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Published on 6 December 2019

Actu - "Au Nigeria, on massacre les Chrétiens", le SOS de Bernard-Henri Lévy

Dans le pays le plus riche d'Afrique, les Fulanis, bergers musulmans du Nord, s'attaquent aux paysans chrétiens du Sud. Tout est en place pour un nettoyage ethnique. Le philosophe est parti enquêter sur place. Le travail de Bernard-Henri Lévy pour le sujet est majeur. Le Crif salue son engagement et s'associe pleinement à son combat.

Publié le 5 décembre dans Paris Match

Un article de Bernard-Henri Lévy

Je suis allé à Godogodo, Etat de Kaduna, au centre, où j’ai filmé le témoignage d’une jeune évangéliste, Jumai Victor, très belle, à qui il manque un bras – mais elle a une façon de se tenir, un peu de biais, qui fait qu’on ne s’en avise pas tout de suite. C’était le 15 juillet, raconte-t-elle. Les Fulanis ont déboulé, de nuit, sur des motos à longue selle, trois par moto, en hurlant « Allahou akbar ! ». Ils ont brûlé les maisons. Tué ses quatre enfants sous ses yeux. Et, quand son tour est venu et qu’ils ont vu qu’elle était enceinte, une discussion s’est engagée : certains ne voulaient pas voir l’éventrement et on lui a juste débité le bras, à la machette, comme à la boucherie – d’abord les doigts ; puis la main ; puis l’avant-bras ; et puis le reste, quand le dernier du groupe s’est plaint qu’il n’avait pas eu sa part. Elle a raconté très vite, sans colère, les yeux ailleurs, on dirait qu’elle a perdu son visage en même temps que son bras. C’est la voix de son chef de village, quand il traduit, qui s’étrangle. C’est lui qui, lorsqu’elle se tait, laisse rouler une larme sur sa joue.

carte

Je suis allé à Adan, chefferie de Kagoro, plus au nord, où j’ai enregistré le récit d’une autre femme, Lyndia David, rescapée d’un autre massacre. Ce matin-là, le 15 mars, on murmure que les Fulanis maraudent dans les alentours. Son mari, tandis qu’elle se fait belle pour aller à l’église et qu’il s’apprête, lui, à monter dans les collines pour, avec les autres hommes, faire le guet, lui demande de courir se réfugier chez sa sœur, dans le village voisin. A peine arrivée, la première nuit, elle est réveillée par les sifflets des guetteurs. Elle découvre, quand elle se rue au-dehors, que tout prend feu autour d’elle. Elle tente de fuir par ici – un Fulani bloque le passage. Par là – un autre l’arrête. Par là encore – les Fulanis sont partout, c’est comme un piège qui se referme. Une voix, alors, l’appelle qui parle dans sa langue. « Ici, fait la voix, c’est par ici qu’il faut passer, la route est libre, viens. » Et, comme elle fait confiance et va vers son sauveur, celui-ci surgit du fourré, se jette sur elle, lui coupe trois doigts de la main droite, lui entaille la nuque à la machette, lui tire dessus à bout portant et, la croyant morte ou mourante, asperge son corps d’essence et y met le feu. Miraculée, le corps comme une plaie, elle retournera à son village natal : les Fulanis l’ont attaqué la même nuit ; ils l’ont rasé ; 72 villageois sont morts – dont son mari. J’ai vu, à Daku, près de Jos, capitale de la Middle Belt chrétienne, au cœur d’un paysage de prairies verdoyantes qui firent les délices des colonisateurs anglais, une église vandalisée, les tôles du toit effondrées, un tas de braises froides qui sont tout ce qui reste de la croix.

C'est un Boko Haram élargi, rampant, délocalisé, villagisé, démultiplié

J’en ai vu une autre, intacte, à la sortie de Jos, avec une cour écrasée de chaleur et peuplée de jeunes filles en blanc et voilées. Un homme est sorti me dire que je n’avais rien à faire ici. Il parlait anglais. J’ai eu le temps de lui faire avouer, dans les minutes de palabre que je lui ai arrachées, qu’il était turc, membre d’un réseau d’« entraide religieuse » financé par le Qatar et chargé d’ouvrir, dans les localités du Nord et du Centre, des madrasas pour filles de Fulanis.

