Ils sont marchands ou bien commerçants.

 

1791, c’est l’entrée pleine et entière du Judaïsme dans la Nation française.

 

Et depuis, les Français juifs ont pris toute leur part dans la construction de ce pays. Ils ont été de toutes les avancées, de toutes les difficultés, de tous les succès et de toutes les épreuves. Combien d’entre eux, descendants des Juifs d’Alsace, de Lorraine, ou Juifs d’Algérie, si fiers de ce décret Crémieux qui avait fait de leurs pères et mères des Français, sont morts dans les tranchées de la Grande Guerre ?

 

Et puis d’autres, nombreux, sont arrivés d’Europe de l’Est, de Russie, fuyant les pogroms ; sont arrivés de l’Orient, de Salonique, de Turquie. La France a été le cadre de l’émancipation des Juifs. Elle a été une terre où, après l’exil, beaucoup ont pu s’enraciner et devenir Français. Pleinement Français. Il y a un judaïsme de France, nourri de nombreuses influences et baigné des valeurs de notre République.

 

Toulouse est la quatrième ville de France. Elle est à l’image de la France. Au fil des époques, des cultures se sont rencontrées, côtoyées, enrichies. Toulouse est un carrefour et une destination. Au siècle dernier, elle a vu se succéder de nouveaux arrivants venus notamment d’Espagne, d’Amérique du Sud, d’Italie, du Maghreb ou encore de l’Afrique subsaharienne.

 

Toulouse est un creuset. C’est-à-dire que chacun apporte mais que tous se retrouvent dans un idéal commun : celui « d’être de Toulouse et de sa région ». Chacun apporte, mais chacun sait, qu’au-delà des différences, il y a quelque chose de plus grand qui nous rassemble.

 

Et en évoquant cette histoire, cette belle histoire, me viennent à l'esprit les mots forts du Président de la République à la Grande mosquée de Paris, il y a quelques jours, marquant la reconnaissance vis à vis de l'engagement des musulmans de France dans les conflits mondiaux.

 

Toulouse, quatrième ville de France abrite la quatrième communauté juive du pays. Elle a été un des premiers centres d’installation des rapatriés d’Algérie et un des premiers centres, dans les années 60, de la renaissance de ce judaïsme qui avait un nouveau visage.

 

Toulouse a un passé majestueux mais elle a également – n’en doutons pas – un avenir radieux. Car Toulouse, c’est une ville de générosité, d’inventivité, d’intelligence, de recherche, de création. C’est une ville ouverte sur ses voisins et proche de cette Espagne qui m’est si chère. Cette Espagne qui, comme le Portugal, adresse, en ce moment, à travers les siècles, ce si beau message de réunification au monde séfarade.

 

Toulouse, au cours des dernières semaines a été salie par des inscriptions qui ont visé les symboles de ce qui fait notre vie en collectivité. Je sais combien les Toulousains, dans leur ensemble, ont été blessés par ces mots et ces actes. Et face à cela, il appartient à tous les républicains, au-delà des appartenances partisanes, de se rassembler.

 

Les invectives qui ont été entendues, samedi dernier, en marge du rassemblement citoyen pour la défense des valeurs de la République sont inadmissibles. Tous ceux qui ont refusé la participation des élus de droite, et tous ceux qui vous ont prise à partie, chère Nicole YARDÉNI, nuisent gravement à la cause qu’ils croient défendre. C’est, rassemblés, que nous devons nous battre contre les extrémismes, les fanatismes, les radicalismes.

 

Aucune division n’est possible quand il s’agit de défendre ce qui constitue les fondements de notre société.

 

Si j’ai appelé à un sursaut des républicains face à la tournée de la haine de Dieudonné M’Bala M’Bala, c’est parce que je sentais, comme le Président de la République, que quelque chose de fondamental était en train de se jouer ; que l’on s’en prenait à des principes essentiels de notre République.

 

Il fallait donc porter un coup d’arrêt à cette mécanique ravivant de vieux relents nauséabonds : la haine des juifs, des francs-maçons, des homosexuels, … Cette mécanique qui s’en est pris à des journalistes – Frédéric HAZIZA et Patrick COHEN – du fait de leur patronyme.

 

Il fallait redire avec la plus grande force que l’antisémitisme, le racisme ne sont pas des opinions mais des délits. On ne peut pas remettre en cause la Shoah. Ni son existence, ni sa singularité !

 

Il fallait, enfin, briser cette lame de fond qui fait se joindre des antisémitismes venus d’horizons divers : l’antisémitisme traditionnel et un nouvel antisémitisme – on connaît le stratagème !– qui se cache derrière un antisionisme de façade. Cette jonction, qui se fait notamment sur Internet, ranime un antisémitisme virulent, celui dont Alain SORAL n’est qu’un petit idéologue rabougri.

