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Published on 12 November 2020

Chronique du dialogue Judéo-chrétien - Nostra Aetate ou la fin d’une course en solitaire

Le Crif vous présente sa nouvelle rubrique consacrée au dialogue Judéo-chrétien. Parce que pour dialoguer il faut être au moins deux, tous les deuxième jeudi du mois nous reviendrons sur un élément important des relations entre les deux communautés. Aujourd'hui, nous vous proposons un des textes fondateurs du dialogue : la déclaration conciliaire "Nostra aetate".

« Aucune religion n’est une île » écrivait le rabbin Abraham Heschel. 

Le texte proposé dans cette première chronique, la déclaration conciliaire Nostra Aetate, a-t-il comblé l’espace occupé par l’océan qui a séparé Juifs et Chrétiens pendant deux millénaires ? Retour sur un des textes fondateurs du dialogue, pour un regard apaisé sur une relation pour le moins houleuse.

La déclaration du Concile Vatican II sur la relation des Eglises aux religions non chrétienne intitulée Nostra Aetate dont l’article 4 est consacré au judaïsme, a été approuvée par les pères conciliaires le 28 octobre 1965 à une quasi-unanimité et immédiatement promulguée par Paul VI successeur du défunt Jean XXIII initiateur du Concile, qui avait décidé de concrétiser de manière décisive ce projet discuté lors de sa  rencontre avec Jules Isaac en 1960.

Sur ce 4ème article, Joseph Ratzinger alors expert conciliaire disait qu’ « une nouvelle page dans le livre des relations mutuelles » entre l’Eglise et Israël avait été écrite. 50 ans plus tard, alors successeur de Saint Pierre, il approfondira sa pensée dans une réflexion théologique très éclairante sur laquelle nous reviendrons dans une prochaine chronique « Les dons et l’ appel sont irrévocables. »

La réflexion s’engage immédiatement sur un ton direct et introspectif   : « Scrutant le mystère de l’Église, le saint Concile rappelle le lien qui relie spirituellement le peuple du Nouveau Testament à la lignée d’Abraham. »  C’est le premier volteface de Nostra Aetate, un volteface historique : au lendemain de la Shoah, l’Eglise catholique dans un sursaut vital reconnait puiser dans la tradition juive l’essentiel de son message universel et admet qu’il est rendu légitime par sa filiation « à la lignée d’Abraham », Abraham, père d’Isaac, Isaac, père Jacob, Jacob frère d’Esaü…

Pas de christianisme sans judaïsme, pas de salut sans ce raccord assumé, c’est la fin de l’Eglise triomphante sur la synagogue déchue. Le rapport de verticalité se fait horizontal. 

Alors pourquoi cette introduction ? Parce que le cœur du propos est ailleurs. Ce qui est au cœur du texte, c’est l’accusation de déicide.  Les Juifs sont -ils perfides selon le mot latin, c’est-à-dire parjures, comme cela fut récité durant des siècles dans la prière de l’Orémus  ? Ont-ils trahis l’Alliance ? Sont-ils aveugles comme cette représentation de la synagogue aux yeux bandés de la cathédrale de Strasbourg ? Aveugles à la messianité de Jésus, coupables de sa mise à mort . 

Voici ce que dit Nostra Aetate sur ce point nodal :

Encore que des autorités juives, avec leurs partisans, aient poussé à la mort du Christ , ce qui a été commis durant sa Passion ne peut être imputé ni indistinctement à tous les Juifs vivant alors, ni aux Juifs de notre temps. (…)D’ailleurs, comme l’Église l’a toujours tenu et comme elle le tient encore, le Christ, en vertu de son immense amour, s’est soumis volontairement à la Passion et à la mort à cause des péchés de tous les hommes et pour que tous les hommes obtiennent le salut. 

Et c’est cela qui va révolutionner les relations entre Juifs et Chrétiens, cette lettre ;  ce « l » changé en « d » ; ce non sont plus « les »Juifs mais « des » Juifs. C’est le second volteface de  Nostra Aetate, le volteface théologique.

Sur cette distinction fondamentale, le dialogue va pouvoir commencer. Nous sommes en 1965. Il aura fallu 6 millions de Juifs exterminés dont 1,5 millions d’enfants pour en prendre conscience. Et c’est une faiblesse du dialogue, il repose sur le reliquat des Juifs d’Europe , il repose sur ceux qui restent, il repose en fait sur la prise de conscience un désastre. 

Et à partir de là, nous pouvons réfléchir en termes de conséquences. Quelles sont les conséquences pour les Juifs ? 

Nostra Aetate pour les Juifs c’est revenir dans l’histoire, redevenir sujet de l’histoire, en finir avec ce statut d’objet, ce rôle étrange de miroir renversé  reflétant l’image de ce que le chrétien n’était pas, ne pouvait pas être, ne devait surtout pas être. Il était quelque part prévisible que la réception de cette révolution interne à l’Eglise catholique soit lente au sein du peuple juif. Parce que les Juifs ont toujours su que c’était du judaïsme que l’Eglise prenait racine.   Mais la rencontre eu lieu. Les préconisations de Nostra Aetate d’entretenir un dialogue théologique basé sur un lien spirituel avec le judaïsme se sont réalisées, et certains points de la déclaration conciliaire se sont précisés ou éclaircis  comme l’expression « nouveau peuple de Dieu » ou Verus Israël puisqu’elle figure dans la déclaration conciliaire.  

En 1965, Nostra Aetate ne fait pas tout et il figure dans ce texte des points délicats sur lesquels les postions de tous les successeurs de Jean XXIII et Paul VI viendront lever les ambiguïtés. Cette persévérance du Vatican à perdurer sur cette voie entérine chaque fois un peu plus les vertus du document conciliaire.  

Nostra Aetate est un socle du dialogue, il figure toujours comme référence dans les enseignements actuels, notamment dans le nouveau Directoire de la Catéchèse récemment publié. C’est fondamental, car c’est par l’enseignement et la répétition que l’Eglise montre cette nouvelle et unique voie en tournant définitivement le dos à un autre temps pour embrasser Notre Temps, traduction littérale de Nostra Aetate.

 

Pour lire la déclaration dans son intégralité, cliquez ici.

 

Stéphanie Dassa, Directrice de projets 

En charge des activités de la Commission du Crif des relations avec les Chrétiens. Membre élue du comité directeur de l’Amitié Judéo-Chrétienne de France.