J’ai sillonné, ce jour-là, avec une escorte de policiers sûrs, envoyés par le district voisin, toute une zone de cette « ceinture centrale », dans un rayon d’une trentaine de kilomètres : pistes effondrées ; ponts explosés ; maisons cassées, aux ombres incomplètes, où l’on distingue, entre une paillasse calcinée, un seau et un ustensile de cuisine, des traînées de cendre noire ou de sang ; peu d’arbres, juste des troncs ; des terres abandonnées où les plants de maïs pourrissent sur pied parce qu’il n’y a plus, alentour, âme chrétienne qui vive, ou que les survivants, quand il y en a, sont trop terrorisés pour venir faire la récolte ; et puis, au loin, des myriades de taches blanches – ce sont les bêtes qui ont chassé les hommes ; ce sont les troupeaux des Fulanis qui paissent l’herbe grasse ; le paysage semble si grand tout à coup… Quand nous nous approchons, les bergers armés nous repoussent d’un geste de la main ; je n’en tire, ce jour-là, pas un mot.

L'armée est complice. L'état-Major est Fulani.

L’évêque de Jos, qui s’est lui-même fait voler ses bêtes à trois reprises et qui, la troisième fois, a été traîné dans sa chambre, mis en joue et n’a dû son salut qu’à sa foi (il s’est jeté à genoux et s’est mis à prier, les yeux fermés, la voix très haute, jusqu’à ce que le bruit d’un hélicoptère couvre sa prière et chasse les assaillants), m’a raconté le déroulement, toujours le même, de ce qui m’apparaît, de plus en plus clairement, comme un nettoyage ethnique et religieux méthodique. Les Fulanis arrivent, le plus souvent de nuit. Ils sont pieds nus et, quand ils n’ont pas de moto, on ne les entend pas venir. Parfois, un chien donne l’alerte. Parfois, quand c’est de jour, un guetteur. Et, alors, c’est une galopade terrible ; un tournoiement de poussière ; des cris sauvages, comme s’ils avaient besoin de s’échauffer les uns les autres ; et, avant qu’on ait pu se barricader ou fuir, ils sont dans les maisons, machettant, courant vers les cris dans la nuit, cherchant les femmes enceintes, incendiant, pillant, violant. Ils ne tuent pas forcément tout le monde. A un moment, ils s’arrêtent. Ils récitent une sourate de circonstance, rassemblent les bêtes apeurées et s’en vont comme ils sont venus, très vite, les morts laissés en pâture. Il faut qu’il reste des vivants pour raconter. Il faut que demeurent des témoins pour dire, dans les villages, que les Fulanis sont capables de tout et ne craignent que Dieu.

A Abuja, capitale fédérale, ce sont dix-sept chefs de communauté chrétiens qui sont descendus me rencontrer, dans un compound discret de la périphérie de la ville. Certains ont voyagé plusieurs jours, dans des taxis-brousse ou des autobus bondés. Quelques-uns sont en retard car ils ont dû ruser avec les checkpoints de l’état d’urgence dans les Etats de Yobé et Adamawa, rouler de nuit et, une fois aux abords d’Abuja, se fondre dans la foule de cette ville où, pour certains, ils n’ont jamais mis les pieds. Mais ils ont fini par arriver, chacun avec une ou deux victimes. Ils sont là, épuisés et ardents, assemblée d’une quarantaine de femmes et d’hommes pénétrés de la gravité du moment, pleins d’attente, et venus, l’un avec une clef USB, l’autre avec un rapport manuscrit, le troisième avec un dossier de photos légendées, datées, qu’ils vont remettre, comme autant de bouteilles à la mer, à un inconnu dont ils ne savent rien mais qui sera peut-être le messager de leur souffrance. Je prends ces enregistrements. Je parcours ces documents. Je suis écrasé, moi-même, par le poids de cette espérance et de la tâche qu’ils me confient. Et s’il y avait, dans ces paquets de mots, ces feuilles volantes et ces mauvaises photos, l’amorce du mémorial où il faudra bien que soient consignées, un jour, les horreurs qu’ils ont subies ?

