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Publié le 11 Juin 2007

Fortunée Dwek. Souvenirs, souvenirs…

Née en 1953 à Alexandrie, Fortunée Dwek a été expulsée d’Égypte avec sa famille en 1956. Après avoir vécu en Israël, elle s’est définitivement installée en France en 1960. Psychologue, professeur de lettres, elle est l’auteur d’un ouvrage de souvenirs très émouvant, « Nonno, un Juif d’Égypte ». Elle sera l’un des intervenants du débat « Juifs d’Égypte. Le second Exode » qui se déroulera le 14 juin prochain à 20h30 au Centre Rachi. Elle répond aux questions de la Newsletter du CRIF


Pour vous, c’est quoi l’Égypte ?
Pour moi qui suis née en Égypte, c’est d’abord mon pays natal, celui de mes parents, de mes grands-parents, de mes arrière-grands-parents, le berceau de ma langue maternelle, celui de mes premiers souvenirs. Mais c’est aussi celui de l’Exode et de l’esclavage de mes ancêtres, tel que nous le commémorons à chaque Pâque. Ayant grandi et étudié en France dès l’âge de six ans, j’ai découvert dans les manuels scolaires la place de l’Égypte des Pharaons dans l’Histoire et admiré, comme le reste de l’humanité, ses gigantesques pyramides, sa mythologie, ses paysages et ses hiéroglyphes. La descente du Nil est le plus beau voyage qu’il m’ait été donné de faire dans ma vie. Malheureusement, c’est aussi le paradis d’où mes parents ont été brutalement expulsés un jour de 1956 parce que tout à coup ils étaient devenus Étrangers en terre d’Islam.
Peut-on considérer qu’en grande partie les Juifs égyptiens aujourd’hui disséminés à travers le monde, ont été, à un moment donné de leur existence, des exilés, des réfugiés ?
Il suffit de lire mon livre « Nonno, un Juif d’Égypte » pour s’en convaincre. Il relate la vie de mon père, D. ait son âme, depuis l’arrivée de ses parents en Égypte jusqu’à l’expulsion de tous les Français dont beaucoup étaient juifs, sans compter les Juifs auxquels on retirait la nationalité égyptienne pour en faire des apatrides qui venaient s’ajouter aux 40 % des Juifs déjà apatrides, pour leur supposé soutien à Israël. À ma connaissance, environ 75 000 Juifs ont été expulsés d’Égypte du jour au lendemain, dépossédés de tous leurs biens, un tampon « aller sans retour » apposé sur leur passeport. Après c’était l’exil vers des pays d’accueil selon ses origines. Français par ma mère, nous avons atterri en France comme rapatriés, mon père, apatride, comme réfugié. D’autres sont allés en Israël, aux USA, en Angleterre, en Amérique latine et même en… Australie. Après, il a fallu trouver du travail, s’intégrer, se faire une place dans la société, se battre pour refaire sa vie dans un environnement insolite. Beaucoup y ont perdu la vie en arrivant, incapables de s’adapter (crises cardiaques… dépressions…), les autres s’en sont sortis après des années de lutte pour la survie.
Pourquoi, pour qui, faut-il garder le souvenir d’un temps, hélas révolu ?
En tant que professeur d’Histoire, c’est une page de l’Histoire de France, de ma famille, du peuple Juif que j’ai écrite pour répondre à la question de savoir « d’où nous venons et où nous allons », si chère à mon père. C’est aussi le témoignage d’un temps où Juifs, Chrétiens et Musulmans avaient réussi à vivre ensemble et l’espoir qu’ils pourront encore le faire ; un temps où la haine n’existait pas entre communautés qui se respectaient, qui s’appréciaient et qui échangeaient leurs richesses respectives, contrairement à ce que l’on veut faire croire aujourd’hui au peuple égyptien qui est maintenu dans l’ignorance d’un passé dont les Juifs faisaient partie depuis des générations. Le raconter, l’écrire c’est une manière de le faire revivre et le partager avec les générations futures. « Je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître…. »
Propos recueillis par Jean-Pierre Allali