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Published on 18 November 2020

Revue annuelle du Crif - Napoléon..., par Didier Leschi

La date d'aujourd'hui (5 mai 2021) marque le bicentenaire du décès de Napoléon Bonaparte, le 5 mai 1821. A cette occasion, nous vous proposons de (re)découvrir cet article spécial consacré à Napoléon et à la question de la laïcité.

Le Crif bénéficie régulièrement de l’expertise et des contributions, analyses et articles de nombreux chercheurs.euses et intellectuel.eles sur les nouvelles formes d’antisémitisme, l’antisionisme, la délégitimation d’Israël, le racisme et les discriminations, les risques et enjeux géopolitiques et le terrorisme, notamment.

L’institution produit également des documents dans le cadre de sa newsletter, de la revue Les Études du Crif, sur son site Internet et sur les réseaux sociaux, en publiant régulièrement les analyses et les points de vue d’intellectuels. Des entretiens sont publiés également sur le site. Pour la collection des Études du Crif, plus de 130 intellectuels ont publié des textes.

Chaque année, nous demandons à plusieurs intellectuel.les de bien vouloir contribuer à notre revue annuelle.

Si les textes publiés ici engagent la responsabilité de leurs auteur.es, ils permettent de débattre et de comprendre de phénomènes complexes (laïcité, mémoire, antisémitisme et racisme, identité…).

Dans les semaines à venir, vous aurez le loisir de découvrir ces contributions ! Bonne lecture !

 

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Napoléon..., par Didier Leschi

La laïcité a de vrai ennemis et beaucoup de faux amis. Ils ont en commun de perturber la paix collective en oubliant qu’il n’y a pas de civilité sans une certaine autodiscipline, et même une retenue qui permet de respecter l’autre sans abandonner ses légitimes convictions.

Depuis qu’elle existe, la situation faite aux juifs est un baromètre presqu’infaillible de l’état de la République. Et sa fin en 1940 a eu comme pierre angulaire l’exclusion des juifs de la citoyenneté.

Les ennemis de la laïcité, même s’ils n’en mesurent pas complétement la portée, ont l’intuition que la manière dont la Révolution a mis un terme à l’iniquité qui frappait les Français juifs est fondamentale dans l’histoire de notre laïcité publique, ce régime que l’on pourrait simplement définir comme étant l’inverse d’une société où une religion souhaite dominer toute vie sociale et être, même, la pierre angulaire du droit des gens. C’est pour cela qu’un ennemi de la laïcité est aussi celui résolu des juifs. Il le manifeste dès qu’il peut. Chacun a les noms en tête.

Avec le décret du 27 septembre 1791, qui libéra les juifs d’un statut d’infériorité, la Révolution a inscrit que chacun est porteur des mêmes droits quelle que soit son origine revendiquée ou assignée. C’était le complément nécessaire à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. L’Emancipation fut un élément indispensable à la construction de notre modernité politique, allant au-delà de l’Edit de Tolérance de 1787 qui accorda aux protestants un état civil en propre. Non une tolérance concédée, elle est l’affirmation de l’égalité de tous les êtres humains.

Dans l’élan de la Révolution, malgré des renoncements contraires à l’esprit des Lumières dont le funeste rétablissement de l’esclavage, Napoléon a prolongé le geste. Que son action n’ait pas été sans arrières pensées, marquée par des préjugés, cela est attesté. Mais, réunir des représentants des juifs, désignés par les préfets, afin de les interroger sur la conformité du judaïsme avec les principes juridiques de la société nouvelle est allé dans le sens d’une construction laïque. Plus encore, en réunissant en décembre 1806 un grand Sanhédrin, Napoléon permit aux autorités rabbiniques d’attester qu’elles faisaient leur cette idée clef qu’est la distinction entre le politique et le religieux. Ce principe est au cœur de cet aboutissement précieux qu’est la loi de 1905. Bien sûr, on ne peut oublier qu’en 1808 Napoléon cédants aux antisémites imposa des décrets de restrictions juridiques qui allaient à l’encontre de l’égalité acquise. Ce qui prouvait déjà que rien n’est jamais définitivement acquis. Mais le geste premier qui libéra aussi les juifs dans les pays conquis eut un retentissement dans toutes les communautés juives d’Europe. Alors que sa chute signa le retour des ghettos.

