News
|
Published on 15 February 2018

#Crif - Des sondages inquiétants sur un état des lieux de l’antisémitisme en France : controverses et polémiques

Quelle foi doit-on accorder aux sondages d’opinion dont les questions sont orientées ? Malgré tout, que disent aussi les réponses des sondés sur les maux de notre société qui ont pour mots préjugés, clichés et intolérance ? Une analyse de Marc Knobel.

En 2014, la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol) mène deux enquêtes avec l’Ifop. La première auprès d’un échantillon de 1 005 personnes, représentatif des Français âgés de 16 ans et plus. Les interview ont lieu par questionnaires auto-administrés en ligne du 26 au 30 septembre 2014. Cette enquête révèle que 25% des Français pensent que les Juifs «ont trop de pouvoir dans le domaine de l’économie et de la finance.» 

A son tour et pendant 18 mois (2015-2016), l'Ipsos enquête sur le «vivre ensemble» en France et plus particulièrement sur la façon dont sont perçues les communautés juive et musulmane. L'étude commandée par la Fondation du judaïsme français (janvier 2016), révèle surtout le sentiment de défiance qui traverse notre société. Si «les Français considèrent massivement que les juifs sont bien intégrés», plus d'un sondé sur deux (56 %) estime qu'ils ont «beaucoup de pouvoir», ou qu'ils sont «plus riches que la moyenne des Français». Pour 41 % des sondés, ils sont même «un peu trop présents dans les médias» et 60 % pensent qu'ils ont «leur part de responsabilité dans la montée de l'antisémitisme». Résultat ? Pour plus d'un sondé sur dix (13 %), «il y a un peu trop de juifs en France».

Cependant, sur Twitter, journalistes et internautes s’empressèrent de dénoncer ce sondage (JDD, 31 janvier 2016), parce qu’il était considéré/jugé comme «stigmatisant et anxiogène». Pourquoi de telles critiques ? C'est en particulier cette question qui met le feu aux poudres, notamment sur Twitter : «Vous-même, au cours de l'année, avez-vous personnellement rencontré des problèmes (insultes, agressions, ...) avec une ou plusieurs personnes issues des groupes suivants ?". Un sondage où les réponses proposées sont : "origine maghrébine", Roms", "confession musulmane", "origine africaine", "confession catholique", "confession juive" ou encore "origine asiatique"» (1).

C’est au tour du Parisien (vendredi 12 février 2016) de publier une autre enquête. Cette fois de l'Ifop (étude menée en ligne auprès de 1468 personnes entre le 3 et le 5 février), commandée par SOS Racisme et l'UEJF, sur les préjugés (supposés) sur les juifs. Là encore, les questions sont jugées tendancieuses et caricaturales. Selon l'expression d’une chroniqueuse canadienne Nathalie Collard : «analysez la question, vous verrez qu'elle a pour effet de banaliser le racisme et, ce faisant, d'inciter les gens à y souscrire.» On pourrait rétorquer qu’il faut bien que des questions soient engagées si l’on veut dégager des tendances. Quoi qu’il en soit, le sondage de l’Ifop provoque une nouvelle polémique. Dimitri Martins, étudiant de 23 ans avait participé au sondage Ifop - Sos Racisme – UEJF. Il s’en fait l’écho dans un article de l’Obs : «J'ai participé à ce sondage, j'ai cru à une blague». L’internaute explique qu’il n’a pas apprécié les questions de l’étude qui «renforceraient les préjugés racistes en légitimant certaines questions sur les juifs». L’étudiant, pourtant inscrit sur un site proposant de répondre à des enquêtes en ligne en contrepartie de bons de réduction, n’était pas habitué à répondre à des questions controversées comme… «A votre avis, est-ce qu’un Alsacien est aussi Français qu’un autre Français ? Et un Juif ? Etc.» Le mode de réponse «d’accord» ou « pas d’accord» a choqué Dimitri. Fréderic Dabi directeur-adjoint de l’Ifop réfutera ces accusations. Il rappelle que l’institut respecte les règles déontologiques nécessaires (2).

Au-delà des intitulés de certaines questions posées, examinons tout de même ce que furent les réponses

Entre un tiers et un quart des interviewés adhèrent à l’idée que les juifs utilisent dans leur propre intérêt leur statut de victimes du génocide nazi (32%), qu’ils sont plus riches que la moyenne des Français (31%), qu’ils ont trop de pouvoir dans les médias (25%) ou dans le domaine de l’économie et des finances (24%, contre 19% s’agissant de la politique). Nous retrouvons là les vieux poncifs/clichés/préjugés détestables et habituels pour stigmatiser les Juifs. S’entrechoquent ici probablement des siècles d’intolérance et de préjugés justement, une ignorance crasse des problématiques et des populations, un manque d’éducation, des généralités confuses, des détours aberrants et racistes.   

