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Publié le 6 Septembre 2007

Jean Corcos : Notre mémoire judéo tunisienne apparaît plus heureuse que celles des autres

Jean Corcos, producteur de l’émission « Rencontre » sur Judaïques FM, consacrée à la connaissance du monde musulman (blog associé : www.rencontrejfm.blogspot.com), sera le modérateur du débat qui constituera la seconde partie de la manifestation organisée conjointement par le CRIF et le Centre Rachi d’Art et de Culture sur les Juifs de Tunisie « Et puis un jour…l’exil », qui se déroulera le 17 septembre 2007 à 20h30 au Centre Rachi. Il répond à nos questions.


Pour vous, c’est quoi la Tunisie ?
La Tunisie est le pays où je suis né, où j’ai passé mon enfance et le début de mon adolescence : des années que l’on n’oublie jamais, car ce sont celles où l’on découvre la vie, à travers un ciel, des paysages, des odeurs, une atmosphère … Au-delà de la blessure jamais fermée d’avoir vécu près de quarante ans loin de la terre natale, je réalise la chance extraordinaire d’avoir été là-bas, et pendant cette période : à mesure que je grandissais allait s’effacer l’univers de mes parents, celui de Tunis ville cosmopolite d’où venait de partir la tutelle coloniale : est venu se graver dans ma conscience, ensuite, la conviction que tout est fragile et peut changer avec les années qui passent – une expérience douloureuse que l’on craint de revivre, par exemple en France aujourd’hui où la communauté juive s’est sentie abandonnée après les agressions antisémites …
Pourquoi, selon vous, les Juifs de Tunisie ont-ils choisi l’exil ?
Il n’y a pas eu une cause unique, mais une convergence de causes :
  1. Pour tous, le départ a correspondu à l’élimination, plus ou moins brutale, de l’ensemble des minorités non musulmanes après les indépendances ;
  2. Pour les Juifs, s’est ajouté naturellement la peur de rester en terre arabe au cours des décennies où Israël était en état de guerre avec l’ensemble de ces pays ; cette peur a été ravivée par des épisodes violents (Bizerte en 1961, guerre des six jours en 1967), alors que le peuple tunisien est resté en majorité non violent ;
  3. La francisation était très poussée au moment de l’indépendance ; l’obstacle de la langue, d’une part, le fait d’avoir été « du mauvais côté » ensuite, tout cela a été chèrement payé quand les Tunisiens sont redevenus maîtres chez eux ;
  4. Il y a eu enfin une Alya idéaliste, surtout pour les communautés juives de l’intérieur qui sont partis vers Israël alors que les Juifs de Tunis ont préféré en majorité partir en France.
Pourquoi, pour qui, maintenir vivace le souvenir d’une communauté juive millénaire dont seuls quelques centaines de membres sur plus de cent mille il y a un demi-siècle, vivent encore en Tunisie ?
Je crois que la réponse n’est pas spécifique aux originaires de Tunisie. « Zakhor », « souviens toi », tel est l’antique commandement de nos ancêtres, que se répètent les originaires de toutes les communautés, dont les rites ont charrié à travers les siècles des spécificités dans les prières quotidiennes ou lors des grandes fêtes. Notre mémoire judéo tunisienne apparaît plus heureuse que celles des autres, et pour qui a un peu étudié les histoires d’autres judaïsmes en terre d’islam ou en Europe, on ne peut que reconnaître la chance particulière des « Tunes » : miraculeusement épargnés malgré les invasions diverses de ce petit pays, n’ayant pas vécu une guerre coloniale atroce ou des brutalités ignobles comme au Moyen-Orient, ils ont peut-être été marqués par un hédonisme et une optimisme pouvant servir d’exemple à tous les autres, Juifs ou pas.

Propos recueillis par Jean-Pierre Allali

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