Face à des manifestations maladives d’identités religieuses dont le dynamisme s’appuie sur ces vents qui font, même au loin, de la foi le moteur de nouveaux génocides, peut-être que réhabiliter les questions posées au Sanhédrin aurait son utilité. Les réponses permirent de prouver que l’aversion envers les juifs reposait sur des préjugés fallacieux, que ce qui allait être définit comme l’antisémitisme allait bien au-delà de la religion. Quelle que soit leur sensibilité vis-à-vis de la Tradition, les rabbins le firent en montrant le caractère évolutif de leurs pratiques, ne reposant sur aucune lecture littérale de la Torah, preuve du caractère résolu de leur conscience civique.

Ces questions résonnent d’une étrange actualité :

– Première question : Est-il licite aux juifs d’épouser plusieurs femmes ?

– Deuxième question : Le divorce est-il permis par la religion juive ? Le divorce est-il valable sans qu’il soit prononcé par les tribunaux et en vertu des lois contradictoires à celles du Code français ?

– Troisième question : Une juive peut-elle se marier avec un chrétien et une chrétienne avec un juif ? Ou la loi veut-elle que les juifs ne se marient qu’entre eux ?

– Quatrième question : Aux yeux des juifs, les Français sont-ils leurs frères ou sont-ils des étrangers ?

– Cinquième question : Dans l’un et dans l’autre cas, quels sont les rapports que leur loi leur prescrit avec les Français qui ne sont pas de leur religion ?

– Sixième question : Les juifs nés en France et traités par la loi comme citoyens français regardent-ils la France comme leur patrie ? Ont-ils l’obligation de la défendre ? Sont-ils obligés d’obéir aux lois et de suivre les dispositions du Code civil ?

– Septième question : Qui nomme les rabbins ?

– Huitième question : Quelle juridiction de police exercent les rabbins parmi les juifs ? Quelle police judiciaire exercent-ils parmi eux ?

– Neuvième question : Ces formes d’élection, cette juridiction de police judiciaire sont-elles voulues par leurs lois ou simplement consacrées par l’usage ?

– Dixième question : Est-il des professions que la loi des juifs leur défende ?

– Onzième question : La loi des juifs leur défend-elle l’usure envers leurs frères ?

– Douzième question : Leur défend-elle ou leur permet-elle de faire l’usure aux étrangers ?1

Bien évidemment, il est possible de considérer que poser aujourd’hui de telles questions serait une forme de stigmatisation, et qu’aucun croyant français ou ayant le droit de résidence n’a rien à prouver. Mais c’était aussi le cas des juifs en 1806. Cependant, faire en sorte que chacun atteste que malgré les pressions idéologiques auxquelles il peut être soumis, il s’ancre bien ou ne pourra être détaché de la communauté nationale, ou de la communauté de vie au sein de laquelle il est résident, c’est tout l’enjeu du présent. Cette clarification mettrait un terme aux procès d’intention et aurait l’avantage, dans ce jeu de clarification, de mettre en demeure la France d’être à la hauteur de cette conception de la fraternité qu’elle exige de tous. Elle aiderait à la paix civile en laissant pleinement sa place à l’enjeu fondamental qu’est la lutte contre les discriminations sociales fondée sur l’origine réelle ou supposée des personnes, tout comme au droit pour chacun de croire ou ne pas croire, et même de critiquer une religion.

Cet article a été rédigé pour la revue annuelle du Crif.

Nous remercions son auteur.
 
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