En octobre 2016, un autre sondage d’opinion CNCDH/SIG/Ipsos révèle que 35% des Français pensent que «les Juifs ont un rapport particulier avec l’argent» (66% par rapport à janvier 2016). Le cliché selon lequel « les Juifs ont de l’argent » est (bien) ancré dans les esprits et cela ne date pas d’aujourd’hui. L'antisémitisme «économique» est une conséquence de l'antijudaïsme religieux: considéré comme le peuple «déicide» (pour avoir tué le Christ), les Juifs sont mis au ban de la société par les chrétiens (3). L'un des exemples les plus connus de ce stéréotype figure dans le livre de William Shakespeare, « Le Marchand de Venise », dans le caractère de Shylock, un usurier juif qui demande du héros, Antonio, un litre de viande quand celui-ci ne peut rendre le prêt. Mais c'est à l'orée du XIXème siècle, avec l'émergence du capitalisme industriel, que le cliché des Juifs et de l'argent s'affirme avec une nouvelle force. Les Juifs sont alors accusés d'être les promoteurs du capitalisme mondialisé. Le cliché se transforme en complot». L'historien Gerald Krefetz dans son livre « Les juifs et l'argent: les mythes et la réalité », résume l'idée de l'antisémitisme économique en une phrase: «[les juifs] contrôlent les banques, la réserve monétaire, l'économie et les affaires — de la communauté, du pays, du monde» (4).

Enfin, une enquête plus récente réalisée par Ipsos du 10 au 17 octobre 2017 pour le compte de la Fondation du judaïsme français, fait froid dans le dos (5) : 64% des Français pensent que les Juifs disposent de lobbys très puissants ; 53% estiment qu’ils sont plus attachés à Israël qu’à la France ; 53% qu’ils ont beaucoup de pouvoir ; 52% qu’ils sont plus riches que la moyenne des Français ; 51% qu’ils sont trop présents dans la banque et la finance ; 48% qu’ils aiment plus l’argent que les autres Français ; 38% qu’ils sont trop présents dans les médias. Bref, depuis l’année 2000, les Français juifs sont désemparés.

Pour (nous) rassurer, il convient quand même d’ajouter que pour ce dernier sondage, le sentiment que les juifs sont bien intégrés en France, déjà très fort lors des vagues d’enquêtes précédentes, tend (encore) à progresser en 2017. Ainsi, une très large majorité de l’opinion publique juge que «les juifs sont bien intégrés en France» (89 %, stable) ou que «les juifs sont des Français comme les autres » (92 %, +6 points). Le fait que désormais, plus des trois quarts des Français réagiraient positivement si un de leurs enfants épousait une personne juive confirme cette perception d’une bonne intégration des français juifs, même si celle-ci parait évidente, selon le politologue Brice Teinturier (6). A titre de comparaison, 8 % seulement des Français estiment que la grande majorité des personnes d’origine Rom ou tzigane sont bien intégrées, 22 % s’agissant des personnes d’origine maghrébines et 28 % s’agissant des musulmans. Enfin, 36 % seulement déclarent qu’ils réagiraient positivement si leur fille épousait un musulman (77 % si elle épousait un juif) (7). Cette perception d’une forte intégration des juifs de France s’ancre dans le sentiment d’une appartenance ancienne et bénéfique au creuset culturel français : 74 % jugent que « le judaïsme fait partie de la culture française », en très forte progression (+14 points) depuis 2014, rappelle le politologue. De même, 84 % estiment que « les juifs ont beaucoup apporté aux arts, à la musique et à la littérature », là aussi en hausse de 13 points en trois ans. Ces indicateurs sont à prendre au sérieux et ils sont rassurants estime Brice Teinturier. Pour autant, ajoute-t-il aussitôt, Pour autant, et c’est tout l’enjeu, ils coexistent avec des préjugés aussi massifs que désespérants (8).

Quoique l’on pense des intitulés et des sondages, ce qui est évident aujourd’hui c’est que les préjugés sont bien installés, qu’ils réduisent les/des populations visées et stigmatisées à outrance et qu’ils sont inacceptables. Ce qui est évident aussi, c’est que probablement, l’école n’a pas fait assez de ce qu’elle devait et aurait dû faire pour déconstruire les préjugés. Un enfant ne nait pas raciste, il le devient et il le devient parce qu’il est ignorant. De ce fait, les préjugés doivent être combattus dès l’école (9).   

Notes :

  1. Maxime Bourdeau, « Le JDD publie des sondages sur les préjugés ethniques et religieux qui font hurler les internautes », Huffington post, 31 janvier 2016.

  2. https://www.slideshare.net/BenjaminBakouch/m2-benjamin-bakouch-etudes-et-sondages-ifop-1

  3. Pour les chrétiens, comme pour les Grecs, le temps n'appartenant pas aux hommes, ils n'ont le droit ni de le vendre ni de le faire fructifier. Le prêt est une activité malsaine qui permet de gagner de l'argent sans travailler. Enfin, le prêteur peut s'enrichir, ce qui concurrence le projet de l'Eglise d'être le lieu principal d'accumulation des richesses. L'Eglise assimile donc le prêteur au diable: il est comme le dealer qui fournit de la drogue, une nouvelle forme de la tentation.

  4. L’ouvrage de référence : Jacques Attali, Les Juifs, le monde et l’argent : histoire économique du peuple Juif, Paris, Le Livre de Poche, N° 15580, octobre 2007.

  5. Enquête réalisée par Ipsos sur un échantillon national représentatif de la population française de 1014 personnes âgées de 18 ans et plus, constitué selon la méthode des quotas et interrogé du 10 au 17 octobre 2017 par Internet.

  6. Brice Teinturier, « Des préjugés antisémites qui ont la peau dure », Revue annuelle du Crif  2018, pp. 93-95.

  7. Idem.

  8. Idem.

  9. Voir à ce sujet, Marc Knobel, Haine et violences antisémites. Une rétrospective : 2000-2013, Paris, Berg International Editeurs, pp.169-184.

Maintenance

Le site du Crif est actuellement en maintenance