Pour l’heure, prenant la parole tour à tour, ces rescapés de l’enfer confirment le modus operandi décrit par l’évêque de Jos. Tous, à commencer par les victimes, avec leur regard vide qui semble dire qu’elles sont mortes même quand on les croit vivantes, ajoutent un détail affreux à ma moisson d’atrocités. Les cadavres mutilés des femmes. Ce muet à qui l’on demande d’abjurer sa foi et que l’on découpe, à la machette, pour lui arracher au moins un cri. Cette petite fille étranglée avec la chaîne de sa croix. Cette autre, fracassée contre un arbre, à l’entrée de son hameau. Et, chaque fois, cette banalité d’un mal dont eux-mêmes ne comprennent pas comment il a pu s’emparer de pâtres qui sont, eux aussi, après tout, des damnés de cette terre : l’appel des mosquées radicalisées par les Frères musulmans et qui se multiplient dans l’exacte mesure où les églises brûlent ? Le suprématisme peul ancestral chauffé à blanc par de mauvais bergers ? Ou juste la sauvagerie des hommes qui ne demande qu’à ressurgir quand on agite, sous leur nez, les maléfices ?

Abdallah : "Les chrétiens sont des chiens. Ils ont pris la religion des blancs."

Après l'attaque du village de Nghar (Etat du Plateau), le corps d'un homme est retrouvé à l'écart d'un charnier qui compte 86 morts.

Après l'attaque du village de Nghar (Etat du Plateau), le corps d'un homme est retrouvé à l'écart d'un charnier qui compte 86 morts.© DR

Je réalise, en tout cas, que c’est une vraie guerre que mènent, en fin de compte, les Fulanis. Et je comprends qu’il y a là un Boko Haram élargi ; un Boko Haram en extension et rampant ; un Boko Haram délocalisé, villagisé, démultiplié ; un Boko Haram qui a traversé les frontières où le monde le pensait cantonné et qui sème, partout, les graines de la tuerie ; bref, une forêt de crimes fulanis que cachait l’arbre de Boko Haram… Les deux sont liés, naturellement. Un humanitaire américain me parle même de stages « en brousse », dans l’Etat de Borno, pour volontaires fulanis. Un autre me dit qu’on a repéré, dans l’Etat de Bauchi, des « instructeurs » envoyés par Boko Haram pour initier les meilleurs des Fulanis au maniement des armes de guerre et leur permettre de dépasser l’âge des machettes. Mais les Fulanis, encore une fois, n’ont pas de frontières. Les Fulanis, c’est Boko Haram qui ne serait plus retranché dans un bastion équivalant à 4 ou 5 % du territoire. Les Fulanis, c’est la sauvagerie de Boko Haram étendue à tous les mécréants – chrétiens et musulmans – du Nigeria et, au-delà, du Tchad, du Niger et du Cameroun…

Souvent, dans les villages à l’ouest de Jos, sur la route de Kafanchan, j’ai demandé à voir les armes dont on dispose pour se défendre : des arcs et des frondes, des poignards, des bâtons, des fouets de cuir, des cailloux, des lances. Et encore ! Même ces armes de fortune, il faut les cacher ! Car, quand l’armée vient après les attaques, elle dit : « Interdit par la loi », et les confisque.

Plusieurs fois, j’ai noté qu’il y avait un poste militaire à proximité, censé protéger les civils contre les soldats de la brousse : mais les militaires ne sont pas venus ; ou ils sont venus, mais après la bataille ; ou ils ont prétendu n’avoir pas reçu à temps les SMS d’appel à l’aide, ou n’avoir pas eu ordre de faire mouvement, ou avoir été bloqués sur une piste impraticable.

« Comment en irait-il autrement ? » s’est indigné notre chauffeur tandis que nous partions en convoi vers Daku et son église incendiée. L’armée est complice des Fulanis. Ils marchent main dans la main. A Byei, il y a quelques années, après une attaque, on a même retrouvé dans le bush un matricule et un uniforme.

« Comment s’en étonner ? » a renchéri Dalyop Solomon Mwantiri, l’un des rares avocats de la région à s’être mis au service des victimes. L’état-major de l’armée nigériane est fulani. L’administration tout entière est noyautée par les Fulanis. Et le président Buhari, ce mixte africain d’Erdogan et MBS [Mohammed Ben Salman, prince héritier d’Arabie saoudite] qui a déjà régné, entre 1983 et 1985, à la suite d’un coup d’Etat et qui tient, aujourd’hui, grâce aux subsides d’Ankara, du Qatar et des Chinois, est lui-même un Fulani.

