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Published on 17 October 2018

Opinion - Délinquance juvénile, bandes organisées et ghettos urbains

Bandes organisées, délinquance juvénile, ghettos urbains et criminalités dans nos banlieues. Un rapide rappel des faits.

Par Marc Knobel, historien et Directeur des Etudes au Crif  

Un garçon de 12 ans, originaire de Bagnolet, en Seine-Saint-Denis est mort à l'hôpital parisien Robert-Debré. Une enquête a été ouverte pour «homicide volontaire en bande organisée». L’enfant a été roué de coups de barre de fer samedi, aux Lilas (Seine-Saint-Denis). La victime, originaire de la ville voisine de Bagnolet, avait été transportée dans un hôpital parisien pour des blessures aux jambes. Elle se plaignait de multiples douleurs sur tout le corps après cette bagarre survenue aux alentours de 19 heures, rapporteL’Express. Lundi 15 octobre en fin de matinée, une source proche de l'enquête a informé l'AFP que cinq mineurs âgés de 14 à 17 ans étaient actuellement en garde à vue. Deux d'entre eux se sont rendus à la police dimanche en fin de journée et les trois autres ont été interpellés lundi matin, selon cette même source. Ce décès intervient un mois après la mort d'un autre adolescent, âgé lui de 16 ans, tué de plusieurs balles dans une cité de Saint-Denis, à l'autre extrémité du département. Deux autres personnes avaient été blessées dans cette fusillade qui avait «choqué» cette ville populaire. Sur place, des étuis de calibre 7,62 mm avaient été retrouvés - laissant penser à des tirs de Kalachnikov -, ainsi que des battes de Baseball et des barres de fer, rapporte Le Figaro, du 15 octobre 2018. Ce 16 octobre, à peine nommé à Beauvau mardi matin, le nouveau ministre de l’Intérieur Christophe Castaner s’est déplacé dans un commissariat des Lilas, en Seine-Saint-Denis.

Des bandes organisées à Paris et dans la région parisienne?

Dans un entretien qu’il accorde au Figaro le 15 octobre 2018, Guillaume Jeanson qui est avocat au Barreau de Paris et porte-parole de l'Institut pour la Justice, rappelle que pour le ministère de l'Intérieur, on compterait près de 90 bandes organisées répertoriées en France, dont près de la moitié sévit à Paris et dans sa proche banlieue. La Seine-Saint-Denis représenterait, quant à elle, la moitié de ces bandes parisiennes (1). Cette réalité apparaît d'ailleurs dans le viseur d'un autre indicateur qui permet de mesurer la disparité géographique qui règne en la matière. Il s'agit du taux de violences (un taux qui mesure le nombre de violences pour 1 000 habitants) en Seine Saint Denis. Il s'élève à 18.19, ce qui fait du 93 le département le plus violent en France, les DOM TOM mis à part (2).

Dans une question écrite de Roger Karoutchi (Hauts-de-Seine - Les Républicains), publiée dans le JO Sénat du 25/01/2018, Karoutchi attire l'attention de M. le ministre d'État, ministre de l'intérieur sur l'inquiétante résurgence des bandes organisées à Paris (3).

Le ministre répond de la manière suivante :

"La lutte contre les bandes organisées constitue l'une des missions prioritaires de la préfecture de police. En 2017, les services de police ont dénombré 336 évènements en lien avec l'activité des 45 bandes actives recensées dans l'agglomération parisienne, soit une diminution de 19 % par rapport à l'année précédente. 116 affrontements ont été constatés en 2017, contre 137 en 2016 (- 15 %), confirmant la tendance remarquée les années passées (165 affrontements en 2012, soit une diminution de 30 % en 2017). Paris dénombre un tiers des faits mais marque un recul important de 30 % par rapport à 2016. Le nombre de blessés est comparable d'une année sur l'autre (271 en 2017, 272 l'année précédente) et on déplore quatre morts en 2017, contre trois en 2016. Au total, sur les 291 individus interpellés à Paris en 2017, 124 ont été déférés devant l'autorité judiciaire. Pour lutter contre le phénomène des bandes sur la capitale, le préfet de police a mis en place en juillet 2010 un plan de lutte dédié impliquant trois directions actives :

