Tribune
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Published on 11 April 2014

Sortir d’Egypte et entrer à l’Académie française ! Ce que nous devons à Alain Finkielkraut

Tribune de Jacques Tarnéro

Il faut l’avouer nous sommes tous, assez, non, très fiers de l’élection à l’Académie française d’Alain Finkielkraut. D’abord parce qu’il le mérite ensuite parce que c’est de la part de cette vénérable institution un geste qui l’honore parce qu’il transgresse l’image vieillotte qu’elle donne d’elle-même. Mais au-delà de ce cliché si nous sommes heureux pour lui c’est bien parce que nous sommes en dette à son égard. Ce formidable passeur d’idées, ce fabuleux pédagogue, qui sait dire simplement des choses complexes, a été un fabuleux professeur. Notre plaisir dit notre gratitude.

Comment imagine-t-on les académiciens : un peu comme ces savants tirés d’un album de Tintin, portant des grandes barbes blanches, un peu voutés sur leurs cannes et un peu gagas dans leur immortalité. Et voilà qu’un Finkielkraut va venir s’asseoir au milieu d’eux. Le descendant d’une lignée de juifs polonais, fils de déporté, amoureux de la langue du pays qui a accueilli sa famille va siéger dans le Temple de la langue française ! Quel hommage et quelle reconnaissance ! Dans quelle nouvelle galère est-il allé se fourrer ? Où va-t-il aller faire couper son habit vert ? Y a-t-il seulement pensé ? Le tailleur de Joseph Kessel  est-il encore de ce monde ? Et l’épée ? Où trouve-t-on des épées conformes aux goûts de celui qui aime tant  ferrailler contre ses contradicteurs.

Voilà près de trente ans qu’Alain Finkielkraut dit sa vérité avec le talent que l’on sait et voilà près de trente ans qu’il déchaine les passions méchantes et les calomnies fielleuses.

On peut revoir sur internet un de ces moments de haine dont il fut l’objet. Et qu’à prononcer son nom est difficile dirait Aragon. Un comédien, Albert Dupontel commente dans une émission de Thierry Ardisson une intervention de Finkielkraut considérant que les bombes humaines (contre Israël) ne sont pas suicidaires, mais illuminées, jouissives. Dupontel cherche le nom : « cet intellectuel, très Closerie des Lilas, Fink…. Qui sonne comme un cri ? » « Finkielkraut » souffle Ardisson qui a deviné. « J’ai failli venir de Bretagne pour venir lui mettre un pif sur la figure ! » précise l’indigné Dupontel, sous les applaudissements grégaires du public. Tout est dit de ce conformisme aussi bien pensant que haineux, le même qui a sans doute inspiré le vote contre lui dans cette élection.

On se souvient de couvertures de magazines « progressistes » affichant les visages des « nouveaux réacs », des porteurs de la « pensée réac » et autres infamies. On se souvient des calomnies journalistiques contre sa pensée dérangeante des conformismes idéologiques post soixante-huitards.

Depuis trente ans le samedi matin j’écoute Répliques sur France Culture. Depuis trente ans j’admire cette mécanique intellectuelle, j’apprends ce qu’il donne à penser, je partage souvent, je m’exaspère souvent, il m’exaspère parfois. Au fil des publications, des interventions ce désormais soixantenaire, a pesé lourd dans tous les débats avec une exigence : celle de son engagement, de sa sincérité, de sa fidélité. On peut ne pas être d’accord, mais cette pensée bouillonnante, jamais apaisée ne se laisse aucun répit, ne laisse aucun répit à autrui. Et c’est aussi cette force qui nourrit la détestation chez certains. La pensée des crétins trouve des alibis à sa jalousie.

Il y aurait long à dire sur cet écorché trop intellectuel pour paraître souvent ne pas s’intéresser aux êtres, mais seulement à leurs idées. Quelle leçon de choses que cette élection. Elle rassure sur la France. Elle dit une grandeur de la France qui sait reconnaître au milieu de ses fils, ce fils né d’ailleurs qui sait si bien lui faire honneur et dire ce qu’il doit à ce pays. Il fait figure de modèle pour cette excellence française. Alors il faut le saluer et saluer cette honorable institution gardienne de notre patrimoine commun. « Mazel tov, Alain ! » Ce qui veut dire en français « Bonne chance, bravo, félicitations ! » Nous ne demanderons pas à l’Académie française d’introduire cette expression dans le dictionnaire de la langue française.