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Publié le 4 Mai 2011

Claude Lanzmann : «Mon sentiment est que la lutte est indispensable, elle doit être première. J'ai gardé ce sentiment de résistance. Demandez donc à mes ennemis»

Claude Lanzmann, l'illustre réalisateur de "Shoah", était ce mardi 3 mai en Israël. Intervenu dans l'école Mikve Israël à Holon, près de Tel Aviv, il a pris le temps de répondre aux questions de jeunes collégiens. Après son intervention, il a accordé un entretien particulier à Guysen TV. Cette interview sera diffusée au cours du JT de 19h du mercredi 4 mai 2011.




Répondant à une élève qui lui reprochait de ne pas avoir construit Shoah de façon chronologique, il a expliqué sa logique. "Il n'y a rien d'harmonieux dans l'extermination. Il fallait organiser autour de la violence, partir de là. Ce n'aurait pas été sérieux de respecter la chronologie", a-t-il rétorqué.



"Il reste encore des choses à dire, des choses essentielles. Même si elles ont été dites, il faut revenir dessus. Même lorsque vous croyez tout savoir d'ailleurs", a-t-il ajouté.



Le réalisateur a ensuite évoqué les obstacles auxquels il a dû faire face pour le tournage, notamment pour les interviews des nazis. "C'était plus dur d'un point de vue pratique que psychologique. Lorsqu'ils essayaient de me parler d'eux, je leur expliquais que ça ne m'intéressait pas. Ce n'était pas le but de ma venue, je voulais savoir comment avaient-ils pu tuer 18 000 personnes par jour à Treblinka? Pourquoi? Il y a plus de vérité dans ce genre de propos que dans toutes les réflexions pompeuses que vous pouvez lire. J'ai certainement eu des problèmes psychologiques à cette époque, mais je ne suis pas quelqu'un qui abandonne. C'était certainement difficile parfois, mais j'ai persévéré", a-t-il confié, avant de partager quelques secrets de tournage avec son audience.



"Les archives ont laissé des noms. Avec les documents, j'ai constitué une liste de 250 noms. À cette époque, je cherchais encore, je n'avais pas le coeur du sujet. En Allemagne, il y a un organisme qui est chargé de l'identification et de la poursuite des criminels nazis. Donc je suis arrivé chez eux et je leur ai soumis la liste. Ils m'ont donné les adresses qu'ils avaient à leur disposition, mais parfois elles étaient trop vieilles. Je vais vous donner un exemple. J'étais à la recherche de Monsieur X et j'avais son adresse: la rue, le numéro, j'avais tout. Je m'y suis rendu et une fois arrivé là-bas, le nouveau propriétaire m'a dit que celui que je cherchais était parti depuis 15 ans.



Heureusement en Allemagne il y a un organisme que vous devez contacter lorsque vous changez de ville. Je suis donc parti les voir et ils m'ont fourni une nouvelle adresse, dans le Nord du pays. À nouveau, je me suis rendu à l'adresse qui m'avait été fournie. Une fois là-bas, celui que j'ai trouvé dans la maison m'a dit que deux ans après son arrivée, le nazi que je cherchais avait déménagé. Ces gens-là bougent énormément vous savez.



Bref, j'ai rencontré des difficultés énormes. J'ai subi beaucoup d'échecs, mais également des réussites", a-t-il affirmé. Son film, long de neuf heures, nous a d'ailleurs prouvé à tous la persévérance dont il a fait preuve et son talent.



"Parfois, quand je trouvais finalement ceux de qui j'étais parti à la recherche, il arrivait qu'ils soient morts la veille. Au début je téléphonais avant de venir et j'étais naïf, je leur donnais mon nom et je leur expliquais que je voulais tourner un film sur la Shoah. On m'a souvent raccroché au nez. Pour les autres refus, j'entendais les femmes crier 'Appelle la police!' à leurs maris. Chez les nazis, excusez-moi l'expression, mais ce sont les femmes qui portent la culotte. Ces bourreaux étaient des agneaux devant leurs épouses. Après j'ai arrêté de téléphoner et j'y allais directement.



La plupart des interviews se sont déroulées sur le seuil de la porte, ils ne voulaient pas me faire entrer. Pour les faire participer réellement à mon film, j'ai tout essayé. J'ai passé des nuits entières à boire avec eux, à les saouler, mais rien n'y a fait. Par ailleurs, tous les nazis que j'ai filmé ne sont pas dans Shoah", a-t-il expliqué.



"Au fur et à mesure, je suis allé plus loin dans le subterfuge et la tromperie. Grâce à une merveilleuse invention, j'ai pu cacher la caméra. Elle était cylindrique et elle tenait dans un sac de femme en toile. Généralement je décorais le sac avec des étoiles faites de papier argenté. Le papier argenté a la particularité de laisser passer la lumière. À un endroit précis, je découpais un rond dans la toile pour ne mettre que du papier argenté et je plaçais l'objectif de la caméra là. Tous n'ont pas été filmés comme cela, mais cette caméra a révolutionné le tournage", a-t-il continué.



