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Published on 30 November 2020

France - Menaces de mort, exil et protection policière : pourquoi l’imam de Drancy dérange

Il prêche le dialogue inter-religieux. Une position qui vaut à Hassen Chalghoumi, imam de Drancy (Seine-Saint-Denis), de s’attirer les foudres d’une partie de la communauté musulmane. Sa tête est mise à prix. Portrait d’un homme traqué.

Publié le 29 novembre dans Le Parisien

La sonnerie du téléphone semble s'égarer avant que Hassen Chalghoumi ne décroche. Où se trouve-t-il ? Celui qu'on appelle toujours l'imam de la mosquée de Drancy — même s'il n'y prêche plus depuis longtemps — garde jalousement le secret. Il est bien loin de « sa mosquée ». À des milliers de kilomètres, quelque part dans un Etat du Golfe où il réside désormais. Il y a établi sa famille et la rejoint dès qu'il le peut. Le reste du temps, c'est le téléphone qui le relie aussi à sa femme et à ses cinq enfants.

« Tous les matins, je les appelle. Car je ne sais pas si je vais terminer ma journée », lâche-t-il la gorge nouée. Pour se fondre dans l'anonymat, ses proches ont dû sacrifier aussi leur patronyme. « Mon nom, il circule partout, au Yémen, en Irak et en Tunisie, c'est pire », souffle-t-il. La Tunisie, sa terre natale, où un illuminé s'est jeté sur lui pour le frapper, en 2013, en criant « Chalghoumi traître ». « J'ai eu quatre côtes cassées, côté cœur. Ma femme a eu une fracture du nez et il a mis un coup de poing à ma fille », raconte-t-il au bord des larmes. On ne lui pardonne pas d'avoir été « Charlie », d'être l'imam ami des Juifs et récemment, d'avoir demandé pardon à la famille de Samuel Paty, l'enseignant décapité début octobre à Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines).

À 48 ans, Hassen Chalghoumi est un homme en sursis, exilé dans son propre pays, la France, sous protection policière permanente. Quand il se rend à la mosquée, coiffé de son inamovible calot blanc, c'est vêtu d'un gilet pare-balles. Et comme jadis Yasser Arafat pourchassé par le Mossad, il ne dort jamais deux nuits au même endroit quand il est en France. Il a mis sa maison en vente. « Dès que des acheteurs savent que c'est la maison de l'imam Chalghoumi, ils reculent », confie-t-il. Quand la pression est trop forte, comme c'est le cas en ce moment, il avoue : « Je suis perdu ». Sa tête a même été mise à prix. 150 000 euros.

« J'essaie de donner une image positive de ma religion »

Alors qu'est ce qui fait encore courir l'imam Chalghoumi ? « C'est le prix à payer par amour pour mon prophète, lâche-t-il d'une voix lasse. J'essaie de donner une image positive de ma religion. Et la France a tout donné à ma famille, ajoute-t-il, je lui dois bien ça. »

Jean-Christophe Lagarde, député UDI et maire à l'époque de Drancy lui a remis les clés de la mosquée en 2007. L'élu le reconnaît : « C'est sa raison de vivre. Une mission quasi mystique. C'est aussi une forme de reconnaissance sociale. Il a une paire de cojones bien accrochées, mais c'est cher payé ».

À ses débuts, « il prônait une version très stricte de l'islam »

Avant de prêcher un islam tolérant et de vivre un enfer sur terre, Hassen Chalghoumi a grandi dans une famille « religieuse mais libérale » dans la ville du Bardo, en Tunisie. Son père est vétérinaire, sa mère femme au foyer. Il raconte qu'après avoir tâté des geôles de Ben Ali, il part à l'étranger parfaire son apprentissage du Coran.