Cette complicité vient de se vérifier, dans le district de Riyom, pour quatre déplacés qui revenaient et ont été mitraillés près de Vwak. Les villageois connaissent les assaillants. La police les a identifiés. Tout le monde sait qu’ils ont trouvé refuge, après l’attaque, dans le village de Fass, 2 kilomètres plus loin. Mais ils sont sous la protection de l’« ardo », sorte d’émir local des Fulanis. Et aucune arrestation n’a été effectuée.

Elle s’est vérifiée, selon Sunday Abdu, chef coutumier des Irigwe, dans le district de Bassa, lors d’un assaut contre Nkiedonwhro. Les militaires sont venus, cette fois, prévenir qu’il y avait une menace. Mais ils ont ordonné aux femmes et aux enfants de se regrouper dans l’école. Et, quand le regroupement a été fait, l’un d’eux a tiré en l’air, comme s’il donnait un signal ; un deuxième tir a retenti, au loin, comme en réponse au sien ; et c’est quelques minutes plus tard, la troupe ayant quitté les lieux pour, se justifieront les officiers, donner la chasse aux assaillants, que ceux-ci ont surgi, sont allés directement à la salle de classe, ont tiré dans le tas et tué tout le monde.

Et puis je suis allé à Kwi, plus au sud, me recueillir sur la tombe de trois jeunes inhumés la veille. Le drame s’est noué le 20 avril. Ils venaient de repousser, à coups de bâtons, une attaque. La police – arrivée, comme à l’accoutumée, à l’heure des carabiniers – s’est gardée de poursuivre les agresseurs et les a embarqués, eux, les jeunes, avec quatorze de leurs voisins, pour « violences intercommunautaires ». Les quatorze sont réapparus assez vite, non sans avoir été copieusement torturés dans les locaux de la police. Mais eux demeuraient introuvables. Et c’est depuis quelques jours seulement que les villageois savent la vérité. On les a très tôt séparés des autres et tués. On a offert leurs corps à l’ECWA, l’hôpital de Jos. Et voilà donc des semaines que les étudiants en médecine faisaient, avec l’assentiment des autorités, des exercices d’anatomie sur leurs dépouilles démembrées, formolisées et stockées dans la glace. « Disposez-en comme vous voulez, a dit le responsable de la police quand on a fini, après moult enquêtes et expertises exigées par les villageois, par rendre ce qui restait des corps. Mais, si vous les enterrez, évitez les plaques et les croix. Interdiction de l’ardo ! »

J’ai vu, aussi, des Fulanis.
La première fois, ce fut par hasard. J’étais seul, avec Gilles Hertzog et un interprète, sans escorte, dans la Toyota qui nous menait à Godogodo. Nous sommes arrivés à un pont détruit qui nous a obligés à descendre dans le lit de la rivière jusqu’à une piste non carrossée. Et nous sommes tombés, en remontant vers la berge, sur un checkpoint constitué d’une corde tendue en travers de la piste et d’une paillote où somnolaient deux hommes en armes. « On ne passe pas, nous a signifié, en substance, le plus jeune, vêtu d’une vareuse piquée d’insignes en arabe et en turc. On est ici chez les Fulanis, terre sacrée d’Ousmane dan Fodio, notre roi, et les Blancs ne passent pas. » Ce souvenir du roi Fodio, dont les conquêtes, il y a deux siècles, aboutirent à l’instauration du califat de Sokoto, en pays peul et haoussa, je ne le croyais vivant que dans les Etats du Nord. Visiblement, non. Nous sommes à plusieurs centaines de kilomètres plus au sud. Et ce rêve d’un Etat islamique ressuscité sur les cadavres des animistes, des chrétiens et des musulmans qui résistent à la radicalisation a fait des émules jusqu’ici.