  • la direction du renseignement,
  • la direction de la police judiciaire et la direction de la sécurité de l'agglomération parisienne, qui pilote ce plan
  • Au cœur de ce dispositif, la cellule de suivi du plan « bandes » est chargée du suivi, du recueil, de l'analyse et du partage des informations relatives aux événements et aux personnes impliquées ou susceptibles d'être impliquées, au titre de leur affiliation à une bande, dans des actions de violences collectives à l'échelle de l'agglomération parisienne. Ce recueil d'information est essentiel pour les services.

La judiciarisation relève du procureur de la République qui a créé en 2016 un groupe local de traitement de la délinquance dédié à cette problématique de lutte contre les bandes. Un premier groupe composé de magistrats du parquet, d'un représentant de l'éducation nationale et des représentants de la police, est chargé de la répression des infractions commises lors des affrontements entre bandes. Son objectif est de suivre les enquêtes et la poursuite des auteurs, mais aussi d'analyser le phénomène pour mieux le combattre. Un second groupe est consacré à la prévention des affrontements entre bandes. Il comprend, outre le Parquet, la direction de la protection judiciaire de la jeunesse, l'éducation nationale et des élus. Il met en œuvre des dispositifs de prévention, notamment par des actions de soutien aux familles mais aussi de responsabilisation des parents. Le travail en lien avec les établissements scolaires est particulièrement important, notamment au regard du jeune âge des membres de ces bandes, qui ont fréquemment entre 13 à 17 ans. Ce lien a encore été renforcé à la suite du décès, au mois de janvier, d'un lycéen de 17 ans. L'État et les services de la préfecture de police participent au volet prévention avec la ville de Paris et l'ensemble des autres acteurs, par des actions de soutien aux familles, de responsabilisation des parents, ou d'échange d'informations entre les différents partenaires susceptibles d'apporter une réponse au phénomène des bandes. Ces phénomènes de bandes sont particulièrement suivis par la préfecture de police et l'ensemble des services restent mobilisés sur cette problématique (4)."

Délinquance juvénile ?

La délinquance désigne l'ensemble des agissements délictueux dans notre pays. Dans la délinquance juvénile, l'auteur est une personne mineure au regard de la loi, c'est-à-dire une personne de moins de 18 ans.

En 2013, la France comptait 14,6 millions de mineurs. Au cours de l’année, 234 000 mineurs ont été mis en cause dans des affaires pénales. 9% de ces mineurs avaient moins de 13 ans, 40% entre 13 et 15 ans inclus et 47% avaient 16 ou 17 ans. 83% étaient des garçons (5).

En 2014, selon l’INSEE, les jeunes de 10 à 24 ans sont particulièrement impliqués dans les affaires pénales traitées par les parquets : ils représentent 21 % de la population de 10 ans ou plus, mais 36 % des auteurs présumés d’infraction.

En 2014 toujours, ces jeunes ayant affaire à la justice représentent 5,2 % de leur classe d’âge. Les vols et recels (25 %) et les affaires de stupéfiants (17 %) sont les principales infractions impliquant les jeunes, avant les violences volontaires (15 %) et la circulation routière (15 %). Pour chaque infraction, le nombre d’auteurs présumés culmine à un âge qui lui est propre : les atteintes sexuelles sont plus nombreuses à 14 ans, les vols et les violences à 16 ans, les affaires de stupéfiants à 18 ans et les infractions routières à 22 ans. De ce fait, la structure des infractions évolue avec l’âge, allant vers plus de diversité et une part croissante d’infractions à la circulation routière (6), souligne l’INSEE.

En 2017, un auteur présumé sur cinq de vol avec arme signalé à la justice est un mineur. Leur part chez les mis en cause pour vols sans violence est de 24%. Et elle atteint 35% concernant les vols violents sans arme.

Autre signe inquiétant: 27% des mis en cause pour violences sexuelles ont moins de 18 ans. Les moins de 13 ans mis en cause pour ces faits pèsent même 10% de l'ensemble des personnes dénoncées pour ce type d'infractions (7).

