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20 September 2017 | 278 vue(s)
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France

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Il y a 76 ans, le 15 décembre 1941, 69 hommes ont été fusillés au Fort du Mont Valérien à Suresnes, dans les Hauts de Seine par les autorités d’occupations allemandes. Ces hommes, français et étrangers, furent arrêtés par les forces de polices françaises de la Préfecture de police du département de la Seine (à l’époque).

Je vais vous raconter l’histoire de Moritz Singer, mon oncle, le frère de ma mère, un de ces fusillés.

Il y a 76 ans, le 15 décembre 1941, 69 hommes ont été fusillés au Fort du Mont Valérien à Suresnes, dans les Hauts de Seine par les autorités d’occupations allemandes. Ces hommes, français et étrangers, furent arrêtés par les forces de polices françaises de la Préfecture de police du département de la Seine (à l’époque).

Les noms de tous les fusillés du Mont Valérien (1007) ont été gravés, sur une cloche de bronze, œuvre de Pascal Convert, inaugurée en septembre 2003. En ce qui concerne les 69 fusillés du 15 décembre 1941, 30 d’entre eux ont été reconnus « Mort pour la France » et 39 de ces fusillés attendent toujours, la plupart sans sépulture, et ne sont toujours pas reconnus morts pour la France, parce qu’ils étaient étrangers. Il se trouve, par ailleurs, que ces 39 fusillés étaient juifs. Parmi ces 69 fusillés, il y avait 9 engagés volontaires, dont Moritz SINGER, démobilisé à Montauban le 21 janvier 1941, en zone libre.

Je vais vous raconter l’histoire de Moritz Singer, mon oncle, le frère de ma mère, un de ces fusillés.

Moritz Singer, a été le premier enfant de ses parents à naître ailleurs qu’en Galicie. Ses parents, en raison des pogroms subis depuis 1907, suite à l’échec de la première révolution bolchevique de 1905, décidèrent que toute la famille irait s’installer dans le Rheinland.

Il vivait à Neunkirchen de sa profession de représentant et en 1934, lui et sa famille durent quitter Neunkirchen pour s’installer à quelques kilomètres, à Saint Ingbert.

Sous la pression du « Deutsche Front », d’inspiration nazie, qui souhaitait rallier le Territoire de la Sarre à l’Allemagne, un référendum fut  organisé le 13 janvier 1935, et les résultats furent sans appel : 8,8 % des électeurs votèrent pour le statu quo ; 90,4 % étaient pour le rattachement à l’Allemagne; deux mille sarrois votèrent pour une Sarre française (0,8%).

Le 19 janvier 1935, Moritz Singer entra en France pour cette raison, muni de sa carte d’identité sarroise délivrée le 5 octobre 1933. Il continua à exercer sa profession de représentant en TSF pour différents fabricants, il habitait dans des hôtels 49 rue de Malte et  50 rue Popincourt à Paris XIe arr. (Seine).

Moritz obtint un certificat de l’Office des réfugiés sarrois (créé le 16 novembre 1936 par le gouvernement de Front Populaire) qui tenait lieu de documents d’état civil.

Il s’engagea en septembre 1939 dans l’armée française  qu’il considérait comme sa nouvelle patrie, il fut mobilisé le 14 février 1940 dans le 3e Régiment de Marche des Volontaires Étrangers (R.M.V.E) sous le matricule 7803- C.A.3., 4e section. Après les batailles autour de Soissons, le 10 juin 1940,  le 21e RMVE, fut dissous le 1er juillet 1940. Moritz fut démobilisé le 26 janvier 1941, à Montauban (Tarn-et-Garonne).

Alors qu’il se trouvait en zone non occupée, plus sûre pour un juif étranger, il décida de revenir à Paris pour poursuivre sa lutte contre les nazis.

De retour à Paris, il habita un hôtel 10-12 Rue de Trévise, à Paris IXe arr.et se retrouva sans possibilité de travailler à la suite de la promulgation du statut des juifs.

En 1937 avait été créée, au sein des Renseignements généraux, une Section spéciale de recherche (SSR) chargée de la surveillance politique des étrangers dans le département de la Seine., dont le « Rayon Juif », fut chargé de surveiller les étrangers comme les Français, confié à Louis Sadosky,  qui n’eut qu’un objectif : donner satisfaction à ses chefs de la direction des Renseignements généraux. Chargé d’arrêter des juifs, il ne faillit pas, il établit un fichier des « Juifs suspects», et n’hésita pas à falsifier les rapports des inspecteurs qu’il eut sous ses ordres. Lui-même se vantait d’avoir fait fusiller entre soixante et quatre-vingt personnes.

