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Published on 6 September 2021

France - 13 Novembre : voici comment va se dérouler le "plus grand procès jamais organisé en France"

Le procès des attentats du 13-Novembre s'ouvre mercredi prochain pour huit mois dans l'ancien palais de justice de Paris, sur l'île de la Cité. Voici comment va se dérouler ce moment historique pour la justice française.

Publié le 2 septembe dans Le Journal du Dimanche

Un procès hors norme. Le procès des attentats du 13 novembre 2015, qui s'ouvre mercredi 8 septembre devant la cour d'assises spéciale de Paris, est la plus grande audience criminelle jamais organisée en France. Au moins 145 journées d'audience sont prévues jusqu'au 25 mai 2022, le dossier d'instruction compte un million de pages, 330 avocats y figurent, et 1.765 personnes, d'une vingtaine de nationalités différentes, se sont constituées parties civiles. Huit caméras enregistreront les débats au titre des archives audiovisuelles de la justice.

Un dispositif technique sans précédent. Dans le bâtiment historique du palais de justice de Paris, sur l'île de la Cité, une salle d'audience de 700 m2, la "plus grande jamais construite", a été bâtie. "Il était indispensable d’édifier une salle d’audience qui respecte le cadre historique de ce Palais de justice, qui permette d’accueillir un très grand nombre de parties civiles, et d’être à la hauteur des enjeux du plus grand procès jamais organisé en France", explique à Franceinfo Jean-Michel Hayat, le premier président de la cour d'appel de Paris. Au moins 17 salles annexes pourront retransmettre les débats et une webradio sécurisée permettra aux victimes de suivre les audiences de chez elles, en léger différé.

Salah Abdeslam entendu en janvier. Un des moments forts du procès sera l'audition de Salah Abdeslam, le seul membre du commando encore en vie. Son interrogatoire est prévu les 13 et 14 janvier 2022. Agé de 31 ans, ce proche d'Abdelhamid Abaaoud, le chef opérationnel des commandos, a abandonné sa ceinture d'explosifs dans la soirée du 13 novembre 2015 pour des raisons qui restent encore inconnues. Depuis, il a presque systématiquement gardé le silence face aux juges ou lors de son procès à Bruxelles en 2018, où il a été condamné à vingt ans de prison pour avoir tiré sur des policiers en 2016. Il risque la perpétuité.

Vingt personnes jugées. En plus de Salah Abdeslam, 19 autres personnes seront jugées.

  • 14 seront présentes (11 sont détenues et prendront place dans le box des accusés, trois comparaîtront libres). Parmi elles, Mohamed Abrini (jugé pour avoir accompagné en région parisienne les commandos du 13-Novembre et participé à leur financement et à la fourniture de leurs armes, également impliqué dans les attentats de Bruxelles), Mohammed Amri (qui a reconnu être allé chercher Salah Abdeslam en voiture le soir des attentats pour le ramener en Belgique), Mohamed Bakkali (considéré comme un des logisticiens du commando) ou encore Osama Krayem (un compagnon de cavale de Salah Abdeslam à Bruxelles après les attentats de Paris).
  • 6 sont absentes, dont 5 sont présumés mortes. Il s'agit notamment des frères Fabien et Jean-Michel Clain, tous les deux identifiés dans le message audio revendiquant les attentats du 13-Novembre (ils auraient été tués en février ou mars 2019 dans une frappe aérienne en Syrie) ou encore d'Oussama Atar, considéré comme l'un des responsables de la branche renseignement du groupe Etat islamique et un ordonnateur des attentats parisiens (il aurait été tué dans une frappe occidentale en Syrie en 2017).

De la jeunesse en défense, un président expérimenté. A 31 ans seulement, Olivia Ronen aura la délicate tâche d'assurer la défense de Salah Abdeslam. Profil bien éloigné du médiatique ténor du barreau de Lille Frank Berton, un temps l'avocat du dernier survivant du commando, elle a été officiellement désignée en novembre 2020. C'est Salah Abdeslam lui-même qui a pris contact avec elle, il y a trois ans, depuis la prison de Fleury-Mérogis où il est détenu sous très haute sécurité.

