Crif Sud-Ouest : discours d'Albert Roche à la cérémonie du Vél d'Hiv

 
Je vous remercie d’être présents en ce 17 juillet 2016, pour cette journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l’Etat français, également journée d’hommage aux Justes de France.
 
En ce lieu du Fort du Ha, nous ressentons encore l'écho invisible des victimes, emprisonnées là, par l’arbitraire et la barbarie nazie, secondée avec zèle par les fonctionnaires collaborateurs du régime de Vichy.
 
Lorsque la mémoire d’un peuple lui fait défaut, c’est un peu de son avenir qui s’obscurcit.
Rappelons maintenant les évènements tragiques dont nous commémorons le souvenir.
Les 16 et 17 juillet 1942, en pleine occupation nazie, la gestapo de Paris, organise avec la collaboration de plus de 7000 policiers et gendarmes français, l’arrestation et l’incarcération de près de 13 000 juifs dont un tiers d’enfants.
 
Ces juifs ont été parqués et provisoirement enfermés au vélodrome d’hiver de Paris.
Ils seront déportés vers Auschwitz et assassinés dans les chambres à gaz dès leur arrivée.
 
Sur 13 000 déportés, moins d’une centaine survécurent à l’horreur.
Cette opération sans précédent portait le nom rafraichissant de Wind Feder qui signifie "Vent de Printemps".
L’humanité s’est interrogée et s’interroge toujours pour comprendre comment, une culture ayant élevé la poésie à un tel degré de perfection, avait pu engendré, également des idéologues et des théoriciens de la supériorité de la race aryenne, et des crimes perpétrés au nom de l'eugénisme.
 
Oui l’Allemagne a produit Holderlin et Shiller ou encore Goethe et Rainer Maria Rilké.
 
Elle a produit aussi les pires criminels de l’histoire de l’humanité dont je ne rappellerais pas ici le sinistre souvenir.
 
Le choix du nom de Vent de Printemps pour cette opération de nettoyage ethnique n’est pas anodin. Il vient signifier la parfaite volonté d’inscrire l’élimination des juifs dans un renouveau, dans une régénérescence de l’humanité, comparable à l’arrivée du printemps, qui, dans ses promesses renaissantes, abolit et fait disparaître les miasmes de l’hiver.
 
En parquant les juifs au vélodrome d'Hiver, antichambre de la mort, l'Allemagne nazie et ses zélateurs antisémites fanatiques, disaient déjà la logique de la fin de l'Hiver pour un nouvel ordre, pour un vent frais printanier, un nouveau sacre du printemps nettoyé de ses références juives depuis le ballet de Stravinsky en 1913.
 
En ce même jour du17 juillet 42, devait aussi avoir lieu l’arrestation des juifs des Pays bas et de Belgique sur le même mode opératoire qu'à Paris. 
 
Cet élément historique calendaire des exactions nazies, s’intègre dans le cadre général de la planification de l’extermination des juifs d’Europe.
Tout était méticuleusement préparé, ordonné, relayé, exécuté. 
 
L’histoire retiendra le nom de rafle pour ces arrestations de masse et l’on parle désormais de Rafle du Vel d’Hiv comme l’exemple le plus emblématique de toutes les rafles réalisées ici ou là et même à Bordeaux sur le même modèle.
 
La curiosité m’aura poussé à rechercher l'origine du mot "rafle". 
Ce mot apparaît dans la langue française pour qualifier des arrestations massives en 1828 dans les mémoires du fameux commissaire Vidocq. 
 
Cette signification rappelait l’utilisation du mot rafle et de son verbe rafler, dès le moyen âge, dans le domaine des jeux de dés. 
 
Rafler la mise voulait dire et veut toujours dire, "gagner en un seul coup, toute la mise, de tous les participants".
Toutefois, les dictionnaires nous apprennent aussi que la rafle serait ce qui reste précisément d’une grappe privée de ses grains. Autrement dit, rafler les juifs avait donc comme signification inconsciente la volonté d’enlever les mauvais grains qu’étaient les juifs, de la grappe enfin libérée de la gangrène menaçante incarnée par les juifs.
 
Le mot rafle rappelle du même coup d’autres tentatives dans l’histoire de purifier la nation de la présence de ses juifs, comme la quête obsessionnelle de la Lipienza de Sangré mis en place par l’inquisition catholique espagnole.
 
Bien malheureusement, près de 75 ans après la Rafle du Vel d’Hiv, un nouvel antisémitisme, dissimulé sous d’autres oripeaux culturels, s’est mis en tête insidieusement de vouloir nettoyer à nouveau la France de la présence de ses  juifs et peut être même des traces de leur présence.
 
Peut-on craindre légitimement, à l’heure de la montée des nationalismes et des populismes en Europe,  à l’heure de la menace terroriste et djihadiste, à l’heure où les idéologies racistes, xénophobes et antisémites d’extrême droite se confondent avec les dérives inquiétantes des discours d'extrême gauche, peut-on craindre qu’aujourd’hui même, sommeillent parmi nous les futurs Bousquet, Darquier de Pellepoix, Leguay et autres Maurice Papon ?
 