Claude Lanzmann a affirmé que lorsque son film est sorti, il n'imaginait pas qu'il connaîtrait un si grand succès. Aucun des nazis qui sont présents dans le film n'a réagit après la diffusion de celui-ci.



Au cours de l'entretien qu'il a bien voulu accorder à Guysen, M. Lanzmann est revenu sur ses années passées dans la Résistance. "Evidemment, cela marque une vie. Mais c'était la meilleure façon de survivre, il valait mieux résister et se battre avec tous les dangers que cela impliquait plutôt que de se laisser passivement arrêter. Mon sentiment est que la lutte est indispensable, elle doit être première. J'ai gardé ce sentiment de résistance. Demandez donc à mes ennemis", a-t-il sourit.



En dépit de son passé et de l'importance qu'il accorde à la mémoire de la Shoah, le cinéaste est connu pour ses critiques contre les cérémonies organisées. "Je ne critique pas la mémoire, au contraire c'est essentiel. Simplement je n'aime pas ce que l'on appelle aujourd'hui le devoir de mémoire. Cela signifie que l'on estime que l'oubli existe, mais comment oublier.



Avant que le 16 juillet 1942 (date de la Rafle du Vél d'Hiv, ndlr) ne soit reconnue comme une date officielle pour la France – pour laquelle s'est battu avec force mon ami Serge Klarsfeld –, nous nous réunissions en plus petit comité pour se souvenir. C'était comme une sorte de secret commun partagé. Aujourd'hui les commémorations n'ont plus rien à voir. À l'ancien emplacement de l'ancien Vél d'Hiv, il n'y a plus rien. Mais des fauteuils rouges en gros velours sont placés sur lesquels s'installent les hauts responsables de l'Etat. Ils prononcent de très bon discours, écrits par des conseillers, très bien d'ailleurs, mais ils ne viennent pas d'eux.



Cela illustre très bien la formule de Flaubert dans Madame Bovary 'L'oblique génuflexion des dévots pressés'. Bien sûr nous avons gagné quelque chose en faisant reconnaître cette date, mais je pense que nous y avons aussi perdu quelque peu", a estimé M. Lanzmann. Le jour de Yom Hashoah, j'étais ici en Israël. J'ai trouvé cela très émouvant lorsque tout le monde s'est arrêté deux minutes pour se souvenir de cet événement majeur de l'Histoire de l'Humanité. Je critique, mais dans le même temps je n'ai aucune meilleure idée à proposer", a-t-il déclaré.



"Je trouve cela très bien que les Musées et les institutions mettent en place des cérémonies. En même temps qu'elles instaurent la mémoire, elles instaurent l'oubli me semble-t-il. Regardez, la guerre de 1914-1918, personne ne l'a oublié bien que le dernier Poilu soit mort. C'est idiot cette crainte que lorsque les survivants seront morts, on oubliera. Comment oublier une chose pareille? Des négationnistes il y en a toujours eu, ils ne l'emporteront pas", a-t-il estimé.



Claude Lanzmann nous a ensuite raconté les souvenirs qu'il avait de la sortie de son film et la façon dont le titre qu'il a accordé à son long-métrage est devenu le nom que l'Histoire a gardé pour qualifier l'évènement. "Je me souviens très bien que lors de la première du film au Théâtre de l'Empire en 1985, ceux qui avaient imprimé les cartons d'invitation m'ont demandés de traduire Shoah, en argumentant : 'On ne comprend pas que ce que cela signifie'.



Je leur ai répondu que justement c'était ce que je voulais, on m'a pris pour un fou. Mais on ne peut pas nommer cela. Pendant le tournage, j'appelais cela "La Chose", je ne trouvais pas de nom. Comment donc donner un nom? Ensuite les choses se sont rapidement enchaînées, je ne savais pas que je venais de commettre un acte de nomination radical. Tout le monde utilise le terme de Shoah, sauf les Américains qui sont idiots et qui ont leur raison pour l'être", a-t-il ajouté.



En arrivant en Israël, M. Lanzmann affirme qu'il a découvert l'identité juive. "J'ai découvert qu'il existait une identité juive, qu'il existait un peuple juif. Cependant j'ai été, et je suis toujours, un très mauvais juif. Cela n'empêche pas que j'ai consacré la plupart de ma vie à l'histoire du peuple juif".



Enfin le cinéaste s'est dit révolté de toutes les critiques auxquelles doit aujourd'hui faire face l'armée israélienne, à laquelle il a consacré un film, Tsahal. "Cela me révolte d'entendre tout cela au sujet de l'armée israélienne. Je me bats et je me battrais de toutes mes forces contre cela. Ce sont des imbéciles, des menteurs et probablement des antisémites qui profèrent ces critiques.



Tout cela prouve que l'antisionisme n'est qu'un masque. La partialité dont font preuve tous les médias et autres est révoltante. Au moment de Plomb Durci, c'était très difficile de faire entendre une voix opposée à la leur", a-t-il conclu.



Photo : D.R.



Source : Guysen News