Read in the news
|
Published on 28 March 2019

France/Actu - Ces grandes rumeurs, inépuisables ou mortelles

Visée par des rumeurs de pédophilie, la communauté rom de Seine-Saint-Denis a été la cible de violentes expéditions punitives en début de semaine. Le mythe de la camionnette blanche enlevant des enfants dans la rue est connu, mais d’autres grandes rumeurs ont déjà fait des victimes par le passé.

Publié le 28 mars dans L'Est Républicain

Enlèvements d'enfants - Le mythe de la camionnette blanche

Toutes les régions de France y sont confrontées. Régulièrement, un début de panique gagne une commune quand il est rapporté qu'une camionnette blanche circule près des écoles pour enlever des enfants qui seraient ensuite livrés à la prostitution ou au trafic d'organes.

La presse régionale est souvent sollicitée à ce sujet, tout comme les brigades de gendarmerie ou les hôtels de police. C'était encore le cas il y a quelques jours en Alsace, relatent les DNA, ou encore il y a tout juste un an en Haute-Savoie. Le Dauphiné Libéré avait alors eu connaissance de la rumeur (relayée aux parents d'élèves par les services de l'Education nationale) et qui mettait en cause "deux hommes" à bord de la fameuse camionnette blanche ou d'une "BMW bleue". La procureure d'Annecy avait alors dû publier un communiqué de presse, publié par le DL, en appelant à la prudence.

L'inquiétant message se transmettait d'habitude oralement, puis par SMS et il s'affiche maintenant par les réseaux sociaux. Grâce à internet, on retrouve facilement trace de ces vagues de peur un peu partout dans le pays, et même à l'étranger, comme le note CheckNews, qui souligne que cette camionnette blanche est désormais "bien garée dans la conscience collective".

La rumeur d'Orléans - Peur sur les cabines d'essayage

En mai et juin 1969, la ville d'Orléans est prise d'une panique irrationnelle: les jeunes femmes disparaîtraient dans des cabines d'essayage de magasins de lingerie. La rumeur n'est basée sur aucun fait, mais elle prend des proportions délirantes, obligeant les commerces à fermer temporairement. Il est même avancé que les victimes seraient enlevées et transportées par un sous-marin caché dans la Loire.

La crise prend fin d'elle-même après plusieurs semaines, sans qu'aucun démenti n'ait pu l'arrêter. Elle sera analysée plus tard par le sociologue Edgard Morin, qui notera que plusieurs publications, au début de l'année 1969, avaient favorisé l'émergence de la rumeur. Mais difficile de savoir pourquoi elle a touché en particulier Orléans.

D'autres chercheurs qui se sont penchés sur cet épisode notent que les accusations rappellent le mythe de la "Traite des blanches" et qu'elles visaient les juifs, qui auraient été les propriétaires des magasins de lingerie mis à l'index.

Pogrom en Pologne - Les juifs accusés de tuer les enfants pour leur sang

En juillet 1946 à Kielce, dans l'est de la Pologne, un garçon qui était parti de chez lui sans prévenir ses parents raconte qu'il a été séquestré par un inconnu. Aucun élément ne confirme ses dires mais les accusations se portent immédiatement et violemment sur la communauté juive, tout juste revenue dans la ville après la Seconde Guerre mondiale et l'occupation nazie.

Police et armée auraient lancé les premières violences, avant que la foule ne suive avec une immense brutalité. Bilan: 42 morts dont plusieurs enfants et des victimes battues à mort.

Neuf personnes seront condamnées à la peine capitale par la justice polonaise à la suite de ce massacre, mais la lumière n'a jamais été pleinement faite sur ces événements, qui rappellent l'allégation tenace et délirante accusant les juifs de tuer des enfants pour utiliser leur sang dans la confection de pain azyme.

Afrique - Des vols de pénis

Une histoire sans aucun fondement circule depuis des dizaines d'années en Afrique: elle évoque un individu qui, simplement en saluant un groupe de jeunes hommes, "vole" alors instantanément leur sexe, ou qui le rétrécie. Il dérobe ainsi leur virilité, et se l'approprie.

Comme l'explique à Libération Julien Bonhomme, chercheur en anthropologie sociale, cette rumeur court depuis les années 1970, principalement en Afrique de l'Ouest. Mêlant sorcellerie et xénophobie - une ethnie nigériane est souvent mise en cause- elle a provoqué plusieurs lynchages et parfois "des dizaines de morts en très peu de jours".

Le phénomène ne touche pas uniquement les zones reculées. "Même si la sorcellerie s'enracine dans un passé lointain, elle continue de se transformer sans cesse et de s'adapter à l'heure des grandes villes", explique l'anthropologue, qui note l'implication des médias de masse et des téléphones portables.

Les sorcières de Salem - Coup de folie dans une colonie

Au cours de l'année 1692, dix-neuf personnes soupçonnées de sorcellerie sont pendues à Salem, dans le nord-est de ce qui est aujourd'hui les Etats-Unis.

L'affaire éclate dans un contexte social difficile, entre rivalités familiales, risques de famine et puritanisme au sein d'une colonie isolée du Massachusetts qui devait alors faire face à la menace des populations indiennes.

Des jeunes filles sont accusées de mener des séances de divination et de commerce avec le diable. Elles commenceraient à parler une langue inconnue, et à se comporter bizarrement. Aucune preuve pour étayer ces accusations, mais les soupçons se répandent dans la petite commune du Massachussets comme une traînée de poudre. La rumeur et les dénonciations envoient des dizaines de personnes en prison, puis devant un tribunal local qui ne prononcera aucun acquittement.

Cette crise marquera durablement l'histoire des Etats-Unis. Dans les années 1950, elle servira de référence à Arthur Miller pour dénoncer, dans une pièce de théâtre, les errements du maccarthysme et la "chasse aux sorcières" contre les communistes qui touchait alors le pays, favorisant là encore les dénonciations calomnieuses.