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Publié le 28 Février 2011

Catholiques et juifs, entre mémoire et actions

Le Comité de liaison catholique-juif international, organe de dialogue entre les hautes instances du judaïsme mondial et des représentants du Vatican, se réunit à Paris. Occasion de faire le bilan de quarante ans de dialogue judéo catholique en France, en Europe et dans le monde.



Né en 1970 de la volonté du Saint-Siège et de plusieurs organisations internationales représentatives du peuple juif regroupés au sein du Comité juif international pour les consultations interreligieuses (IJCIC), le Comité de liaison catholique-juif international fête ces jours-ci à Paris ses 40 ans d’existence. De nombreuses personnalités catholiques et juives venues du monde entier se retrouvent pour l’occasion au Collège des Bernardins.



Lors de la première rencontre du comité qui se tenait à Paris en 1971, le grand rabbin Jacob Kaplan s’était exprimé ainsi : «Je voudrais rappeler la parole de l’un des maîtres de la tradition juive, une parole qui se trouve dans le Talmud mais qui est aussi rapportée dans les Écritures chrétiennes. “Si ce qui se passe en ce moment, si la discussion qui va s’ouvrir n’est pas leshem shamaïn (pour le Nom du Ciel) elle se défera d’elle-même et n’aura pas d’avenir; si en revanche elle est leshem shamaïm, elle durera.”»



Dans son livre d’entretiens avec le cardinal Barbarin (1), Gilles Bernheim, grand rabbin de France, décrypte le sens de ce message : « Le grand rabbin avait alors voulu expliquer qu’entre juifs et chrétiens, ce qui doit exister ce n’est pas la controverse du Moyen Âge où chacun se doit d’emporter la conviction et l’adhésion de l’autre, mais ce qui s’appelle en hébreu lamahloqet, c’est-à-dire un lieu où chacun découvre la vérité de l’autre dans l’échange et la rencontre.»



Un dialogue éthique, anthropologique, mais aussi religieux



« Rien ne serait plus faux que de parler de ces rencontres comme de moments de dialogue théologique », avertit néanmoins le P. Patrick Desbois, directeur du Service national pour les relations avec le judaïsme de la Conférence des évêques de France. « L’IJCIC rassemble des représentants des trois principales branches du judaïsme – orthodoxe, “conservatrice” et libérale – mais aussi des juifs qui ne sont pas religieux.»



Reste que le dialogue n’est pas seulement éthique ou anthropologique, mais aussi religieux puisqu’il repose sur une vision commune de l’homme, créé à l’image de Dieu, et sur une exigence morale nécessaire à la vie en communauté trouvant son origine dans la révélation du Sinaï : le don de la Loi et des commandements.



«Ces dernières années, confirme le P. Desbois, une volonté de coopération pratique à partir de ce que les Dix commandements impliquent s’est affirmée. La parole de Benoît XVI, qui rappelle que les Dix commandements sont le lieu principal où juifs et catholiques peuvent se rencontrer, a été bien reçue. C’est ainsi qu’une coopération pour lutter contre le sida a par exemple été décidée lors des rencontres du Cap en 2006, ou une coopération financière pour lutter contre la pauvreté lors de celle de Buenos Aires en 2004.»



« Le dialogue judéo-chrétien a pu prendre son essor à partir du moment où il a pu s’engager dans la société civile », rappelle de son côté Richard Prasquier, président du CRIF et membre du Comité de liaison.



« Ce n’est pas un hasard puisque les hommes qui ont initié ce dialogue, notamment Jules Isaac (2) n’étaient pas des religieux, et qu’il s’est développé après la Shoah qui ne pouvait qu’interpeller les uns et les autres, ouvrir une réflexion sur la capacité de l’être humain à céder au mal. Aujourd’hui, nous luttons ensemble pour la cause de l’homme, de sa dignité, et de ses droits, et pour la liberté religieuse mise en danger par les intégrismes qui ont le vent en poupe. Ceci ouvre un vaste champ d’action commun…»



"Un énorme travail accompli dans les esprits"



Le bilan de quarante années de dialogue qui sera dressé par les participants durant les trois jours que dure la rencontre devrait refléter cette attitude. Il devrait aussi mettre en évidence le changement radical intervenu dans la nature du dialogue entre catholiques et juifs depuis la guerre, grâce à la déclaration conciliaire Nostra ætate (1965) qui a ouvert la porte à la reconnaissance mutuelle des juifs et des chrétiens.



Et grâce à l’enseignement et aux initiatives d’une grande portée symbolique prises par le pape Jean-Paul II – reconnaissance par le Saint-Siège de l’État d’Israël en 1993, visite à la grande synagogue de Rome en 1986, pèlerinage à Jérusalem, prière à Yad Vashem et au Mur occidental du Temple en 2000.



« Aujourd’hui, assure Richard Prasquier, la majorité des juifs savent que l’Église a renoncé à la théorie de la substitution de l’Ancienne à la nouvelle Alliance, qu’elle reconnaît l’existence de racines communes entre juifs et chrétiens, condamne toute forme d’antisémitisme, reconnaît que l’anti-judaïsme prêché pendant des siècles a anesthésié de nombreuses consciences chrétiennes dans l’Europe de la guerre.»



La participation de nombreux évêques français aux rencontres devrait être le signe tangible de la persistance de cet engagement. « Malgré les risques d’interférences liées principalement au Moyen-Orient, malgré les tensions liées à la mémoire de la Shoah, à l’attitude de l’Église et du pape Pie XII face à ce drame, un énorme travail a été accompli dans les esprits des chrétiens comme des juifs », affirme Richard Prasquier. «Les esprits les plus hostiles, indifférents ou sceptiques le reconnaissent.»



Par Martine de Sauto. Article publié dans la Croix du 28 février 2011.



Notes :
(1) Le Rabbin et le Cardinal (Stock, 2008).
(2) Jules Isaac (1877-1963). Historien et écrivain français, animé de convictions profondément laïques et républicaines. Il est entre autres l’auteur de Jésus et Israël. Après avoir perdu des êtres chers à Auschwitz, il fonda l’Amitié judeo-chrétienne et frappa à la porte de Pie XII puis Jean XXIII pour que l’enseignement «du respect» succède à enseignement «du mépris».
Photo : © 2011 Erez Lichtfeld