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Published on 20 September 2018

InterviewCrif - Alain Pagès : "Un Musée Dreyfus évoquera les événements de l’affaire Dreyfus en les reliant aux luttes qui sont les nôtres aujourd’hui"

A l'occasion de l'anniversaire de la date de grâce d'Alfred Dreyfus, le Crif vous propose un entretien avec Alain Pagès, professeur émérite à l’université Paris-Sorbonne nouvelle, directeur des Cahiers naturalistes. Un entretien mené par Marc Knobel, Directeur des Etudes au Crif.
Photo : La Maison Médan (maison de Zola) - Musée Alfred Dreyfus
 
Entretien mené par Marc Knobel, Directeur des Etudes au Crif
 
Le Crif : Emmanuel Macron a annoncé lors de son discours au dernier dîner du Crif, le 7 mars, que le premier musée Dreyfus en France devrait voir le jour à Médan, où se trouve la maison d'Emile Zola, à l'automne 2019. Qu’en est-il exactement ? Pouvez-vous nous expliquer dans quel état se trouve ce projet ?

Alain Pagès : Lors du dernier dîner du Crif, le président de la République a fait allusion à un projet que l’association Maison Zola – Musée Dreyfus poursuit depuis plusieurs années. Il s’agit d’ouvrir dans l’ancienne propriété de Zola, à Médan (elle est située dans les Yvelines, à une quarantaine de kilomètres de Paris), un Musée Dreyfus qui évoquera les événements de l’affaire Dreyfus en les reliant aux luttes qui sont les nôtres aujourd’hui, et notamment au combat contre l’antisémitisme. L’association Maison Zola – Musée Dreyfus était présidée, jusqu’à l’année dernière, par Pierre Bergé qui vient de disparaître, malheureusement… Il faut rendre hommage à l’action de mécénat culturel que Pierre Bergé a accomplie, au cours de ces dernières années, car elle a permis la sauvegarde de la maison de Médan. Son œuvre se poursuit aujourd’hui grâce à la Fondation Yves Saint Laurent et à grâce à Louis Gautier, nouveau président de l’association, bien décidé à réaliser la dernière étape du projet auquel tenait tant Pierre Bergé, la création d’un Musée Dreyfus. Si tout se déroule comme prévu, les travaux d’aménagement de ce musée devraient commencer avant la fin de l’année, et l’on peut espérer une ouverture au public à l’automne 2019, en effet, comme l’a annoncé le président de la République.

Pouvez-vous revenir sur l’histoire de cette maison qu’Emile Zola a achetée en 1878, à Médan ? La maison a été agrandie par la suite. Quelle est son histoire et que représentait, pour lui, cette maison de Médan ?

Grâce aux droits d’auteur que lui avait rapportés L’Assommoir, son premier grand succès littéraire, Zola a acheté à Médan, en 1878, une petite maison, une « bicoque », comme il le disait, dont le cadre lui plaisait parce qu’elle se trouvait au bord de la Seine. Mais il a très vite transformé cette propriété initiale en achetant des terrains alentour et surtout en faisant agrandir la maison : une première extension, que l’on appelle la tour « Nana », a été ajoutée, dès 1879, au sommet de laquelle a été aménagé son cabinet de travail ; puis est venu, en 1885, un deuxième agrandissement, la tour « Germinal ». Les deux tours entourent la maison d’origine, faisant de cette demeure une véritable maison d’écrivain, dont les agrandissements successifs montrent qu’elle est née de l’œuvre elle-même, le cycle des Rougon-Macquart dont la publication s’est étendue sur près d’un quart de siècle, entre 1870 et 1893. Mais ce qui fait surtout la célébrité de la demeure de Médan, aujourd’hui encore, c’est le souvenir des fameuses « Soirées de Médan » – c’est-à-dire de ces journées au cours desquelles Zola accueillait ses disciples dans sa maison de campagne, pour de grandes discussions sur l’art et la littérature. Ils étaient cinq, et ils ont publié avec lui, en avril 1880, un recueil de nouvelles, intitulé Les Soirées de Médan, précisément. C’est ce recueil qui a rendu célèbre Maupassant (avec « Boule de suif »), en faisant de lui le grand auteur de nouvelles qu’il sera au cours des dix années suivantes. À côté de lui, il faut citer les noms de J.-K. Huysmans, de Henry Céard, de Léon Hennique et de Paul Alexis. Ce sont les écrivains du « groupe de Médan ». Mais on peut aussi évoquer, à côté d’eux, la présence de Paul Cézanne, ami d’enfance de Zola, qui a fait plusieurs longs séjours à Médan, entre 1879 et 1885 : il a peint plusieurs tableaux ou aquarelles dans ce cadre des bords de Seine qu’il aimait beaucoup.

