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Published on 19 June 2020

Monde - Au Canada, la mobilisation contre le racisme met en lumière les violences subies par les minorités autochtones

En quelques jours, plusieurs drames impliquant des Autochtones sont venus rappeler à quel point ils n’étaient toujours pas considérés comme des citoyens à part entière.

Publié le juin dans Le Monde

A Vancouver, Calgary, Edmonton, Toronto ou Montréal, les Canadiens ont été des milliers, début juin, à se mobiliser aux côtés de leurs cousins américains afin de protester contre le racisme et les violences policières, scandant à leur tour « Black Lives Matter ». Lors de la manifestation organisée à Ottawa le 5 juin, le premier ministre Justin Trudeau a posé un genou à terre en hommage à George Floyd, dont l’agonie filmée, le 25 mai, à Minneapolis (Minnesota), a soulevé un mouvement mondial de contestation.

Quelques jours auparavant, interrogé sur son refus systématique de commenter les attitudes et les actions de Donald Trump, il avait opposé un long silence. Vingt et une secondes d’un mutisme assourdissant et accusateur. « La critique la plus dure jamais portée contre le président américain », ont jugé certains commentateurs. « Une marque de plus de la lâcheté du premier ministre canadien », ont asséné quelques opposants politiques.

Le premier ministre canadien Justin Trudeau (au centre), pose le genou en hommage à George Floyd, le 5 juin à Ottawa.

Le premier ministre canadien Justin Trudeau (au centre), pose le genou en hommage à George Floyd, le 5 juin à Ottawa. DAVE CHAN / AFP

Mais sa difficulté apparente à affronter son puissant voisin n’a pas empêché Justin Trudeau de jeter une pierre dans son propre jardin. « Il est temps pour nous, Canadiens, de reconnaître que, nous aussi, nous avons nos défis. La discrimination est une réalité vécue par des Canadiens noirs et racisés tous les jours. Il y a de la discrimination systémique au Canada », a-t-il déclaré.

« Racisme systémique »

Le Canada n’a certes jamais adopté de lois raciales, telles les lois Jim Crow en vigueur aux Etats-Unis aux XIXe et XXe siècles, qui privaient les citoyens noirs de leurs droits et imposaient la ségrégation. Mais le pays a connu cependant jusque dans les années 1950 des clauses restrictives en matière immobilière qui interdisaient la vente de propriétés à des Noirs, à des juifs ou à des immigrants chinois.

Et, si un débat s’est bien engagé pour savoir s’il était judicieux de parler de « racisme systémique » − le premier ministre québécois, François Legault, rejette par exemple cette accusation −, des enquêtes récentes démontrent que des discriminations perdurent aujourd’hui encore en matière d’accès à l’emploi ou à l’éducation pour la minorité noire au Canada. Plusieurs responsables dans la police, notamment celui de la ville de Montréal, ont par ailleurs annoncé des mesures à venir pour lutter contre le profilage racial dont leurs services seraient encore complices lors d’interpellations.

Mais la vague de dénonciation du racisme qui a déferlé sur le Canada a surtout eu pour effet de pousser le pays à regarder en face le sort qu’il réserve à sa propre minorité stigmatisée et discriminée, celle constituée par les peuples des Premières Nations. En quelques jours, plusieurs drames mettant en scène des Autochtones sont venus rappeler à quel point ils n’étaient toujours pas considérés comme des citoyens à part entière.

Le 4 juin, une jeune femme de 26 ans appartenant à la communauté Tla-o-qui-aht, de l’île de Vancouver, est tuée par un policier au Nouveau-Brunswick au cours d’une opération de contrôle. Quelques jours plus tard, un Autochtone de la communauté micmac tombe lui aussi sous des balles de la police dans la même province. Entre-temps, le chef des Chipewyans d’Athabasca, en Alberta, accuse des agents de la gendarmerie royale du Canada (GRC) de l’avoir agressé pour un banal contrôle de plaque d’immatriculation et diffuse sur les réseaux sociaux des photos de son visage tuméfié.

Une enquête sur le racisme envers les Autochtones

Une enquête du 10 juin, dévoilant une trentaine de cas présumés de mauvais traitements infligés à des femmes inuites par la GRC au Nunavut est venue renforcer le noir tableau des conditions faites à cette minorité toute canadienne des Autochtones.

« Le racisme est partout, dénonce Roger Augustine, l’un des chefs de l’Assemblée des Premières Nations, c’est comme un virus, comme le Covid-19, il surgit dans nos collectivités et tue des jeunes comme des vieux. » Lui, comme de nombreux responsables autochtones, réclame qu’une vaste enquête mette au jour dans tous les systèmes – policier, judiciaire, sanitaire et éducatif – ce qui continue de nourrir le racisme envers leur communauté.

Le Canada n’en finit pourtant pas, depuis quelques années, de revisiter son histoire en considérant la façon dont les colons européens ont traité, dénaturé les modes de vie et parfois assassiné les premiers habitants des provinces dans lesquelles ils se sont installés il y a cinq siècles. Rapport de la Commission royale d’enquête sur les peuples autochtones en 1996, Commission vérité et réconciliation en 2015, Enquête nationale sur les femmes autochtones disparues et assassinées… Cette dernière concluait, en 2019, que « le système colonial, la loi sur les Indiens, la rafle des années 1960 [plus de 150 000 enfants autochtones enlevés à leur famille jusque dans les années 1970 pour être placés dans des pensionnats gérés par les communautés religieuses] figuraient parmi les fondements d’un génocide canadien visant tous les Autochtones, mais en particulier les femmes et les filles ».

En décembre 2015, Justin Trudeau, tout nouveau premier ministre, avait solennellement demandé pardon aux Autochtones au nom de l’Etat fédéral pour les sévices subis par leurs enfants pendant des décennies, après avoir endossé le terme de « génocide culturel ». Réélu à la tête d’un gouvernement minoritaire en octobre 2019, il avait de nouveau fait de la réconciliation avec les Premières Nations une priorité.

La mort de George Floyd aura eu cet effet de souffle de l’autre côté de la frontière : celui de rappeler au Canada sa responsabilité, celle d’adjoindre aux paroles des actes qui sortiraient ses premiers habitants de l’état de sujétion, de sous-développement et de discrimination, dans lequel ils restent durablement et largement maintenus.

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