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Published on 15 May 2020

Crif - Dieudonné et le négationniste Robert Faurisson : les meilleurs amis du monde

A la suite de la diffusion de deux dernières vidéos antisémites de Dieudonné, le Crif a annoncé qu’il déposait plainte contre lui pour différentes infractions, dont la "contestation de l'ampleur ou de la réalité du génocide juif". Nous allons voir dans cet article quelle a été la relation qui s’est tissée au fil du temps, entre Dieudonné et le négationniste Robert Faurisson.

Par Marc Knobel, Historien et directeur des études du Crif

En 2006, Dieudonné était de plus en plus proche de Jean-Marie Le Pen, qu’il dénonçait pourtant quelques années plus tôt (1). Le Parisien raconte que cette année-là, Marc George (2), un militant d’extrême droite, va être à l'origine du premier rapprochement officiel entre Dieudonné M'bala M'bala et Jean-Marie Le Pen à la fête Bleu, blanc, rouge du Bourget (Seine-Saint-Denis). « Tu vas à la Fête de l'Humanité, dans ta démarche tu dois également te rendre aux BBR, lui conseille-t-il. Tu verras, tu seras bien reçu ! » L'entremetteur réussit son coup. Le 11 novembre 2006, une photo immortalise ce moment. Dieudonné, coupe de champagne à la main, salue Jean-Marie Le Pen, tout sourire. « Il leur arrive de se voir en dehors des caméras, précise un proche de Dieudonné. Le Pen trouve Dieudonné sympathique et réciproquement. Les deux se considèrent comme des parias. Le président du FN confirme cette nouvelle amitié : « Nous sommes amis ; je rappelle que je suis le parrain de sa petite Plume. C'est un chansonnier talentueux, c'est pour cela que j'étais dans les promenoirs du Zénith », confiait-il au Parisien.

Mais, Dieudonné compose également avec son autre grand ami, le négationniste Robert Faurisson. Ils se sont connus en 2004 et depuis leur rencontre, Faurisson est un proche. Le 28 décembre 2008, au Zénith de Paris, Dieudonné remet à Faurisson un « prix de l’infréquentabilité et de l’insolence » devant 5.000 spectateurs. Dans les travées du Zénith, quelques personnalités -dont l’animateur de télévision Julien Lepers- voisinent avec le gratin de l’extrême droite : Jean-Marie Le Pen, accompagné de son épouse Jany et de sa fille Marie-Caroline, ainsi que Patrick Bourson, associé du leader frontiste dans une affaire de champagne. Un peu plus loin, on trouve l’essayiste Alain de Benoist, Dominique Joly, un conseiller régional FN élu sur la liste de Marine Le Pen, Frédéric Chatillon (3), un ancien dirigeant du GUD (4) et Marc George, ancien du FN, alias Marc Robert, coordinateur de la campagne de Dieudonné pour la présidentielle de 2007. « Il y avait aussi des gens d’extrême gauche », tente de rééquilibrer l’humoriste, qui toutefois, sous prétexte de ne gêner personne, refuse de citer des noms. La militante propalestinienne Ginette Skandrani est là aussi, non loin du leader radical noir Kémi Seba, dont le mouvement de la Tribu Ka avait été dissous en 2006 par le ministère de l’Intérieur.

« Il est sur scène, il s’amuse comme un petit fou. Juste avant d’accueillir Faurisson, il fait monter Jacky Sigaux (5), son acolyte. Technicien de la première heure mais aussi compagnon de scène de Dieudonné, cet ancien du café de la gare cache sa radicalité derrière des postures d’homme libre. Et Jacky Sigaux est en chemise de nuit avec une énorme étoile jaune sur la poitrine. La salle adore. Jacky ne comprend pas pourquoi il doit se déguiser en juif. « C’est pour que les gens n’oublient pas ! », hurle Dieudonné. Et Jacky, ovationné par le public (6), quitte la salle en bêlant : « N’oubliez pas ! » Sur scène, Faurisson se voit remettre un trophée en forme de chandelier sur lequel sont plantées des pommes par un technicien (Jacky) habillé en pyjama à carreaux, avec une étoile jaune sur la poitrine et le mot « juif » inscrit dessus, évoquant un déporté juif. »