Selon des informations de la police, des israélites étrangers se réunissaient quotidiennement à la Brasserie des Ailes 34, rue Richer, IXe arr. et « se livraient à une propagande clandestine très intense, soit en faveur de la IIIe Internationale et des Soviets, soit en faveur de l’Angleterre ». Une lettre anonyme rédigée en allemand mentionnait le même débit de boisson comme le lieu de réunion quotidien d’israélites étrangers se livrant à du marché noir avec des marchandises contingentées, quatre noms étaient mentionnés.

Le 4 septembre 1941 vers dix heures, la police vérifia les papiers de dix-huit personnes présentes dans le café, des fouilles au corps eurent lieu, cinq suspects furent immédiatement relâchés. Neuf interpellés portaient sur eux différentes sommes d’argent, aucun ne fut en mesure d’en expliquer la provenance. 

Moritz Singer « sans occupation définie, suspect au point de vue politique, dangereux pour l’ordre intérieur », a été interné dans le camp de Drancy, en compagnie de neuf autres arrêtés, dont six moururent à Auschwitz (Pologne).

Le 11 décembre 1941, le général Von Stülpnagel faisait paraître un « Avis », publié dans le « Petit Parisien le 14  et il réclamait la remise de100 otages.

Inscrit par Louis Sadoski avec 68 autres personnes sur la liste des otages, Moritz Singer fut passé par les armes le 15 décembre 1941 à 13 heures 05. Sur la liste officielle des personnes fusillées, datée du 17 janvier 1942, Moritz SINGER figure avec la mention : « Juif. Réfugié sarrois. Communiste actif. Se livre à la propagande communiste et gaulliste. Interné le 4 septembre 1941. »

Malgré les recherches commencées le 18 Juillet 1945, le corps de Moritz SINGER n’a toujours pas été retrouvé. Seuls quelques corps ont pu être  identifiés, à ce jour, dans les cimetières de Nanterre, Puteaux, Suresnes, Neuilly sur Seine et La Garenne-Colombes, les nazis ne voulant pas que les tombes des victimes des exécutions du 15 décembre 1941 puissent servir de contre propagande et devenir des lieux de pèlerinage,

Depuis plusieurs années, un grand nombre de personnes, d’élus et d’associations, dont l’ANFFMRF, tentent d’infléchir les décisions de l’O.N.A.C. (Office National des Anciens Combattants) concernant les fusillés du Mont Valérien. Ces efforts, incessants et répétés, restent vains et ne donnent lieu qu’à des réponses dilatoires, négatives, quelques fois dénuées de tout sens.

Qu’en est-il du devoir de mémoire, 70 ans après la fin du conflit ? Des commémorations, des appels « vibrants », des discours émotionnels… Mon oncle a été reconnu mort pour la France le 21 septembre 2015, après des années de lutte face à l’ONAC qui détourne les textes pour refuser cette reconnaissance

J’attends maintenant, et avec moi, toutes celles et tous ceux qui, enfants ou descendants des fusillés attendent des actes concrets, gages d’une réelle et forte volonté de la République Française, à la fois pour clarifier le passé, pour éviter toutes interprétations douteuses des réponses reçues, pour donner confiance à celles et ceux qui se battent, aujourd’hui, au nom de « Liberté, Égalité, Solidarité ».

Nous ne voulons pas que ces 39 fusillés du 15 décembre 1941 soient « morts pour rien » ! …

 Il en est de même pour tous les fusillés du Mont Valérien comme le dit fort clairement la motion votée le 5 février 2015 par «  l’Assemblée Générale de l’ANFFMRF constate qu’un certain nombre de fusillés étrangers, ne bénéficient pas de la mention « Mort pour la France » sur leur acte de décès, alors que d’autres fusillés dans la même situation en bénéficient. Il en est de même pour des fusillés français pour lesquels seule la mention, « mort pour fait de guerre », est portée ».

Cette situation est anormale et ne résulte d’aucun texte réglementaire. Nous demandons à ce que leur sacrifice soit reconnu, une fois pour toute. Bien qu’étrangers, les motifs de leur « arrestation était un acte de résistance qui a contribué à la défense des valeurs de la France Libre » (Madame ANTOINE, Directrice Générale de l’ONAC, sur l’avis favorable à l’attribution de la mention « mort pour la France » à Moritz SINGER le 21/09/2015. Et pour Jakob FLAMM et Moritz SPERLING, arrêtés en même temps que mon oncle, pour les mêmes motifs et fusillés avec lui ?

Tous les étrangers et français fusillés au Mont Valérien par l’occupant nazi doivent bénéficier de la mention « Mort pour la France ». De même, la mention « victime de la répression allemande » qui figure sur le site « Mémoire des hommes » semble vouloir occulter le fait que ces hommes ont été arrêtés par la police de l’État français qui les livra aux nazis.

 

Alexandre STUDENY-SINGER

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