Pourriez-vous nous rapporter ce qu’est, à l’heure actuelle, la maison d’Emile Zola ? Peut-on la visiter ?

La maison d’Emile Zola vient d’être entièrement restaurée grâce au mécénat de Pierre Bergé. Toutes les pièces ont été reprises, remises dans leur décor d’origine. Les toits-terrasses ont été refaits à l’identique, conformément à l’aspect qu’ils avaient au xixe siècle. La maison peut désormais accueillir le public dans de bonnes conditions de sécurité, mais il faudra attendre l’ouverture du Musée Dreyfus pour que les visites puissent avoir lieu, dans un espace muséographique cohérent où le visiteur ira de la maison de l’écrivain au Musée de l’affaire Dreyfus, aménagé dans le pavillon où Zola hébergeait autrefois ses amis.

On parle souvent du « Pèlerinage de Médan ». De quoi s’agit-il ?

C’est une cérémonie littéraire en hommage à Emile Zola qui se tient, chaque année, le premier dimanche d’octobre dans le jardin de Médan, devant la maison. Elle remonte à 1903, à l’année qui a suivi la mort de Zola, et elle s’est déroulée régulièrement pendant tout le siècle dernier, en dépit de quelques interruptions dues aux deux guerres mondiales. La tribune de Médan a accueilli des orateurs prestigieux, des écrivains tels que Louis-Ferdinand Céline, en 1933, Louis Aragon, en 1946, ou Jules Romains, en 1952. François Mitterrand, alors premier secrétaire du Parti socialiste, est venu à Médan en 1976. Jacques Chirac est venu en 2002, en tant que président de la République, pour commémorer le centenaire de la mort du romancier ; François Hollande de même, en 2016, pour marquer l’achèvement des travaux de restauration de la maison. Parmi les figures du monde intellectuel ou politique, on peut citer, pour ces dernières années, Bernard-Henri Lévy, en 2013, Jean-Pierre Chevènement, en 2014, Christiane Taubira, en 2015, ou encore le linguiste Claude Hagège, venu l’année dernière, en 2017. Le prochain Pèlerinage de Médan se tiendra dimanche 7 octobre, à 15 h. Il accueillera, cette année, la Directrice générale de l’UNESCO, Audrey Azoulay, et Éléonore Reverzy, professeur à l’université de Paris-Sorbonne nouvelle. L’accès est libre. Ceux qui voudraient se rendre au Pèlerinage du 7 octobre trouveront, sur le site des Cahiers naturalistes (la revue littéraire consacrée aux études sur Zola et le naturalisme), toutes les informations nécessaires : http://www.cahiers-naturalistes.com/.

Émile Zola est mort à Paris, et non dans sa maison de Médan. Pouvez-vous revenir sur les circonstances de cette mort ? Quelle est votre hypothèse, à ce sujet ? S’agissait-il d’un assassinat ?

Zola est mort le 29 septembre 1902, dans son appartement de la rue de Bruxelles, à Paris. Il revenait de sa maison de campagne de Médan où il avait passé l’été. Au cours de la nuit, il a été asphyxié par des émanations d’oxyde de carbone produites par la cheminée de sa chambre à coucher. L’enquête a montré que le conduit de sa cheminée était bouché. On a conclu à un accident. Un quart de siècle plus tard, cependant, un fumiste du nom d’Henri Buronfosse a déclaré à l’un de ses amis être le responsable de cette mort : profitant de travaux réalisés sur le toit d’une maison voisine, il aurait bouché la cheminée de la chambre à coucher, puis l’aurait débouchée peu après, de telle sorte que personne n’a pu le soupçonner. Cette confession tardive peut sembler bizarre. Mais elle est tout à fait plausible. On peut penser qu’elle n’a pas le fait d’un mythomane. Henri Buronfosse était membre de la Ligue des Patriotes, fondée par Déroulède ; il appartenait au service d’ordre de la Ligue ; il faisait partie de ces esprits que la passion nationaliste aveuglait et qui haïssaient au plus haut point l’auteur de « J’accuse ». Il est donc tout à fait vraisemblable qu’un soir de septembre 1902, il ait bouché la cheminée de Zola – de Zola le « traître », coupable, à ses yeux, d’avoir porté atteinte à l’honneur de l’armée parce qu’il avait défendu… Alfred Dreyfus.

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