Il forge sa foi dans les madrasas (écoles coraniques) de Syrie et du Pakistan où il a suivi l'enseignement du Tabligh, un courant rigoriste de l'islam. Lui, préfère parler d'école « soufie », une branche mystique moins prosélyte. Quand Lagarde l'a vu arriver en 2004, il n'était qu'un simple imam d'un foyer Sonacotra de Bobigny. Il se souvient bien de cet homme en retrait, écorchant le Français : « Il n'était pas l'imam modéré qu'il est devenu. Il prônait une version très stricte de l'islam ».

En parallèle, il est « grand frère » dans les bus de la RATP, gérant d'une pizzeria qui fait faillite. Un collaborateur du préfet de l'époque se rappelle qu'il a aussi travaillé à l'aéroport de Roissy : « Son accréditation allait lui être retirée en raison de ses sympathies fondamentalistes ». C'est la très radicale UOIF (NDLR : Union des organisations islamiques de France, créée par les Frères musulmans) qui a plaidé son dossier en préfecture pour qu'il continue à exercer. « Il avait même failli être expulsé. » Puis il s'est normalisé. « Au contact des autres communautés, il est devenu modéré », analyse Jean-Christophe Lagarde qui pense sa démarche sincère. « Ses prises de position lui créent suffisamment de problèmes. »

Après les attentats de janvier 2015, Hassen Chalghoumi était présent lors des hommages aux victimes. LP/Matthieu de Martignac

Après les attentats de janvier 2015, Hassen Chalghoumi était présent lors des hommages aux victimes. LP/Matthieu de Martignac  

Chalghoumi devient un prédicateur modéré et désormais l'imam que tout le monde aime détester. Chez les extrémistes, dans le reste de la communauté musulmane et même au sein « sa mosquée ».

La mosquée Al-Nour de Drancy est un bâtiment insoupçonnable, sans minaret, bien caché au fin fond du parking derrière le Drive de Carrefour. Jean-Christophe Lagarde l'a voulue ainsi. Seul signe extérieur : le discret croissant qui surmonte le grand portail.

Devant les portes closes pour cause de pandémie, les fidèles n'ont pas de mots assez durs pour dépeindre le religieux. Hasni, 25 ans, jure qu'il ne l'a jamais vu guider un prêche en 8 ans : « Il vient prier de temps en temps. Des gardes du corps l'accompagnent ». Le jeune fidèle apprécie modérément leur présence : « C'est comme s'ils avaient peur qu'on fasse tout sauter ». Il raille cet imam « qui [les] affiche » : « Il parle comme un blédard, il nous représente mal. Tout le monde pense comme moi ».

Les rares personnes croisées ce vendredi-là restent en effet très critiques. Célia, 31 ans, moque « ce pantin de l'Etat à qui on souffle à l'oreille ce qu'il doit dire ».

« Sur le plan théologique il ne produit rien qui fasse autorité »

Hors de la communauté, on se montre aussi très critique. L'ancien préfet délégué à l'égalité des chances en Seine-Saint-Denis, Didier Leschi, remarque : « Il fait l'erreur de ne pas apparaître comme quelqu'un d'indépendant. Laisser Marek Halter se vanter que c'est lui qui l'a amené à Conflans ne joue pas en faveur de sa crédibilité. Il lui faut un tuteur. Mais il ne manque pourtant pas de courage ».

Quand ce préfet s'est efforcé de réunir toutes les sensibilités du culte musulman, il n'est venu qu'une seule fois : « Cela ne l'aide pas à rompre son isolement et le maintien en marge de l'ensemble des mosquées. Et sur le plan théologique il ne produit rien qui fasse autorité », souligne-t-il.

Devenu président de l'Institut européen en science des religions, Leschi tacle : « Ceux qui sont à l'extérieur de l'Islam l'adorent ». Hasni, le jeune croyant croisé devant la mosquée le pense aussi : « Il défend d'autres causes que de la sienne ». Entendez : ses sympathies affichées pour la communauté juive ne le servent pas. En 2005, il se recueille devant le mémorial de la Shoah à Drancy. Et c'est le début des ennuis. Sa maison est saccagée. L'imam devient une cible et aussi une marque de fabrique que l'on convoque sur les plateaux télé à chaque attentat.

