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Published on 26 November 2020

Europe - Belgique : les préjugés antisémites et homophobes en hausse chez les jeunes croyants

Une étude à paraître de la Fondation Jean-Jaurès souligne l'existence de forts préjugés antisémites au sein des jeunes Belges francophones de Bruxelles, musulmans comme catholiques, par Joël Kotek et Joël Tournemenne.

Publié le 25 novembre dans L'Express

La jeunesse bruxelloise fait l'objet de toutes les attentions. En 2011, une équipe d'universitaires s'était penchée sur l'opinion des jeunes Flamands vis-à-vis des autres cultures, et notamment sur leurs préjugés ethniques. Selon cette étude, menée auprès de 1223 écoliers, près de la moitié des jeunes musulmans interrogés et 3% des catholiques pratiquants colportaient des clichés antisémites. Neuf ans plus tard, deux chercheurs du Centre européen d'études sur la Shoah, l'antisémitisme et les génocides (Ceesag), un laboratoire lié à l'université libre de Bruxelles, ont effectué durant deux ans un travail similaire auprès de la jeunesse, francophone, cette fois, de Bruxelles. Ils ont interrogé 1672 jeunes âgés de 16 à 22 ans, de toutes origines sociales, sur leur rapport à l'autre. En tenant compte, là encore, de la religion - 39% des sondés se revendiquent de l'islam, tandis qu'un sur quatre est catholique. 

Les résultats de cette radiographie, qui sera publiée prochainement par la Fondation Jean-Jaurès, sont encore plus inquiétants que ceux de 2011. "Si les représentations antisémites apparaissent globalement en régression, notent les auteurs, Joël Kotek et Joël Tournemenne, ce constat ne vaut toutefois pas pour les jeunes musulmans pratiquants de notre échantillon, qui ont trois fois plus de préjugés judéophobes, homophobes et sexistes que les non-croyants, les catholiques pratiquants en ayant, pour leur part, deux fois plus." Ainsi, les jeunes Belges musulmans estiment pour 36% d'entre eux que "le mariage gay devrait être aboli", quand 38% des jeunes Belges catholiques le pensent. Toujours selon cette étude, 33% des jeunes Belges catholiques pensent que les homosexuels "ne sont pas de vrais hommes", et 41% des jeunes belges musulmans. 

Un "récit complotiste largement amplifié par les réseaux sociaux"

Dans un autre registre, 22% des jeunes musulmans et 17% des catholiques pratiquants estiment que le drame de la Shoah a été "fortement exagéré". "Nos données font apparaître qu'une portion significative, mais non majoritaire, des musulmans partage avec de jeunes catholiques radicaux des représentations antisémites très prégnantes, comme la richesse supposée ou l'idée que les juifs contrôlent le monde", commentent les chercheurs.  

D'où vient cet antisémitisme ? Pour Hakim El Karoui, politologue, auteur en 2016 d'un rapport sur l'islam pour l'Institut Montaigne, il n'a rien à voir avec celui qui sévissait en France et en Allemagne dans les années 1930 : "A l'époque, il s'agissait d'une réaction de la majorité de la population contre cet 'autre' qui s'intégrait dans la société. Aujourd'hui, il provient surtout d'une minorité musulmane qui reproche aux juifs d'avoir réussi, contrairement à eux. Cette construction va de pair avec le grand récit complotiste ("les juifs sont l'incarnation de la puissance, nous en sommes les victimes"), largement amplifié par les réseaux sociaux." De fait, 28% des musulmans et 15% des catholiques pratiquants interrogés pensent que le Mossad est derrière les attaques du 11 Septembre... 

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© L'Express

Quel rôle jouent les parents dans cette dérive ? A la différence des deux chercheurs du Ceesag, qui croient en l'existence d'un "antisémitisme culturel et historique, transmis dès l'enfance", Hakim El Karoui estime que ces jeunes musulmans sont en rupture intellectuelle avec leurs parents : "Ils ne comptent pas sur eux pour leur transmettre des idées politiques et religieuses. Dans leur vision victimaire, et en circuit fermé, seul compte le respect, d'où leur rejet, par exemple, des caricatures de Charlie."  

Comment enrayer ces préjugés ? Parmi les pistes évoquées, la formation. Les deux auteurs de l'étude citent l'existence de programmes scolaires d'éducation à la citoyenneté ("La haine, je dis non") développés en lien avec la Fédération Wallonie-Bruxelles. "Il y a tout un travail de sensibilisation à faire au sein des écoles secondaires, confirme Patrick Charlier, codirecteur d'Unia, le centre interfédéral pour l'égalité des chances. Lutter contre l'oubli et le négationnisme ne suffit pas, il faut ancrer ce sujet dans les réalités d'aujourd'hui. À Bruxelles, le Musée juif [où a lieu l'attentat de 2014] tente par exemple, au travers d'expositions, de rapprocher les communautés juive et musulmane." C'est un début.