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Published on 21 February 2020

Observatoire de la haine - Antisémitisme en ligne: 51.816 contenus recueillis en 2019

Le Crif dévoile un nouvel outil, qui capte ce qui est publié sur internet, et montre le déferlement de contenus haineux et notamment antisémites.

«Nous comptons étendre progressivement cet observatoire aux autres haines qui sévissent sur les réseaux sociaux et qui gangrènent la société», explique le président du Crif, Francis Kalifat (ici, en mars 2018 à Paris). Sébastien SORIANO/Le Figaro

Publié le 20 février dans Le Figaro

Un accroissement régulier des crimes et délits à caractère antisémite, l’apparition d’un «nouvel antisémitisme» se parant d’antisionisme, et toujours autant de préjugés contre les Juifs. Alors que les actes antisémites ont encore augmenté (de 27 %) en 2019, après le bond de 74 % enregistré en 2018, le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) s’alarme parallèlement de «cet antisémitisme du quotidien, sournois… Pas celui qui tue, mais celui qui est fait de vexations et d’insultes.» Celui-là même que l’on retrouve sur les réseaux sociaux - majoritairement sur Twitter -, charriant des torrents de haine, de vieux clichés et de discours complotistes. C’est pour quantifier et analyser ces contenus qu’a été créé l’Observatoire de l’antisémitisme en ligne, qui publie aujourd’hui ses premières analyses.

«Quand on voit les violentes agressions verbales qu’a subies Alain Finkielkraut lors d’une manifestation de “gilets jaunes” en février dernier, rappelle le président du Crif, Francis Kalifat, on se dit que ce qui se passait auparavant dans le monde virtuel, derrière un écran, arrive désormais dans le monde réel: on est tellement habitué à l’impunité que nous donne l’anonymat, que finalement on passe à l’acte, même en pleine rue devant les caméras…» L’idée est donc d’observer «ce défouloir anonyme» que sont les réseaux sociaux,«afin de donner une image plus juste de ce qu’est l’antisémitisme dans notre pays, qui ne se mesure pas qu’avec les dépôts de plaintes, poursuit-il. Afin aussi de mettre les opérateurs devant leurs responsabilités, et de mesurer l’efficacité de la future loi Avia» visant à retirer certains propos haineux sous 24 heures.

«C’est la première fois que l’on bâtit un outil permettant de capter tout ce qui circule sur internet, explique Brice Teinturier, directeur général délégué de l’institut de sondages Ipsos. Un tel dispositif vise, en utilisant un matériau différent des enquêtes d’opinion et sociologiques classiques, à compléter notre compréhension des ressorts de l’antisémitisme et à comprendre les spécificités de celui qui s’exprime en ligne.» Un gigantesque projet qui a demandé plus de 600 heures de travail: d’abord, la collecte du contenu potentiellement antisémite sur internet, grâce à une liste de mots-clefs, sur plus de 600 millions de sources. Ensuite, une identification manuelle des messages réellement antisémites. Enfin, une classification, selon les quatre catégories d’antisémitismes définies par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA).

"Plongés dans « cette haine à l’état brut » à longueur de journée, les jeunes « data scientists » chargés d’analyser les posts ont dû avoir quelques haut-le-cœur"

Pour l’année 2019, ce sont 51.816 contenus antisémites qui ont été identifiés par l’observatoire. Si «seuls» 17.501 en avaient été recueillis pour l’année 2018, «c’est parce que tous les éléments de 2018 ont été rassemblés début 2019: la modération avait eu le temps de se mettre en place, commente Mathieu Gallard, directeur de recherche chez Ipsos. Tandis que désormais, nous collectons les éléments tous les trois mois.» Deux limites, toutefois, font que «ce contenu n’est une toute petite partie de la réalité, précise Brice Teinturier. Par définition, on n’a accès qu’aux comptes publics, or c’est probablement sur des comptes privés que l’on trouve les contenus les plus haineux. Ensuite, ces contenus sont censés avoir déjà été modérés. Mais cette “partie émergée de l’iceberg” est celle qui a l’influence la plus forte sur le grand public, tous les internautes pouvant y être confrontés.»

Plongés dans «cette haine à l’état brut» à longueur de journée, les jeunes «data scientists» chargés d’analyser les posts ont dû avoir quelques haut-le-cœur… «Encore un coup de ces sales enculés de juifs»«nique ta pute de mère avec ta vieille tête de youpin!»«et ta gueule de sioniste sale crétin»… Voilà un échantillon des«expressions directes et explicites de haine», selon la classification de l’IHRA, qui représentent 38 % des contenus. Les «stéréotypes ou allégations haineuses» sont majoritaires (52 %): on y retrouve des mots comme «Crif»«argent»«lobby»«Rothschild»«médias», et des messages sous-entendant que les Juifs disposeraient de relais puissants dans les milieux de pouvoir, leur permettant d’exercer une forte influence dans tous les domaines.

«Déni de la Shoah et apologie du nazisme»

La catégorie «haine des Juifs via la haine de l’État d’Israël» constitue 39 % des propos. On y note des références très nombreuses au «sionisme», terme assimilé à une politique criminelle soutenue par l’ensemble des Juifs et à l’Allemagne nazie, ainsi qu’une forte tendance au complotisme. Enfin, «le déni de la Shoah et l’apologie du nazisme», forme de haine la mieux modérée sur les réseaux sociaux, compte tout de même pour 13 % des contenus. Une catégorie essentiellement composée d’accusations agressives d’instrumentalisation de la Shoah, avec l’expression «Shoah business» qui revient souvent.

À partir de la fin 2020, «on créera un indice de la haine antisémite sur le net, prévoit Francis Kalifat. Dans un premier temps, nous nous concentrerons sur l’antisémitisme. Mais nous comptons étendre progressivement cet observatoire aux autres haines qui sévissent sur les réseaux sociaux et qui gangrènent la société: l’homophobie, le racisme, les propos antimusulmans ou antichrétiens.»