«Ensauvagement»… ?

Le terme prospère à droite, à mesure que l'actualité éclaire l'hyperactivité de la délinquance juvénile. Et, dans la bouche des syndicalistes policiers, comme Patrice Ribeiro, patron de Synergie-officiers, il s'agit de désigner «ces jeunes qui n'ont même plus peur de la police». En mars dernier, à Vaulx-en-Velin, ville emblématique des violences urbaines, bien connue du ministre de l'Intérieur, Gérard Collomb, la police a arrêté un adolescent lyonnais qui avait déjà 79 affaires judiciaires à son palmarès… à 16 ans (8).

«Nos mineurs entrent dans le vif de la délinquance à l'âge de 15 ans. Ils seront moins actifs vers 18 ans et en seront majoritairement sortis à 25 ans», remarque ce procureur du sud-ouest de la France. «Il n'y a pas de jeunes délinquants de 12 ans qui deviennent des cambrioleurs», affirme quant à elle Laure Beccuau, procureur de Créteil, pour Le Figarodu 15 juin 2018.

«En revanche, cette délinquance des mineurs a glissé de l'usage à la revente de stupéfiants.» Ce que notent plusieurs parquets, c'est «la participation croissante des mineurs à la délinquance professionnelle organisée par les majeurs. Cela en fait tout à la fois des auteurs d'infractions mais aussi des victimes», estiment-ils. Cette sorte de «syndrome Oliver Twist» concerne essentiellement les stupéfiants avec l'emploi de mineurs comme guetteurs ou comme «mules». À Nice, le parquet note également le recrutement via les réseaux sociaux de «charbonneux» -petits revendeurs- venus de région parisienne ou du Nord. Cela permet d'éviter les «conflits à l'intérieur des cités locales tout en sachant que les risques courus par ces mineurs sont moins importants que pour les majeurs», explique le procureur de Nice. Ce qui vaut pour les stupéfiants et les trafics en tout genre vaut également pour les cambriolages (9).

Ghettos urbains et criminalité ?

Les effets de quartiers sont d’autant plus marqués que de grands ensembles urbains ou ghettos urbains sont enclavés, à l’écart du reste de la ville, centre-ville souvent plus ancien et plus embourgeoisé. Si certains délits sont commis quelquefois en centre-ville, dans les centres commerciaux, dans les transports en commun par des bandes mobiles, d’autres délits (ou crimes) sont commis dans les zones les plus défavorisées.

Or, comme le rappelle Jean-Marie Petitclec (10), ce qui apparaît clairement, c’est que de tels actes de délinquance sont commis de manière privilégiée par les mineurs, qui sont responsables de près de 50 % des vols commis avec violence. Et c’est justement ce type de délinquance qui alimente également le sentiment d’insécurité. Or, les sources de l'insécurité sont multiples (11). S’il ne nous appartient pas dans ce petit article de détailler plus en avant les chiffres, statistiques, analyses, études de terrain, commentaires politiques et/ou journalistiques, nous pouvons rappeler deux ou trois points essentiels.

Les violences aux personnes, atteintes aux biens, violences physiques crapuleuses, cambriolages et vols d'automobiles (12)...  Prenons (en vrac) quelques exemples: pompiers et médecins agressés lorsqu’ils visitent ou secourent des malades ou des sinistrés dans certaines banlieues, violence ordinaire, délinquance en tout genre y compris de la délinquance juvénile, altercation répétée entre un ou des jeunes et la police, trafic de drogue, bandes organisées se livrant à des trafics en tout genre, agressions devant des écoles ou des collèges et des lycées, racket organisé d’enfants par ailleurs harcelés (et rackettés), devant certains établissements scolaires, sexisme ou homophobie, antisémitisme (13), ghettos racialisés, simple vandalisme tournant quelquefois à l'émeute et/ou à la guérilla urbaine…

L’insécurité existe mais préoccupe-telle suffisamment?

