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Published on 22 January 2020

Antisémitisme - L’American Jewish Committee (AJC) publie une "radiographie de l’antisémitisme en France"

L'enquête d'AJC révèle notamment que l'antisémitisme représente un enjeu quotidien majeur pour les Français juifs comme pour la société française dans son ensemble. La Directrice d'AJC Paris, Anne-Sophie Sebban-Bécache, a répondu à nos questions.

Le bureau français de l’American Jewish Committee (AJC) a publié sa première « radiographie » de l’antisémitisme en France ; une enquête sur les perceptions des Français et des Français de confession ou de culture juive sur la question de l’antisémitisme.

L’étude a été réalisée par l’institut de sondage IFOP, en partenariat avec la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol). Un échantillon de 505 Français juifs et de 1027 Français a été interrogé selon un questionnaire commun.

« Les statistiques publiées chaque année par le ministère de l’Intérieur, bien qu’essentielles, ne reflètent pas les différentes facettes du problème que représente l’antisémitisme dans notre pays. Les données existantes s’appuient principalement sur les plaintes déposées, mais elles ne tiennent pas compte de la perception du problème et de son impact sur la vie des citoyens français » explique Anne-Sophie Sebban-Bécache, directrice de l’AJC Paris.

Selon l’enquête, la majorité des Français comme des Français d’origine juive considère qu’il y a beaucoup d’antisémitisme en France et que le phénomène est en augmentation.

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70% des Juifs français déclarent avoir été victimes d’au moins un incident antisémite au cours de leur vie (84% pour les Français juifs de moins de 25 ans). Un tiers des Français juifs se sentent menacés en raison de leur appartenance religieuse ; le sentiment de menace est beaucoup plus fort chez les Juifs pratiquants et les jeunes Juifs (moins de 35 ans). Les deux principaux lieux où des incidents antisémites se produisent sont la rue (54%) et l’école (55%). Pour 26 % des Français ayant subi une agression physique, cela s’est produit à l’école ou dans un contexte scolaire. 

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Pour échapper à l’antisémitisme, les Français juifs évitent certains territoires (44%) et s’abstiennent d’afficher des symboles exprimant leur judaïsme (37%). Un quart des Français juifs ont déclaré avoir déjà évité de révéler leur appartenance à la communauté juive sur leur lieu de travail.

« Il est très inquiétant de constater que l’antisémitisme a un impact sur la vie et le mode de vie de la majorité des Français juifs. Nous remarquons amèrement que ces derniers n’ont pas de répit face à l’antisémitisme. Cela doit cesser » a déclaré Anne-Sophie Sebban-Bécache.

Un Français sur cinq déclare avoir déjà entendu une personne de son entourage dire du mal des Juifs. 16% des Français disent avoir déjà assisté à une agression verbale antisémite. 

La grande majorité des Français (73%) et des Français juifs (72%) considèrent que l’antisémitisme concerne la société française toute entière.

« L’antisémitisme fait partie de la vie quotidienne des Français dans leur ensemble. C’est un phénomène qu’ils perçoivent et qui les touche. C’est désormais une préoccupation pour toute la société française, et non plus seulement pour les Français d’origine juive. C’est donc la note finale encourageante et positive de cette enquête : nous ne sommes plus aussi seuls, pour combattre ce fléau, que nous avons pu l’être – ou avons eu le sentiment de l’être – par le passé. Cela doit se refléter dans les actions politiques ; la lutte contre l’antisémitisme doit être une priorité nationale disposant de moyens adéquats pour couvrir l’ensemble du territoire français. » conclut Anne-Sophie Sebban-Bécache.

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Nous avons interrogé Anne-Sophie Sebban-Bécache, Directrice de l’AJC Paris, sur ce sondage.

Le Crif : Le sondage révèle que les deux principaux lieux où des incidents antisémites se produisent sont la rue (54%) et l’école (55%). Ces constats sont affolants. Le Président du Crif Francis Kalifat a souvent déclaré que l'école devait être la première étape dans la lutte contre l'antisémitisme. Quelles peuvent-être les pistes de réflexions pour faire de l'école un lieu plus sûr ?

Anne-Sophie Sebban-Bécache : Tout d’abord, je crois qu’il est absolument essentiel de s’assurer que l’école soit intraitable face aux cas d’antisémitisme. La tolérance zéro doit être appliquée. Lorsqu’un commentaire antisémite est rapporté, il faut que l'enseignant, ou la personne référente sollicitée, s’en saisissent sérieusement. Convocation de l’auteur, pédagogie, formations, et sanctions lorsque cela est nécessaire, l'important est d'agir. Un enfant français juif ne doit plus avoir peur à l’école. Le nécessaire doit aussi être fait en matière de sécurité.
 
Deuxièmement, sur le long terme, l’éducation est clé. Les cours d’Éducation à la citoyenneté et aux valeurs de notre République devraient prévenir et empêcher le développement de préjugés antisémites chez les élèves. Les enseignants doivent travailler avec les élèves à la déconstruction concrète des préjugés. 
 
Enfin, l’enseignement de l’histoire et de la Shoah en particulier gagnent à être améliorer pour former des citoyens vigilants. Il faut mettre l’accent sur les processus politiques et idéologiques qui y ont conduit, et non pas se focaliser uniquement sur l’aspect émotionnel (qui est nécessaire mais pas suffisant car il ouvre facilement la porte à la concurrence victimaire). Je vous renvoie ici aux travaux importants de Iannis Roder, professeur d’histoire en Seine-Saint-Denis en charge des formations du mémorial de la Shoah.
 
 
Le Crif : L'enquête montre que 73% des Français considèrent que l'antisémitisme est un problème qui concerne la société française toute entière. C'est peut-être la "bonne nouvelle" du sondage ?
 
Anne-Sophie Sebban-Bécache : Tout à fait, c’est la conclusion encourageante de cette étude miroir. Depuis des années, nos organisations se battent pour voir émerger cette prise de conscience : l’antisémitisme n’est pas uniquement l’affaire de la communauté juive, elle est l’affaire de tous.
 
C’est un soulagement de voir que le même pourcentage de Français juifs et de Francais dans leur ensemble considèrent que ce phénomène concerne la société toute entière.
 
Comme nous le disons depuis longtemps, l’antisémitisme est le signe précurseur d’une crise plus profonde, il présage un délitement des fondements de nos sociétés démocratiques. À raison donc, on voit à travers notre étude que l’antisémitisme est au cœur des préoccupations de tous les Français.
 
Cela doit engager nos responsables politiques à mener une action à la hauteur de cette préoccupation, c’est à dire une action de plus grande envergure en matière de moyens consacrés et de territoires concernés.