A l'inverse, le magistrat qui a été choisi pour présider le procès historique est très expérimenté. A 65 ans, Jean-Louis Périès vivra même son dernier procès avant la retraite. Il s'y prépare depuis près d'un an et demi, presqu'exclusivement. "C'est un magistrat qui a le sens de l'humain", résume Jean-Michel Hayat, Premier président de la cour d'appel de Paris, quelqu'un "au très fort caractère", ajoute Me Sarah Mauger-Poliak. Jean-Louis Périès sera épaulé par deux autres présidents d'assises pour le procès : la première assesseure Frédérique Aline et la magistrate honoraire Xavière Siméoni.

Trois avocats généraux représenteront l'accusation, portée par le parquet national antiterroriste : Camille Hennetier, Nicolas Le Bris et Nicolas Braconnay.

Les temps forts du procès. Jean-Louis Périès doit déclarer les débats ouverts mercredi à 12h30. En raison du très grand nombre de victimes, la cour procédera pendant deux jours à l'appel des parties civiles constituées et examinera d'éventuelles nouvelles constitutions, avant de faire l'appel de plus d'une centaine de témoins. Le président fera le troisième jour la lecture de son rapport, résumant les quelque 500 tomes du dossier.

  • Les premiers témoins sont attendus à la barre à partir du lundi 13 septembre : ils donneront une vue d'ensemble de la tentaculaire enquête franco-belge et des premiers éléments recueillis sur les neuf scènes de crime des attentats. A partir du 28 septembre et pendant cinq semaines complètes, la cour doit entendre les témoignages des rescapés et des proches des victimes des attentats. A l'issue de ces auditions, la cour interrogera pour la première fois les accusés présents sur leur personnalité et leur parcours, sans évoquer à ce stade leur positionnement religieux ni les faits.
  • L'ancien président de la République François Hollande est attendu pour témoigner le 10 novembre. Son ancien ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve doit témoigner le 17 novembre. A partir de la mi-novembre, les débats feront une large place aux enquêteurs français et belges afin de remonter la piste des commandos puis de retracer la logistique des attentats et le rôle précis de chacun des accusés.
  • En janvier, Mohamed Abrini sera le premier accusé à être interrogé. Puis ce sera au tour de Salah Abdeslam les 13 et 14 janvier 2022. Tous doivent être réinterrogés à plusieurs reprises, courant février et mars 2022, sur les actes préparatoires des attentats.
  • Les quelque 300 avocats de parties civiles doivent commencer à plaider le 6 avril et jusqu'au 22. Puis le parquet dira quelles peines il sollicite à l'encontre des accusés lors d'un réquisitoire à trois voix prévu du 2 au 5 mai. Douze encourent la perpétuité. La défense aura la parole du 6 au 23 mai.
  • Au terme de neuf mois d'audience, la cour d'assises spéciale doit rendre son verdict et en expliquer les principales motivations. A ce stade, la lecture du délibéré est prévue les 24 et 25 mai.

Abdeslam sortira-t-il de son silence? La cour arrivera-t-elle à lever les dernières zones d'ombre du dossier, à commencer par le rôle exact joué par Salah Abdeslam? Resté mutique pendant l'instruction, le Franco-Marocain de 31 ans n'a pas dévoilé ses intentions. Sa défense ménage le suspense et les parties civiles se préparent déjà à se heurter à un mur de silence. "Ce procès promet d'être chargé en émotions, la justice se devra toutefois de les tenir à distance si elle ne veut pas perdre de vue les principes qui fondent notre Etat de droit", mettent en garde les avocats de Salah Abdeslam. "Nous veillerons à ce que ce procès exceptionnel ne devienne pas un procès d'exception."