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Publié le 13 Mai 2005

Georges Kévork Sarian, vice-président de l’Union Culturelle Française des Arméniens de France et directeur de publication du journal Achkar (Monde) : « J’attends des Juifs de France comme d’ailleurs sans doute les Juifs de France attendent des Arméniens u

Question : Le 24 avril 2005, de nombreuses commémorations se sont déroulées en Arménie et dans bien d’autres pays du monde pour rappeler qu’il y a 90 ans, presque toute la population arménienne de l'est de l'Anatolie a été massacrée ou déportée dans le désert syrien où peu ont survécu. Le génocide a coûté la vie à 1,5 million d'Arméniens entre 1915 et 1917. Que représente pour vous ces années épouvantables ?



Réponse : Dans le mot «épouvantable » il y a une connotation que je partage d’autant plus que depuis cette époque, notre mémoire a été confisquée. Il y a un déni de justice de la part des héritiers des criminels de l’époque. Il faut avoir conscience qu’en fait nous sommes la 3ème ou 4ème génération après ce crime odieux qui visait ni plus ni moins que l’anéantissement d’un peuple entier, un peuple qui vivait sur ses terres ancestrales de surcroît. On ne peut pas accepter que l’on massacre des familles entières sans que les survivants ou les descendants des survivants réclament que justice soit faite, faute de pouvoir faire leur deuil, de pouvoir « enterrer leurs morts ». En effet le 24 avril dernier, pour ce 90ème anniversaire du drame -en arménien on appelle cela le « metdz yeghéren » (le grand malheur)- c’est précisément ce sentiment que j’ai évoqué d’indignation d’un peuple éclaté qui s’est retrouvé partout dans le monde de Erevan à Los Angeles en passant par Athènes, Beyrouth et Paris. Dans la seule ville d’Erevan (capitale de l’Arménie) des centaines de milliers d’arméniens se sont rassemblaient. 1.500.000 vivants sont venus honorer 1.500.000 morts. Il faut avoir conscience que depuis ce génocide, le monde est resté à ce jour sourd et indifférent. D’où notre indignation et les manifestations revendicatives autant que commémoratives qui ont lieu depuis des années. Elles ont abouti entre autre à la reconnaissance du génocide arménien, par un certain nombre de pays, dont la France.

Question : La France et la Russie, ainsi que plusieurs autres pays, ont reconnu le génocide de 1915, le dernier en date étant la Pologne le 19 avril 2005. Comment expliquez-vous que certains pays ne veulent pas reconnaître ce génocide ? Mais surtout que pensez vous du déni turc ? Que demandez-vous à la Turquie d’aujourd’hui ?

Réponse :
En fait le génocide a été reconnu à ce jour par plus de vingt pays dont ceux que vous venez de citer et nous ne désespérons pas que le monde entier et les instances internationales reconnaissent à leur tour ce drame de l’humanité qui entache son honneur. Au demeurant, nous voulons croire que nos amis juifs d’Israël eux aussi reverront leur position à ce sujet et que sous peu cette symbiose entre les victimes des génocides pourra s’établir. Notre propos n’est pas d’alimenter une guerre des mémoires. Reste que, seule une histoire assumée permet de tisser les fils de l’avenir, si ceux-ci sont tronqués ce serait source de fracture et d’école de l’impunité. S’agissant de la Turquie, là encore, nous ne doutons pas que l’heure de vérité sonnera et que les démocrates turcs se détermineront. Précisément, deux d’entre eux viennent d’être honorés le 24 avril 2005 à l’hôtel de ville de Paris par le conseil de coordination des organisations arméniennes, MM. Eli Artem et Raggip Zarakoglou, pour leur courage et leur attitude de justice. Nous voulons croire que ce jour est proche et nous ne voulons pas céder à Monsieur Edergan, le 13 avril 2005 (le Premier ministre turc) qui prétend 90 ans après cette tragédie vouloir créer une commission mixte d’enquête. Il y a longtemps que l’histoire a tranché en la matière et que les preuves du crime sont suffisamment abondantes et notoires pour que cette enquête ne soit d’aucun objet. Nous demandons à la Turquie qu’elle demande pardon, à l’instar de l’Allemagne vis-à-vis de la Shoah.

Question : Comment ressentez vous le peuple juif ? Estimez vous qu’il y a des similitudes entre nos deux peuples ?

Réponse:
Bien sûr il y a des similitudes de plusieurs ordres. Pendant des siècles, les Juifs ont vécu sans pays tandis que les Arméniens de leur côté étaient privés de pays depuis le 13ème siècle jusqu’au début du 20ème siècle. Ensuite, nos deux peuples ont subi au fil du temps des persécutions dans les pays ou ils avaient trouvé refuge, à cette différence près que les arméniens continuaient de vivre sur leur terre ancestrale et n’étaient pas encore devenu jusqu’à la fin du 19ème siècle un peuple éclaté. Il y a également chez nos deux peuples, une volonté, une ténacité de survie, qui n’est peut être pas commune à tous les peuples.

Question : Qu’attendez vous des Juifs de France ?

Réponse:
J’attends des Juifs de France comme d’ailleurs sans doute les Juifs de France attendent des Arméniens une solidarité naturelle entre peuples qui furent persécutés, qui sont porteurs de qualités intellectuelles, culturelles notoires et que cette solidarité se manifeste.

Propos recueillis par Marc Knobel