Les journalistes Abel Mestre et Caroline Monnot du Monde, dans une grande enquête (7) expliquent comment Dieudonné était devenu une sorte de caisse de résonnance de l’extrême droite française. Ces liaisons dangereuses, Dieudonné les assume totalement. Les journalistes se rendent au théâtre de la Main d’or, le 29 janvier 2008. Ce soir-là, Dieudonné donne une représentation de son spectacle « J’ai fait le con. » Le même show qui, un mois, auparavant, le 26 décembre, au Zénith, avait fait scandale. Ce 29 janvier donc, le spectacle est surtout dans la salle. Tout le gratin négationniste s’y donne rendez-vous, à l’invitation de Robert Faurisson, dont le 80ème anniversaire tombait quelques jours plus tôt. Mestre et Monnot racontent qu’un petit carré leur était réservé et que le garde du corps de Dieudonné veillait à la sécurité de Faurisson. Ses voisins dans la salle étaient Serge Thion et Pierre Guillaume, les principaux animateurs du site Internet négationniste de l’Aaargh, sous le coup d’une interdiction d’accès en France. A leurs côtés Ginette Skandrani, ancienne militante des Verts, exclue de cette formation pour ses collaborations avec le site Internet négationniste de l’Aaargh. Outre les négationnistes, il y avait plusieurs courants de l’extrême droite radicale, comme Charles-Alban Schepens, l’un des dirigeants du Renouveau français, un groupuscule, qui se réclame entre autres de Charles Maurras, du Maréchal Pétain et des Phalanges espagnoles. Il y avait aussi des membres du courant « nationaliste révolutionnaire » qui combine idéologie fasciste et anti-impérialiste (8). 

En mars 2009, cette fois, Dieudonné, hilare, filme un sketch avec Faurisson qui à cette occasion est coiffé d’une kippa. Puis il réalise un long-métrage, « L’Antisémite », coproduit avec une société iranienne. De quoi s’agit-il ? Dieudonné était l’un des membres du jury du festival du court métrage de Téhéran, 11 au 16 novembre 2009, organisé par la société du jeune cinéma iranien (JECI), elle-même membre de la Conférence internationale du court métrage (IFSC). Un groupe de 5 membres (9) était chargé d’évaluer les 256 films en compétition, parmi lesquels des récits, des documentaires, des essais et des courts métrages d’animation de 40 pays et 47 villes iraniennes. Après sa visite en Iran, fin novembre 2009, au cours de laquelle Dieudonné avait été reçu par le président iranien Mahmoud Ahmadinejad, il tient une conférence de presse au Théâtre de la Main d’Or dans laquelle il annonce qu’il vient de recevoir un budget pour réaliser un film sur la traite négrière (10). À cette occasion, il évoque la possibilité de réaliser un film sur le 11 septembre 2001, indiquant que « cette imposture du 11 Septembre arrive à son terme (11) ».

Dieudonné se lance alors dans une réalisation, mais de « L’Antisémite », une coproduction franco-iranienne dont le sujet gravite autour d’un personnage alcoolique et violent, déguisé en officier nazi pour un bal costumé. Le négationniste Robert Faurisson y joue pendant quelques minutes son propre rôle.

« Ça commence sur les chapeaux de roues avec une reconstitution façon “actualités Gaumont” de la découverte d’Auschwitz par l’armée US à la fin de la guerre. Séquence où les camps sont finalement représentés comme une succursale du Club Med, et les crematoriums comme les restes d’un énorme barbecue party entre déportés. Trois minutes à peine pour se mettre dans le bain du révisionnisme ambiant, en attendant quelques instants plus tard l’apparition en Guest de Robert Faurisson, présenté ici comme un sympathique historien incompris », raconte le magazine Première (12).

Le premier extrait (de 3 minutes) de « L’Antisémite » est accessible sur Internet. La date de sortie officielle est le 21 mars 2012. Dans ce court extrait, sur fond de piano tourné avec une couleur très années 1920, on peut voir un Américain, William Murdock (qui joue son propre rôle) inspecter une chambre à gaz. On reconnaît Jacky, son technicien, qui porte l’habit rayé des déportés (13). Le film n’est pas diffusé en salles mais commercialisé sur Internet pour ses seuls abonnés. Il est présenté le 15 janvier 2012 en avant-première au Théâtre de la Main d’or.

On voit bien défiler toute la stratégie mise en œuvre par Dieudonné. Le crime est totalement ridiculisé, il est décontextualisé, il devient un objet de moquerie, de drôlerie, de bouffonnerie. Et là, s’opère également sa négation. C’est ainsi que le négationnisme fonctionne chez Dieudonné. Il est couplé avec toutes les ficelles de l’antisémitisme. Mais, cette stratégie et cette convergence avec Robert Faurisson correspond aussi à une vision du monde que Dieudonné résume dans une interview publiée par l’hebdomadaire d’extrême droite Rivarol, le 11 mars 2011. Cette citation condense probablement tout ce que Dieudonné entend, comprend et veut débiter. Elle explique aussi pourquoi et comment Dieudonné s’est entiché de Faurisson, tout au long de ses années : « Les grands vainqueurs de la dernière guerre mondiale ce sont les sionistes. On a eu pendant la guerre l’occupation allemande ; aujourd’hui, c’est l’occupation sioniste. Non seulement la guerre n’est pas terminée, mais elle se durcit car l’occupant est pire que les précédents. » 

Comment s’étonner dans ces conditions qu’en octobre 2018, Dieudonné pleure la mort du négationniste ? Véritablement triste, il s’exclame : « Robert Faurisson nous a quittés, je perds un ami, un homme exceptionnel qui m’a beaucoup inspiré. Je sais que la soif de vérité à laquelle il était enchaîné est à présent apaisée, elle aura fait de sa vie une œuvre incomparable… Dans un monde normal, ta place sera au Panthéon [...] Tu es le seul homme pour qui je vais m’imposer un devoir de mémoire ».

