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Published on 12 February 2020

France/Justice - « L’affaire Sarah Halimi ne fait peut-être que commencer – et le débat sur l’articulation entre justice et psychiatrie que rebondir »

L’irresponsabilité pénale reconnue au meurtrier n’a pas empêché grâce à la loi de 2008 l’établissement des faits y compris le mobile antisémite mais il faudrait aller plus loin, jugent dans une tribune au « Monde » les magistrats Jean-Christophe Muller et David Sénat.

Publié le 11 février dans Le Monde

Tribune. Les interrogations formulées publiquement par le président de la République à la suite de la décision reconnaissant l’irresponsabilité pénale de l’auteur de la mort de Sarah Halimi ne constituent pas tant la remise en cause de l’indépendance de la justice, critique facile dans laquelle les syndicats de magistrats se sont immédiatement engouffrés, que le relais de l’expression d’un malaise qui ne s’est pas dissipé dans l’opinion publique sur une question qui dépasse d’ailleurs l’affaire Sarah Halimi elle-même.

Rappelons les faits : le 4 avril 2017 à Paris, Sarah Halimi avait été agressée sauvagement à son domicile et défenestrée par son agresseur, qui la connaissait, criant qu’il avait « tué le démon ». Le 19 décembre 2019, la cour d’appel de Paris a clôturé l’affaire du meurtre de Sarah Halimi par une déclaration judiciaire d’irresponsabilité pénale de l’auteur de ces faits. Les conséquences de cette décision sont d’abord que la matérialité des faits est établie, y compris son mobile antisémite, mais également que la cour d’assises ne sera pas saisie ; enfin, l’auteur a été astreint à une mesure d’hospitalisation d’office (dont désormais seuls les médecins pourront décider de la fin) et à diverses mesures d’interdiction de séjour à portée symbolique. Un pourvoi en cassation a été formé contre cette décision par la famille de Sarah Halimi.

Il a été fait ainsi application d’une procédure mise à l’étude dès 2004 et votée en 2008. Mais l’esprit et la portée de la réforme méritent encore d’être précisés. Avant 2008, lorsqu’une personne était déclarée pénalement irresponsable en raison d’un trouble mental ayant aboli son discernement, la justice n’avait d’autre possibilité que de prononcer un non-lieu, sorte de dénégation en catimini de la réalité des faits, laissant l’auteur sans aucun contrôle.

La question de l’irresponsabilité pénale fait débat

Avec la loi de 2008, en cas d’irresponsabilité pénale déclarée, c’est un véritable procès qui se tient désormais devant la cour d’appel, au terme duquel la réalité du crime est reconnue, les expertises psychiatriques présentées contradictoirement, les victimes indemnisées et l’auteur astreint à des mesures contraignantes.

Ce dispositif, pour lequel avaient été consultés des dizaines d’experts et d’associations et qui a reçu depuis lors de nombreuses applications, n’avait toutefois pas vocation à se substituer à la décision des jurés populaires. Bien au contraire, il n’a vocation à s’appliquer que lorsqu’il n’existe pas de raison de penser, au vu d’expertises psychiatriques concordantes, que la question de l’irresponsabilité pénale de l’auteur est sujette au moindre doute.

Dans le cas contraire, lorsque la question de l’irresponsabilité pénale fait débat, celle-ci devient un élément de fond qui, au même titre que la matérialité des faits et la consistance des preuves, doit être tranché non pas par la juridiction chargée de vérifier qu’il existe bien des charges suffisantes (la chambre de l’instruction de la cour d’appel) mais bien par la juridiction chargée d’apprécier la réalité des preuves et la culpabilité, c’est-à-dire la cour d’assises.

En cela en effet, en droit autant qu’en opportunité, un débat public devant la cour d’assises, composée de jurés pouvant eux aussi assumer les questions légitimes que se posent les uns et les autres, s’imposait.

Interprétation de la loi de 2008 ?

Or, dans cette affaire, il est clair que la question de l’abolition ou de l’altération du discernement du meurtrier de Sarah Halimi fait débat entre les experts, qui restent divisés sur la question du rôle de la prise habituelle et volontaire de toxiques dans la dégradation du psychisme du meurtrier. La question dépasse donc largement le champ d’un débat technique devant une chambre de l’instruction. Elle dépasse d’ailleurs aussi l’affaire Sarah Halimi si l’on transpose les choses, par exemple, à la matière terroriste…

A qui d’en décider alors ? La loi de 2008 avait permis que l’on n’escamote plus les cas d’irresponsabilité pénale avérée dans le secret des cabinets d’instruction, mais l’intention du législateur n’était pas qu’elle puisse circonvenir le débat judiciaire lui-même. A quoi s’ajoute pour terminer une question qui ne manque pas de surgir à la suite de la décision de la cour d’appel de Paris : la reconnaissance de l’irresponsabilité pénale pour cause psychiatrique d’un meurtrier est-elle compatible avec la reconnaissance que l’auteur voulait donner à son acte un mobile antisémite, nécessairement conscient ? Une contradiction juridique dont, désormais, la Cour de cassation est saisie. L’affaire Sarah Halimi ne fait peut-être que commencer – et le débat sur l’articulation entre justice et psychiatrie que rebondir.

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