 

Je suis fier d’avoir mené ce combat. Un combat primordial. Aujourd’hui, plus personne ne peut dire qu’il ne sait pas quel est le vrai visage de Dieudonné M’Bala M’Bala. Mais ce combat contre l’antisémitisme, contre le racisme n’est bien évidemment pas terminé.

 

Même si en 2013, en tendance, les actes antisémites sont en baisse par rapport à 2012 – année cependant d’une rare violence – le climat a changé. On n’hésite plus à assumer, à revendiquer, à clamer la haine du juif comme ce fut le cas, dans les rues de Paris, il y a quelques semaines.

 

Alors, il faut dénoncer, mais il faut aussi agir sans relâche, car il n’y aurait rien de pire que l’incantation. Il faut s’attaquer aux racines mêmes du mal. Bien sûr, il y a la crise économique et sociale qui aggrave tout. Il y a la précarité, l’insécurité contre lesquelles nous devons lutter sans rien occulter des problèmes, car c’est souvent le meilleur terreau pour les extrémismes. Mais il y a des mécanismes plus insidieux qui sont à l’œuvre.

 

On ne naît pas antisémite. On apprend à le devenir. L’antisémitisme, le racisme, sont sciemment diffusés. On les fait entrer dans les esprits. Et Internet et les réseaux sociaux décuplent ce phénomène. En voyant sous nos yeux ce mal se répandre, on comprend qu’il y a encore tant à faire pour contrer ce travail de sape qui vise nos valeurs. C’est le rôle des pouvoirs publics, de l’école, des éducateurs, mais aussi des élus, des associations, des responsables religieux, des parents. Ne relâchons pas nos efforts !

 

Toulouse, comme toutes les grandes villes de France, est emblématique de ce combat déterminant pour l’avenir de notre pays.

 

Ce combat, c’est, en premier lieu, celui de la laïcité.

 

Avant de vous rejoindre, j’étais en préfecture, avec les responsables toulousains des différents cultes. Nous avons abordé, de manière concrète, les moyens permettant de faire vivre la laïcité qui est notre patrimoine commun. La laïcité apaise, protège. Nous devons la défendre et ne jamais plus la laisser aux mains de ceux qui la détournent pour en faire un discours de rejet de l’autre.

 

Le combat que nous devons mener, ici, à Toulouse, comme partout en France, c’est aussi celui de la lutte contre la radicalisation.

 

C’est un enjeu considérable pour notre pays et pour toute l’Europe. J’en veux pour preuve les filières syriennes qui sont aujourd’hui la menace la plus préoccupante à laquelle nous devons faire face. 700 Français ou résidents français sont impliqués dans ces filières qui ont pour but d’aller mener, là-bas, le djihad, mais aussi d’encourager le passage à l’acte au retour sur notre sol. Il y a quelques jours, deux membres de la cellule qui avait agi, en septembre 2012, contre l’épicerie casher de Sarcelles ont été interpellés après s’être rendus en Syrie. Ils avaient de toute évidence un projet d’action.

 

Dans quelques jours, je ferai des propositions au Président de la République pour que nous soyons plus efficaces encore. Elles viendront s’ajouter à la récente réforme des services de renseignement et au renforcement de leurs moyens. Nous devons être capables de mieux détecter les individus susceptibles de basculer ; de mieux empêcher les déplacements de ceux, parfois très jeunes, et même mineurs, qui veulent aller se battre, et surtout de mieux les encadrer à leur retour. Pour cela, nous avons aussi besoin des parents, des proches, qui ont un rôle de signalement à jouer.

 

Nous devons, aussi, mener une action de fond pour s’assurer que les valeurs de la République sont transmises et partagées. Pour cela, il faut aussi trouver des réponses à la crise identitaire qui est patente dans certains de nos quartiers, chez tous ces jeunes qui se cherchent, non seulement un avenir, mais aussi parfois un passé, une dignité.

 

En somme nous devons réanimer tous les mécanismes qui permettent de faire Nation, de se sentir héritier d’un même héritage et partie prenante d’un même projet.

 

Voilà l’exigence qui doit être la nôtre. Et je sais que ce message – qui à travers vous s’adresse à la société dans son ensemble – prend, ici, une dimension toute particulière.

 

Car Toulouse, ville où les blessures sont encore à fleur de peau, porte en elle – c’est l’héritage de son passé – tant d’aspirations à se retrouver, à se rassembler.

 

Les regards de compassion qui, hier, se sont tournés vers Toulouse, demain, je le sais, seront, sans rien oublier, des regards pleins d’admiration. Admiration que cette ville a toujours suscitée, et dans laquelle la communauté juive, dans toute sa diversité, continuera, je le sais, de briller.

 

Vive Toulouse ! Vive la République et vive la France !