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Published on 11 July 2016

#Opinion - Un avertissement à l'humanité, par Leah Pisar

Elie Wiesel et Samuel Pisar, liés par une profonde amitié et leur tragédie commune, nous ont légué un appel à la vigilance.

Leur disparition signale le crépuscule d'une ère. Et elle m'emplit d'une profonde tristesse mêlée d'inquiétude

Par Leah Pisar, Docteur en sciences politiques, publié dans les Blogs du Huffington Post le 11 juillet 2016
 
Elie Wiesel nous a quittés le 2 août, juste un an après le départ de son ami et compagnon de déportation, Samuel Pisar -mon père. Ils figuraient parmi les plus jeunes et les plus intrépides à avoir échappé aux camps de la mort, et se sont tous deux donné comme mission de mettre en garde les générations futures contre les dangers qui guettent encore.
 
Wiesel et moi avons développé une jolie amitié au fil des années. Lors d'une de nos premières rencontres, au début des années 1980, quand j'avais une dizaine d'années, il m'a demandé ce que je lisais. "Guy de Maupassant" ai-je répondu, plutôt fière de lire des choses aussi sérieuses à un si jeune âge. Son visage s'est momentanément assombri. Puis, comme s'il chassait une pensée désagréable, il a souri et a dit de sa voix douce: "Essaie donc Flaubert. Il te plaira davantage." Je n'ai pas prêté grande attention à ce conseil un peu rébarbatif de grande personne. Mais quelques semaines plus tard, je suis tombée chez Maupassant sur un passage aux connotations clairement antisémites. Et là, j'ai compris. Wiesel ne mettait pas en cause son talent littéraire; il avertissait une enfant que d'étranges surprises peuvent surgir des endroits les plus inattendus. Aujourd'hui, je réalise que c'était un appel à la vigilance.
 
Près de vingt ans plus tard, en pleine guerre du Kosovo, le Président Clinton lui a demandé de se rendre dans des camps de réfugiés en Albanie et en Macédoine. Je venais d'intégrer l'équipe du Conseil de Sécurité Nationale de la Maison Blanche et, à ce titre, j'ai rejoint sa petite délégation.
 
Ce fut un voyage bouleversant. Wiesel restait pendant des heures, sous une chaleur étouffante, à écouter ces hommes, ces femmes et ces enfants lui parler de leur souffrance. Ses yeux étaient emplis de tristesse mêlée à de la colère de voir cet insoutenable "nettoyage ethnique" se dérouler à peine un demi-siècle après la chute du Troisième Reich.
 
En Macédoine, j'ai rencontré une ravissante petite fille, Mirena, aux grands yeux brillants. Souriante et rieuse, elle m'a pris la main pour m'entraîner à travers le camp, ne semblant pas consciente de cet environnement lugubre. Nos adieux ont été déchirants. J'aurais tellement aimé la ramener avec moi à Washington! Ce soir-là, j'ai longuement pleuré, réalisant que Mirena avait le même âge que la petite Frieda, ma tante, quand elle a été mise dans un wagon à bestiaux, pour périr dans une chambre à gaz, avec ma grand-mère, en 1941.
 
Dix ans après ce voyage dans les Balkans, une délégation assez surprenante s'est rendue à Auschwitz, par un jour glacial de février 2011, sous les auspices de l'UNESCO. Sa mission était de promouvoir la tolérance et le dialogue parmi les trois grandes religions monothéistes. Devant les ruines des chambres à gaz et des crématoires, j'ai été saisie d'émotion quand cette assemblée de cardinaux, de grands rabbins et d'imams, mettant de côté leurs différences spirituelles et politiques, s'est mise à prier, ensemble, le même Dieu abrahamique.
 
Le témoignage le plus puissant de la journée émana d'un musulman, le Grand Mufti de Bosnie, Mustafa Ceric:
 
"Je suis venu ici pour voir de mes propres yeux le mal que les humains peuvent infliger aux humains, et pour dire que ceux qui nient les génocides d'Auschwitz ou de Srebrenica commettent eux-mêmes des génocides."
 
Aujourd'hui, alors que la violence se répand à travers le monde, visant les civils les plus vulnérables de toutes les croyances, sa déclaration résonne encore plus fort.
 
Elie Wiesel et Samuel Pisar, liés par une profonde amitié et leur tragédie commune, ont eu des parcours très différents. Elie est né en Roumanie d'une famille très pratiquante. Il l'est resté, et a consacré sa vie à l'écriture et à l'enseignement. Mon père, lui, a vu le jour en Pologne dans une famille libérale et assimilée. Après quatre ans dans les camps, sa relation avec le Tout-Puissant est devenue plutôt tumultueuse et c'est à travers sa carrière d'avocat qu'il a milité pour les droits de l'Homme.
 
Chacun avec sa propre voix s'est consacré à implorer l'humanité de ne jamais répéter les mêmes erreurs. Malgré tout ce qu'ils ont enduré, Wiesel, Pisar mais aussi Simone Veil et d'autres survivants de ces indicibles violences ont conservé une grande foi dans l'humanité.
 
Leur disparition signale le crépuscule d'une ère. Et elle m'emplit d'une profonde tristesse mêlée d'inquiétude.
 
L'inquiétude, comme l'a écrit mon père, que "nous, les rescapés de la plus grande catastrophe jamais déchaînée par l'homme contre l'homme, disparaissons maintenant les uns après les autres. Bientôt l'Histoire se mettra à en parler, au mieux, avec la voix impersonnelle des chercheurs, des intellectuels et des romanciers. Au pire, avec celle des démagogues, des provocateurs et des négationnistes. Ce processus est déjà bien amorcé."
 
Maintenant qu'ils ne sont plus là pour témoigner, c'est à nous, leurs enfants, de parler et d'être vigilants. 
 
Hélas, nous ne sommes pas au bout de nos peines... Lire l'intégralité.
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