Faire échec à ces dérives potentielles ne doit pas relever d’un simple souhait et ne doit pas valoir sa réalisation à l’intervention du ciel ou à un quelconque miracle.
 
Faire échec à ces dérives doit s'inscrire dans une action de plus grande envergure qui commence par l’éducation, par le pédagogique. 
 
Contre toutes les difficultés rencontrées par les enseignants de l’école publique pour enseigner la Shoah, et tout ce qui serait relatif au judaïsme dans notre histoire nationale, il faut opposer calmement la suprême vertu du vivre ensemble qui caractérise depuis des centaines d’années la France et sa culture, à travers son expression politique et sociologique.
 
S’attaquer aujourd’hui comme hier, aux juifs en tant que juifs, c’est aussi renier la part d’étrangeté, la part de rêve et d‘insolite qui caractérise et anime tout être humain en tant qu’il est humain.
Qui mieux qu’Elie Wiesel a représenté cet engagement inflexible pour la mémoire et cette exigence permanente pour le dialogue et pour le pardon, car pour la pensée juive dont il était un éminent représentant, le pardon est impératif mais ne condamne pas à l’oubli.
 
Cet homme, déporté à Auschwitz, puis à Buchenwald, avait 17 ans à sa libération. 
Sa vie pourrait être résumée par le titre de son premier livre « La nuit ». 
Ce rescapé de la Shoah a passé toute sa vie, de pays en pays, entre apatridie et cosmopolitisme, se réclamant de la culture polonaise et allemande, de la culture française et américaine, du judaïsme traditionnel et des lumières.
 
Son discours sur la Shoah était un discours d’ouverture sur le monde. 
Aucun anathème dans ses livres, aucune vengeance personnelle ou collective, aucune rancœur vis à vis de quiconque, et même peut-être des nazis eux même ; 
peut-être seulement un doigt accusateur tendu vers le ciel : l’incompréhension fondamentale du silence de dieu dans l’histoire tragique des hommes.
 
Elie Wiesel est mort le 2 juillet 2016, laissant derrière lui, l’obligation pour les générations à venir, de transmettre l’histoire de la haine antisémite et de toutes les victimes innocentes de la barbarie nazie. 
Ne pas relever ce défi reviendrait à néantiser toute l’action de ce prix Nobel de la paix.
 
Je voudrais terminer cette prise de paroles en rappelant que les victimes des actes antisémites ne sont pas que des voix renvoyées à la mutité éternelle dans la mort. 
 
Les victimes ont été aussi des rescapés, des survivants, qui ont lutté à leur mesure, à leur manière, pour la reconnaissance des crimes commis, pour que justice leur soit rendue, et pour qu'une certaine réparation contribue à leur désir de continuer à vivre.
 
C'est dans ce sillon que s'inscrit l'action infatigable de nos concitoyens bordelais, Juliettte Benzazon et Michel Slitinsky. Ils ont permis la condamnation de Maurice Papon après 16 ans de procédure, en 1998 pour complicité de crimes contre l'Humanité.
 
La ville de Talence a rendu un bel hommage à Michel Slitinski le 8 juillet dernier, en nommant une rue de son nom, gage d'inscription mémorielle dans le temps qui dure. 
 
Cette journée ne serait accomplie sans son versant d'espoir et de foi en la nature humaine: celui de la pitié, de la solidarité, et de l'amour gratuit de son prochain. 
 
Dans le même temps où Papon signait l'arrestation de juifs à Bordeaux et leur transfert sans retour vers Drancy et Auschwitz, non loin de la préfecture de Gironde, le consul du Portugal à Bordeaux, contrevenant aux ordres de Salazar, délivrait dès 1940, des laissez-passer à tous ceux qui venaient à lui, sauvant ces juifs d'une mort annoncée.
 
Ce consul s'appelait Aristide de Sousa Mendes. Il est un Juste éminent parmi les justes souvent méconnus ou ignorés, et qui ont fait preuve d'héroïsme pour sauver des juifs sans calcul, sans mesurer la plupart du temps les risques encourus.
 
Grace leur soit rendue.
 
L’histoire commémore et recommémore les évènements du passé, et finit par refermer ses cicatrices par la sagesse du temps qui passe.
 
L’histoire s’écrit aussi tragiquement et douloureusement au quotidien. Nous sommes aujourd’hui au 2ème jour du deuil national, voulu par le chef de l’Etat, pour que nous puissions avoir la solidarité généreuse, vis à vis des victimes du terrorisme aveugle qui a frappé la ville de Nice et la France toute entière, un soir de 14 juillet.
 
Nous avons également une pensée émue pour toutes les familles endeuillées, les dizaines de blessés, et pour les milliers de personnes en état de choc psychologique.
Place désormais à l’action publique, pour que  telle tragédie ne se renouvelle plus.
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