Comme s’il fallait se satisfaire que dans les ghettos urbains et les banlieues délabrées ou défavorisées, des territoires aient été abandonnés par la République. Ajoutons les problématiques suivantes : les forces de l’ordre sont submergées par les problèmes, l’impuissance peut-être caractérisée surtout lorsque de jeunes policiers inexpérimentés sont mutés dans des zones difficiles; les éducateurs sont peu nombreux; les professeurs enseignent dans des conditions très difficiles; les associations n’ont pas assez de moyen; les maires et les élus doivent affronter des situations compliquées, l’argent manque, etc.

Et pourtant, des moyens supplémentaires ont été octroyés aux services publics chargés d’organiser l’intégration des normes sociales et l’insertion sociale des habitants (14). Mais, ces moyens sont-ils suffisants ?

Incontestablement, beaucoup reste à faire. Il faut renforcer les moyens, repenser les objectifs, veiller au bien être de la population et des enfants, assurer la sécurité de ces habitants, casser les zones de non-droit et/ou les ghettos... Faut-il rappeler ici que l’on ne peut pas laisser ce sujet sensible (celui de l’insécurité) être porté par la seule extrême droite ou par des mouvements populistes? Comment expliquer alors qu’il est éminemment républicain que de veiller au bien-être de nos concitoyens ? Qu'il est éminemment républicain que de panser les plaies de notre société et/ou de banlieues alors que par ailleurs, les mêmes banlieues disposent d’atouts considérables, de nombreuses ressources humaines, culturelles, commerciales, économiques, foncières, etc ? 

La mort de cet enfant provoquera-t-elle un électrochoc ?

Notes :

1) Voir plus précisément Interstats, «Insécurité et délinquance en 2017 : premier bilan statistique », ministère de l’Intérieur, janvier 2018.

2) Idem.

3) Question écrite n° 02862 de M. Roger Karoutchi (Hauts-de-Seine - Les Républicains)

4) Publiée dans le JO Sénat du 25/01/2018 - page 267

5) Réponse du Ministère de l'intérieur publiée dans le JO Sénat du 29/03/2018 - page 1506

6) http://www.justice.gouv.fr/publication/o45_resume_2.pdf

Voir aussi : https://www.lemonde.fr/societe/article/2015/01/31/justice-des-mineurs-ce-que-l-on-sait-de-la-delinquance-des-adolescents_4567368_3224.html

7) Thierry Mainaud, «La délinquance des jeunes évolue avec l’âge, la réponse pénale aussi», INSEE, 22 novembre 2016.

8) Paule Gonzalès, Jean-Marc Leclerc et Service Infographie, «L'État débordé par la montée de la violence des mineurs», Le Figaro, 15 juin 2018.

9) Idem.

10) Paule Gonzalès, «La délinquance juvénile de plus en plus professionnalisée», Le Figaro, 15 juin 2018.

11) Jean-Marie Petitclerc, «Délinquance juvénile et insécurité urbaine : priorité à l'éducatif », Constructif, janvier, 2001 ? n°1.

12) Renée Rouleau, L'insécurité urbaine : Un mal qui paralyse les femmes, Théros, 16 mars 1997 et Anthony Garoscio, «Représentations sociales de l’insécurité en milieu urbain », Cairn.info, 2006/1 (Numéro 69).

13) L’Express.fr, «Insécurité: le palmarès des villes de France», 20 novembre 2013 ; RTL, «Insécurité : les villes les plus violentes», 1er mars 2014.

14) L'hostilité à l'encontre des juifs ne s'est-elle pas largement développée chez certains jeunes qui vivent dans des quartiers dits "sensibles" et qui, discriminés et très souvent victimisés, sont en quête d'identité ? Voir à ce sujet Marc Knobel, Haine et violences antisémites, une rétrospective 2000-2013, Berg International Éditeur, 2013, 355 pages et Marc Knobel : « L’Europe va se vider de ses juifs. En France, 60 000 sont partis en dix ans », Le Monde, 29 mars 2018.

15) Renaud Epstein, «Le « problème des banlieues » après la désillusion de la rénovation », metro.politiques.eu, 18 janvier 2016.

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