Signe de sa notoriété, il est la risée des réseaux sociaux. Sur Facebook, une page dédiée brocarde « Chalghoumi la biquette du Crif (NDLR : le Conseil représentatif des institutions juives de France) ». Son président Francis Kalifat le soutient évidemment à 100 % et résume tout le paradoxe de l'imam Chalghoumi : « Il y a quinze ans, il a dit les choses avant tout le monde. Il a été le premier à dire que la communauté juive était menacée, le premier sur le lieu des attentats. Il ne devrait plus être le mouton noir, et pourtant… »

Sous protection policière depuis 2006

Fatwa, agressions physiques, insultes, moqueries, L'imam déchaîne les haines. La dernière en date a été repérée sur une vidéo postée sur Instagram, le 10 novembre par Yassine Belattar. L'animateur radio demande à Lofti Abdelli, acteur et humoriste tunisien : « Si tu pouvais venir chercher l'imam Chalghoumi, Wallah, je te revaudrais ça ».

Un signalement vient d'être déposé auprès du procureur de Paris par son avocat David-Olivier Kaminski. Il s'ajoute aux trois plaintes instruites par la brigade de répression de la délinquance contre la personne (BRDP). Et fait suite à quatorze ans d'anathèmes en tout genre. En conséquence, depuis 2006, l'imam Hassen Chalghoumi bénéficie d'une protection policière depuis qu'ont surgi les premières menaces. Elles sont allées crescendo.

En 2010, lorsqu'il soutient la loi interdisant le port de la Burqa, le voile intégral, les signaux d'alerte montent d'un cran. Pendant six mois il est pilonné par le collectif pro palestinien Cheikh Yassine qui fera le siège de sa mosquée pour réclamer son départ. Ils s'introduisent dans la salle de prière et l'imam doit être exfiltré. Car l'un des perturbateurs s'est écrié : « Aiqtalah aiqtala ! » (NDLR : « Tue-le »).

Abdelhakim Sefrioui est à la manœuvre dans cette entreprise de déstabilisation. Le mois dernier, ce dernier a été mis en examen pour complicité d'assassinat en relation avec une entreprise terroriste après la décapitation de Samuel Paty, enseignant dans un collège de Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines).

En 2013, avec une centaine d'imams, il s'incline devant le mémorial de la Shoah à Drancy. Les insultes fusent.

Mais c'est après la vague d'attentats sanglants de 2015 que la menace se fait plus sérieuse. À cause d'une fatwa de Daesh, il est classé « Uclat 2 ». L'unité de coordination de la lutte antiterroriste, l'Uclat, fixe le niveau de menace pesant sur des personnalités selon une échelle de 1 à 4. Les chefs d'Etat sont classés Uclat 1. L'imam se déplace avec six officiers de sécurité, puissamment armés, collés à ses basques et circule dans un véhicule blindé. Là encore la menace n'est pas feinte.

« Je suis la cible N°1 à abattre »

Le 13 novembre, le SPLP (service de protection des personnalités) identifie trois hommes armés devant sa maison. L'un d'eux tire : « Les CRS ont bloqué ma porte et les policiers m'ont fait monter à l'étage », se souvient-il. Il ne compte plus les menaces de mort, « au moins une centaine ». « Je suis la cible N°1 à abattre. » Puis le danger semble refluer. Depuis 2018, la protection a été réduite de moitié.

Mais en 2020 une nouvelle fatwa, relayée par l'Etat islamique, s'abat sur lui : « Votre cible est ce vieil homme exécutez-le ! Il est encore plus dégoûtant que ces mécréants de Français ». Sa tête est mise à prix. Un extrémiste belge promet 150 000 euros à qui voudra le tuer. En octobre dernier, au début du procès des attentats de 2015, sa sécurité a été de nouveau renforcée.

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