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Published on 9 February 2018

#Crif #Auschwitz - Récits du voyage de mémoire du Crif : "L'inhumain"

Le 4 février 2018, les Amis du Crif ont organisé un voyage de mémoire dans les camps d’Auschwitz-Birkenau. Près de 200 personnes ont participé à cette journée exceptionnelle, qui a marqué les mémoires de chacun. Une délégation d’élus et de personnalités publiques a également accompagné le président du Crif, Francis Kalifat. Nous avons également eu l'honneur d'être accompagne de Ginette Kolinka, rescapée d’Auschwitz. Tout au long de la semaine, le Crif vous a proposé de vivre ou revivre ce voyage mémoriel pour que nous devenions tous "les témoins des témoins".

17h, monument commémoratif d’Auschwitz II – Birkenau.

La visite de l’immense Birkenau se termine, à mesure que l’obscurité tombe sur le camp. Le manteau de la nuit recouvre bientôt tout ce que fut Birkenau.

Tous les groupes se dirigent vers le fond du camp, pour se réunir devant le monument commémoratif qui paraît mettre un point final à la tragédie de la Shoah. Il était évident pour le Crif de conclure cette journée de mémoire par un rassemblement solennel et sobre.

Le président du Crif, Francis Kalifat, entame un discours saisissant et plein de justesse, veillant à abriter son texte de la neige qui n’en finit plus de tomber de ce ciel sans étoile.

            "Mesdames et Messieurs, tout au long de cette éprouvante journée, nous avons vu les blocs, les voies, les portes, les rails, les embranchements de voie ferrée, le plafond effondré d’une chambre à gaz, les ruines d’un crématoire,      l’intérieur d’un crématoire, les escaliers menant à un crématoire, des photographies prises par les SS, des fragments du camp, des cheveux, des Taleths retrouvés après la libération du camp, des objets pris sur les victimes, des jouets, des bagages, des valises, des installations pour le nettoyage et la désinfection des vêtements, des vêtements d’enfants, de femmes, d’hommes, de vieillards, des restes métalliques, des latrines situées dans les baraques en bois de Birkenau, un gibet sur lequel ont été exécutés des prisonniers, un chevalet sur lequel on exécutait la punition du fouet, les clôtures électrifiées, un chariot pour le transport de corps, des tours de guet, des photos personnelles, des photos de famille apportées dans le camp par les juifs.

Qu’est-ce que ces objets nous apprennent vraiment et précisément sur l’histoire des gens qui leur ont autrefois donné vie ? Que savons-nous d’eux ?

Rien, puisqu’ils sont morts, puisqu’on ne les voit pas.

Des monceaux de cheveux de femmes tondues, des brosses à dents, des prothèses de jambes et de bras, des lunettes, des jouets…. Mais des cheveux sans tête, des lunettes sans yeux, des prothèses sans jambes, des chaussures sans pieds, des jouets sans enfants. Nous prenons donc en pleine figure les lieux, les murs, le froid. Trop courte journée pour comprendre parfaitement et totalement les rouages du crime de masse, l’indicible, la mort et la haine. Trop courte mais tellement intense et combien nécessaire.

Car, nous n’avons pas le droit d’oublier, non nous n’avons pas le droit parce que nous avons une obligation impérieuse, l’obligation de transmettre, le devoir de la transmission."

Un silence retentissant se fait dans la foule à mesure que Francis Kalifat livre son discours. Chacun repense à ce qu'il a vu et entendu aujourd'hui. En regardant tout autour, le vide se fait soudain ressentir comme un trou béant dans le coeur. Ici, chaque Homme est seul avec lui-même. Et chaque Homme doit faire face à ses responsabilités. Celles du témoin. Car aujourd'hui - et nous ne le rappellerons jamais assez - nous sommes devenus les témoins des témoins.

C'est sur cela que Ginette Kolinka insiste à l'occasion des quelques mots qu'elle prononce ce soir. Elle nous remercie pour notre patience, notre écoute et notre courage pour avoir tant marché aujourd'hui, dans cette neige peu coopérative, en ironisant sur la petite voiturette qu'elle a utilisée parfois dans la journée.

Le Rabbin Moché Lewin conclut cette sobre cérémonie par des prières qui resteront longtemps gravées dans les coeurs. La prière juive pour les disparus El Male Rahamim résonne ici comme un cri qui perce le silence de Birkenau. Et, alors que les derniers mots du Kaddich, la pière juive pour les morts, s'envolent au-dessus de nos têtes, le Chofar retentit. Comme une parole craintive et douloureuse, le son du Chofar transperce la nuit et s'élève au dessus des âmes qui nous accompagnent en cet instant précis. Comme un signal pour laisser les disparus se rendormir et réveiller les consciences des vivants, le Chofar a rechauffé nos coeurs.

La prière juive pour la République française vient conclure ce moment intense et unique.

En l'honneur des 6 millions de Juifs exterminés pendant la Shoah, nous allumons 6 bougies. Tour à tour, Alain Louis, Maire de Goussainville - accompagné des élèves de sa ville Maïa, Marie, Jade, Alioune, Lenny et Jonathan, l'Ambassadeur de France en Pologne, des élus français et des représentants communautaires et politiques posent dans la neige ces petites bougies. Chacun est ensuite invité à en faire autant et l'espace tout entier du mémorial devient bientôt une fabuleuse source de lumière qui brille dans la nuit.

Nous ne comprendrons jamais ce qu'a été la Shoah. Et ce voyage de mémoire nous a sans doute encore davantage plongé dans l'inconcevable. Parce que ce qu'il s'est passé ici dépasse l'humain, nous ne pouvons pas - nous, humains - le concevoir et le penser. Tout cela nous dépasse de très loin et nous serons toujours bien incapables de réaliser le drame qui s'est joué ici. Mais nous avons le devoir d'essayer. D'écouter les derniers témoins, de transmettre leurs paroles, d'ouvrir les yeux et de mettre en garde contre les dérives qui ont mené à la plus grande catastrophe de l'humanité.

Dans l'inhumain d'Auschwitz-Birkenau, nous garderons aussi les petits moments d'humains qui nous ont rapproché. Un sourire bienveillant, un regard attentif, une main tendue pour descendre du bus, et tous ces visages, devenus familiers après s'être rencontrés dans les tréfonds de l'enfert.

"Je suis si contente que vous soyez là pour m'écouter. Et je suis si contente que vous me croyiez ! Vous savez, j'ai parfois moi-même du mal à croire que tout cela est arrivé et que je m'en suis sortie. Je ne peux pas l'expliquer, je ne pourrai jamais..." conclut Ginette à l'aéroport, devant tous ces visages figés par l'admiration. Ce jour-là, Ginette a fêté ses 93 ans.

Marie-Sarah Seeberger

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