Auriez-vous défendu Salah Abdeslam?

 

"Jacques Vergès n'a pas défendu Barbie, il s'est servi de son procès pour mener ses propres combats".

Par Alain Jakubowicz, Avocat, publié dans le Blog du Huffington Post le 7 mai 2016 (Maître Jakubowicz s'exprime ici en tant qu'avocat)

Il y a 29 ans, jour pour jour, débutait à Lyon le procès de Klaus Barbie.
 
La question est posée chaque fois qu'une affaire criminelle défraie la chronique et bouleverse l'opinion publique. Quelques principes méritent en la matière d'être rappelés.
 
Le premier et le plus important est que dans un Etat de droit, tout homme, quel que soit son crime, peut et doit être défendu. Plus son crime est horrible, meilleure doit être sa défense. C'est l'honneur d'une démocratie d'offrir aux pires criminels la défense qu'ils n'ont pas permis à leurs victimes. C'est très difficile à comprendre pour les proches des victimes, mais c'est à leurs avocats de le leur expliquer.
 
La deuxième chose qu'il faut savoir, c'est qu'en acceptant une telle défense, l'avocat prend un risque considérable, non seulement professionnel mais également personnel. Quand on sait la somme d'insultes et de menaces qu'un avocat peut recevoir quand il défend une star du football mal aimé dans une affaire de "cornecul", on imagine ce que peut vivre l'avocat d'un terroriste qui a participé à des opérations qui ont couté la vie à 130 personnes. Sven Mary, l'avocat Belge de Salah Abdeslam a été physiquement agressé et ses enfants ont dû être protégés... Avant lui, et dans des contextes différents, Robert Badinter a été l'objet des pires insultes quand il a défendu Patrick Henry et Henri Leclerc a été frappé pour avoir été l'avocat de Richard Roman.
 
Mais alors, qu'est-ce qui pousse un avocat à accepter une telle défense ? Les raisons peuvent être diverses et ne sont pas nécessairement les mêmes dans les affaires de droit commun et dans celles de crimes contre l'humanité et de terrorisme. La vraie question est d'ailleurs de savoir pourquoi un avocat est sollicité pour telle ou telle défense, car, rappelons le c'est (normalement !) le client qui sollicite l'avocat et non l'inverse...
 
En matière de droit commun, le choix est le plus souvent guidé par la notoriété et la compétence, réelle ou supposée de l'avocat. Celui-ci accepte en fonction de considérations qui lui sont propres. C'est la grandeur de notre profession (la dernière peut-être) que de pouvoir dire non.
 
Les choses sont différentes dans les dossiers à caractère "politique". Je vais une nouvelle fois m'attirer les foudres de nombres de mes confrères, mais je persiste à penser que si c'est peut-être pour sa notoriété, ce n'est pas pour sa compétence (en tous cas ses succès judiciaires) que Klaus Barbie a choisi Jacques Vergès pour avocat. L'a-t-il d'ailleurs lui-même choisi ? Jacques Vergès n'a pas défendu Barbie, il s'est servi de son procès pour mener ses propres combats. Il n'est pas inutile de rappeler qu'à l'instar de ce qu'il avait fait avec le terroriste Ibrahim Abdallah quelques mois plus tôt, il lui a conseillé de ne pas participer à son propre procès. Il voulait faire du procès Barbie celui de Vergès et du procès du nazisme celui de la France...
 
La rencontre entre Paul Touvier et Jacques Tremolet de Villers est d'une autre nature. C'était une vraie rencontre, personnelle et idéologique. Jacques Trémolet de Villers avait sympathie et empathie pour son client. Sa défense fut une défense politique, consistant à réhabiliter le régime de Vichy. Peu d'avocats, heureusement, en sont capables. Mais en la circonstance les choses étaient claires.
 
C'est un peu ce qui s'est produit, mais de façon plus subtile, dans le troisième procès de crimes contre l'humanité qui a vu Maurice Papon solliciter le concours de Jean-Marc Varaut. Il y avait entre eux une complicité intellectuelle et une lecture identique de l'histoire de la collaboration. Mais j'ai toujours pensé que l'épreuve a été plus douloureuse pour Jean-Marc Varaut qu'il le laissait voir et je ne suis pas convaincu qu'il était d'accord avec toutes les lignes de défense que son client lui a imposées. C'est la limite de l'exercice dans ce type de dossier... Lire l'intégralité.