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Published on 1 July 2020

Interview Crif - Arrêt de la CEDH : Maître Marc Bensimhon répond à nos questions

Jeudi 11 juin, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a condamné la France dans une affaire d'appels au boycott de produits israéliens. Historique de l'affaire, justice française et européenne, signification de l'arrêt de la CEDH : nous avons interrogé Maître Marc Bensimhon, avocat à la Coup d'appel de Paris et avocat du BNVCA, sur les aspects juridiques de cette affaire.

Propos recueillis par Marie-Sarah Seeberger

Le Crif - Maître, pouvez-vous rappeler l'historique de cette affaire ?

Maître Marc Bensimhon - Les faits remontent à 2009 et 2010, quand des militants du mouvement BDS avaient fait irruption dans un supermarché Carrefour, à Mulhouse, en criant "Israël assassin ! N'achetez pas de produits israéliens, ne donnez pas d'argent à Tsahal qui tue les enfants palestiniens à Gaza !". Ces séquences avaient été filmées et massivement diffusées sur Internet.

Nous avons été trois avocats de la partie civile représentant la communauté juive de France à déposer plainte auprès du Procureur de la République. Celui-ci avait ensuite cité les prévenus devant la Tribubal correctionnel. Les militants avaient cependant été relaxés. Nous avons ainsi décider de porter l'affaire devant la Cour d'appel de Colmar. La Coup d'appel nous a donné raison et a condamné les prévenus pour "provocation à la haine raciale".

Il faut bien comprendre une chose. En France, la liberté d'expression est la règle, et elle est incontestable sauf en cas de diffamation, de provocation à la haine raciale ou d'appel à la discrimination. Et nous sommes précisément dans ce cas dans cette affaire !

Suite à leur condamnation, les militants du BDS ont saisi différentes instances judiciaires, jusqu'au Conseil Constitutionnel et à la Cour de Cassation, qui ont également statué pour des faits de "provocation à la haine raciale". 

Les prévenus ont donc entrepris un ultime recours, devant la Cour Européenne des Droits de l'Homme (CEDH). Cette fois, plus de partie civile, puisque c'est l'Etat français qui était en cause. Les avocats n'étaient donc pas présents. J'ai tout de même déposé un mémoire de 27 pages, présentant notre argumentaire - validé plusieurs fois par les instances judiciaires françaises depuis le début de l'affaire.

Le 11 juin dernier, la CEDH a fait part de sa décision dans un arrêt qui condamnait l'Etat français et l'accusait d'avoir violé la liberté d'expression.

 

Le Crif - Que représente cet arrêt, et est-il définitif ?

Maître Marc Bensimhon - L'arrêt a été rendu par une Cour européenne. Ses décisions sont donc supra-nationales et doivent être appliquées par les Etats de l'Union européenne qui ont signé la Convention européenne des droits de l'Homme, dont la France.

L'arrêt stipule que l'action menée par le BDS est basée sur la liberté d'expression (Article 10 de la Convention européenne des droits de l'Homme). Mais nous ne sommes absolument pas dans le cas de l'expression d'un discours politique. Nous sommes dans le cas d'un discours de haine, comme l'a plusieurs fois souligné la justice française. Quand on crie "Israël assassin", on est en plein dans le discours de haine. On sait par ailleurs parfaitement que ces dicours peuvent engendrer des actes haineux d'une grande violence.

Il faut bien souligner qu'il s'agit d'une décision intermédiaire. Les activistes du BDS doivent maintenant saisir la Cour de cassation afin qu'elle demande un renvoi en Cour d'appel qui devra analyser si le principe de liberté d'expression a été bafoué.

Ce que nous demandons aujourd'hui, parties civiles, et institutions juives, c'est que l'Etat français fasse un recours devant la Grande Chambre de la CEDH pour réformer cet arrêt.

 

Le Crif - Quel message cet arrêt donne t-il vis-à-vis de l'impunité des activistes du BDS ?

Maître Marc Bensimhon - C'est un message tout à fait catastrophique qui est donné. Désormais, chacun peut librement faire son appel public au boycott, sans être inquiété. Je rappelle tout de même que l'appel public au boycott est un délit pénal en France...

Cet arrêt accorde aussi au BDS une légitimité totale d'action sur le sol français, avec les dégâts sécuritaires que l'on ne connaît que trop bien.

 

Pour rappel, suite à l'arrêt de la Cour Européenne des Droits de l'Hommes (CEDH) légitimant le boycott, le Président du Crif Francis Kalifat a adressé un courrier à la Garde des Sceaux et au Ministre des Affaires étrangères.