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Publié le 22 Novembre 2010

Bruxelles : loi «génocide» sans la Shoah ?

Dans son rapport rendu public la semaine dernière, le comité de pilotage des Assises de l’Interculturalité suggère de revoir le champ d’application de loi du 23 mars 1995 « tendant à réprimer la négation, la minimisation, la justification ou l’approbation du génocide commis par le régime national-socialiste allemand pendant la seconde guerre mondiale ». Cette loi, jugée « essentielle dans la lutte contre le racisme », serait maintenue dans l’arsenal législatif belge. Mais le Comité recommande d’en supprimer la référence explicite à la Shoah « de manière à permettre aux juges de pouvoir l’appliquer à d’autres génocides ». Le génocide jeune-turc ottoman pendant la première guère mondiale et le génocide commis par le régime dit « hutu power » au Rwanda en 1994 sont évidemment visés.




« Faire disparaître la référence à la Shoah dans une loi spécialement créée pour cela est tout simplement inacceptable », s’indigne Maurice Sosnowski, président du Comité de coordination des organisations juives de Belgique. Vendredi dernier, les représentants du CCOJB devaient exprimer leur mécontentement à la ministre de l’Egalité des chances, Joëlle Milquet (CDH).
Une délégation du comité des organisations juives flamandes devaient être également présente. Ce même Forum qui, au terme des Assises de l’Interculturalité, avait vivement déploré le fait de ne pas figurer parmi les membres du Comité de pilotage. Evoquant une « attitude méprisante de la part de la ministre francophone ». Quoi qu’il en soit, cette suggestion est une étape de plus dans un dossier politico-historique épineux. Une approche « maladroite », dit le CCOJB rejoint par l’association rwandaise Ibuka-Belgique et par le Comité des Arméniens de Belgique. Pour son président, Michel Mahmourian, « l’élargissement de la loi est une bonne chose, mais la formule choisie est catastrophique ». Juifs, Rwandais et Arméniens rappellent que la loi de 1995 se réfère explicitement au génocide nazi « non pas pour honorer les victimes mais parce qu’une telle référence était et reste juridiquement indispensable ». Et rappellent l’« effet dissuasif » et l’« efficacité judiciaire » de celle-ci. En 2004, le gouvernement Leterme a soumis à la Chambre un projet de loi visant à étendre la loi de 1995. Après un débat parlementaire houleux, il a renoncé. Avant de confier ce dossier sensible à une commission « droits de l’homme » composée d’experts (juristes, historiens…). Des auditions ont été réalisées, mais aucun rapport n’a jamais vu le jour. Entre-temps, le 28 novembre 2008, le Conseil européen a adopté une décision-cadre relative à la lutte contre le racisme et la xénophobie engageant les Etats membres à réprimer pénalement toute forme de négationnisme. « Un texte fort et précis », insiste Michel Mahmourian. Appelant le futur gouvernement fédéral à ne pas tenir compte de l’avis des Assises et de réviser la législation en intégrant tout simplement les génocides arménien et rwandais : « Un texte existe, la Cour d’arbitrage a tranché, les tribunaux ont déjà été saisis. Pourquoi compliquer les choses ? » Autant de sujets évoqués vendredi dernier lors de la rencontre entre le CCOJB, le Forum et la ministre Milquet. Avec, en arrière-fond, deux questions toujours controversées : jusqu’où ce type de loi est en contradiction avec la liberté d’expression ? Est-ce au législateur de définir ce qu’est l’Histoire ?



Un article de Hugues Dorzee, publié dans l’édition du 19 novembre 2010 du journal belge Le Soir.



Photo : D.R.
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