 

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Notes :

1)      En janvier 2014, Jean-Marie Le Pen prend la défense de Dieudonné. Dans Paris Match, il évoque le lien désormais familial qui unit les deux hommes, puis il ajoute : « Je ne suis jamais allé aux spectacles de Dieudonné, mais j’ai regardé quelques-uns de ses DVD. Son humour va parfois loin. Il n’a aucun tabou, ne ménage personne. Mais cela ne me gêne pas. Il dépasse les bornes ? Je m’en fous. Quelle bornes ? Ce n’est pas mon affaire », explique le président d’honneur du FN ? « C’est un chansonnier, pas un professeur de maintien ou de morale. Et puis qui décide qu’il va trop loin ? Sur quels critères ? Est-ce que les dessins humoristiques qui me présentaient comme un étron de mouches allaient trop loin ? » Jean-Marie Le Pen semble oublier qu’il a assisté au spectacle de Dieudonné au Zenith, en décembre 2008. Dans un autre registre, le polémiste Éric Zemmour écrit dans Le Figaro Magazine, le 10 janvier 2014 : « L’acharnement soudain de la machine politico-médiatique contre Dieudonné ne manque pas de surprendre et de laisser un goût désagréable. La liberté impose le respect des idées et des opinions même scandaleuses ».

2)      Voir à ce sujet : https://dissidence.wikia.org/fr/wiki/Marc_George

3)      En février 2014, lors d’un procès intenté par Frédéric Chatillon, demandant le retrait de certains passages d’un livre du journaliste Frédéric Haziza, Vol au-dessus d’un nid de facho (Fayard), de fâcheux documents remontent à la surface. Comme le témoignage écrit d’un dénommé Denis Le Moal, un ancien militant du GUD, qui y détaille ses souvenirs avec Chatillon. Le Canard enchaîné du mercredi 5 février 2014, raconte le récit d’un meeting, en 1993 à la Mutualité : « qui s’est transformé en réunion faisant l’apologie du nazisme (…) se concluant par une série de « Sieg Heil », accompagnés de saluts nazis. » Mais aussi, ces dîners : « chaque année, le jour de l’anniversaire du Führer, le 20 avril (…). Au cours de l’un de ces dîners, dans un restaurant de Montmartre, il avait apporté avec lui un portrait peint d’Adolf Hitler. Un portrait que Chatillon nous présenta en prononçant ces mots : « Mon Führer bien aimé, il est magnifique », avant de l’embrasser. Sans parler de ces joyeuses « soirées pyjamas rayés, allusion aux tenues de déportés Juifs de la Seconde guerre mondiale ».

4)       Le Groupe union défense est un mouvement étudiant français d’extrême droite créé en 1968 par d’anciens dirigeants d’Occident, Alain Robert et Gérard Longuet. Il a officiellement disparu au début des années 2000. Il était essentiellement implanté à l’Université de Paris II Assas, où les militants se regroupaient au sein de l’Union de défense des étudiants d’Assas (UDEA) et se livrait volontiers à l’action violente ou au tractage, collage d’affiches, quelques réunions publiques et des camps paramilitaires pour les éléments les plus déterminés. Voir 20 minutes, « C’est quoi, le GUD? », 11 février 2008 et la chronologie suivante : https://www.france-politique.fr/groupe-union-defense.htm

5)       Marianne, « Jacky Sigaux, le régisseur », 11 au 17 janvier 1014, page 19.

6)        Dans un éditorial intitulé « Hitler et Voltaire » dans L’Express en date du 15 janvier 2014, Christophe Barbier écrit que « Dieudonné n’est pas un humoriste, il est un propagandiste ; il n’est pas politiquement incorrect, il est idéologiquement infect. Ceux qui vont l’applaudir sont des coupables s’ils partagent ses thèses ou des complices s’ils cautionnent sa pensée par leur présence et leur rire tout en plaidant la naïveté. »

7)       Abel Mestre et Caroline Monnot, « Les bons amis de Dieudonné », Le Monde, mercredi 25 février 2009, p. 16.

8)      Idem.

9)      Comprenant Shahabuddin Adel (Iran), Lassaad Jamoussi (Tunisie), Abdul Latif Ahmadi (Afghanistan), Dieudonné (France) et Valérie Linardi (Belgique).

10)   Conférence de presse du 28 novembre 2009.

11)   Source : http://www.youtube.com/watch?v=nJNt9pY_tFw&feature=related

12)   Romain Thoral, « L’Antisémite : le nanar bien nommé de Dieudonné », Premiere.fr, 10 avril 2012. Voir à ce sujet, Marc Knobel, Haine et violences antisémites, Berg International Editeur, 2013, pp. 62-66.

13)   Une dépêche de l’Institut du MEMRI diffuse les extraits vidéo: http://www.memri.org/clip/en/0/0/0/0/0/0/3319.htm

 

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