La deuxième fois, c’était aux portes d’Abuja. Nous roulions dans la campagne. Et nous sommes tombés sur un village qui ne ressemblait à rien de ce que nous avons vu en zone chrétienne. Un fossé. Une haie, derrière le fossé, d’arbustes et de pieux. Un côté claquemuré, retranché du monde. Et, au lieu des maisons, des cases d’où sort une nuée d’enfants et de mamans, couvertes de la tête aux pieds. Nous sommes dans un village de Fulanis sédentarisés. Nous sommes chez des nomades qui ne dédaignent pas, quand l’ennemi a fait place nette, de procéder à une fulanisation locale. « Que faites-vous ici ? nous interpelle, après quelques minutes, et tandis que nous feignons de nous intéresser à son champ de piments rouges, un adolescent surgi de nulle part et vêtu d’un tee-shirt avec une croix gammée. Vous profitez que c’est vendredi et que nous sommes à la mosquée pour venir espionner nos femmes ? C’est puni dans le Coran ! » Comme je lui demande si avoir une croix gammée sur la poitrine n’est pas, aussi, contraire aux enseignements du Coran, il marque un instant d’embarras. Puis se lance dans une diatribe d’où ressort qu’il est parfaitement conscient d’arborer un « insigne allemand » mais qu’à l’exception des « mauvaises âmes » qui « détestent les musulmans », il estime que « tous les hommes sont frères »…

Et puis j’ai vu des Fulanis à Lagos, donc dans le sud du pays. Il y a là, à la sortie du dernier quartier, dans une zone où l’on arrive après des heures de marche ou, ce qui revient au même, de « go slow », ces embouteillages monstres qui congestionnent la ville, un marché en plein air où ils viennent vendre leurs bêtes. Je suis avec trois jeunes chrétiens anglicans, rescapés d’un massacre dans la Middle Belt et qui vivent dans un camp de déplacés. Ils prétendent être des cousins, venus faire l’achat d’une bête en prévision d’une fête de famille. Et tandis qu’ils marchandent un zébu à cornes blanches (une demi-heure pour le faire passer de 1 600 à 1 200 dollars, puis une autre pour faire accepter que l’on n’en prenne livraison que le lendemain), je me mets en quête de Fulanis sachant raconter. La plupart sont, ce jour-là, partis de l’Etat de Jigawa, frontalier du Niger. Ils ont traversé le pays du nord au sud, en camion, pour conduire leurs bêtes jusqu’ici. Et, si je n’ai pas réussi à savoir grand-chose de leur périple, je n’ai guère eu de mal à leur faire dire la joie qu’ils ressentent à se trouver ici, à la lisière de cette ville honnie et promise, infecte et délicieuse – à pied d’œuvre pour, comme le leur ont ordonné leurs émirs, pouvoir enfin « tremper le Coran dans la mer ». Il y a « trop de chrétiens à Lagos », s’emporte Abdallah, le plus loquace, d’un air légèrement menaçant. « Les chrétiens sont des chiens et des fils de chiens. Vous dites les chrétiens. Mais, pour nous, ce sont des traîtres. Ils ont pris la religion des Blancs. Il n’y a pas de place, ici, pour les amis des Blancs, ces impurs. » Les bergers, autour de lui, opinent. Ils ont l’air convaincus, tout comme le marchand de cartes postales venu se joindre au groupe et me proposer des portraits d’Erdogan et de Ben Laden, que les chrétiens finiront par partir et que le Nigeria, alors, si Dieu le veut, sera libre…

On peut toujours, après cela, rapporter cette violence à d’immémoriales guerres interethniques.

Et j’imagine bien qu’il y a aussi eu, en rétorsion, des sévices infligés aux tribus peules et haoussas.

Reste le terrible sentiment, au bout de ce voyage, d’être revenu au temps, 2007, où les cavaliers de Khartoum semaient la mort dans les villages du Darfour ; ou, avant cela, au Soudan du Sud, quand la mort de John Garang n’avait pas encore donné le signal de la guerre totale des islamistes contre les chrétiens ; ou, encore avant, au Rwanda, en ces jours du printemps 1994 où nul ne voulait croire qu’était en marche le quatrième génocide du XXe siècle.

Laissera-t-on l’histoire se répéter au Nigeria ? Attendra-t-on, comme d’habitude, que le désastre soit consommé pour s’émouvoir ?

Et demeurera-t-on les bras croisés tandis que l’internationale islamiste, contenue en Asie, combattue en Europe, défaite en Syrie et en Irak, ouvre un nouveau front sur cette terre immense où ont coexisté, longtemps, les fils d’Abraham ? C’est tout l’enjeu de ce voyage au cœur des ténèbres nigérianes.

C’est tout le sens du SOS Chrétiens du Nigeria que je lance, ici, aujourd’hui.

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