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Publié le 18 Mai 2007

Jean-Philippe Moinet, ancien Secrétaire général du Haut Conseil à l'intégration : « Il faut que l’esprit et les moyens de la République Française puissent converger vers les zones urbaines les plus sensibles. »

Question : Jean-Philippe Moinet, vous avez fondé il y a quelques années, l’Observatoire de l’extrémisme. Vous avez été également Secrétaire général du Haut conseil à l’Intégration. Pourriez-vous nous rappeler ce qu’a été l’Observatoire de l’extrémisme et nous expliquer ce en quoi il consistait ?


JPM : En juin 1995, j’étais alors journaliste et grand reporter au Figaro, des villes du sud de la France (Toulon, Marignane, Vitrolles…) sont tombées entre les mains du Front National. J’étais (et je reste bien sûr) de ces démocrates et républicains profondément allergiques à toutes formes d’extrémisme et d’intolérance. Ce moment a été un déclic d’engagement pour moi, fondé sur des convictions profondes et une inquiétude majeure : dans l’histoire, certaines circonstances peuvent malheureusement faire qu’une série de malaises s’additionnent - malaise social, malaise politique, malaise d’identité culturelle… - et produisent une conjoncture dangereusement récupérée et instrumentalisée par les extrêmes.
A partir de cette période, inquiet par la tournure que pouvaient prendre les événements en France, le FN arrivant à réunir localement des majorités et donc à prendre le pouvoir, j’ai souhaité contribuer à une combativité républicaine active et faire converger des regards, analyses et informations sur ce sujet de l’extrémisme (qui recouvre plusieurs dimensions d’ailleurs), en vue d’alimenter ou de consolider les pédagogies républicaines appropriées, à la fois pour la société civile et les élus. Vaste programme ! C’est ainsi qu’est né, en 1996, sous une forme simple et associative, et avec l’appui de citoyens et de personnalités de sensibilités et d’horizons très divers, l’Observatoire de l’extrémisme. Cette expérience de plusieurs années ensuite a été très utile pour mieux faire face à l’extrémisme, dont chacun sait qu’il peut recouvrir des formes les plus variées (politiques, idéologiques, religieuses…) et parfois des situations d’alliances objectives entre elles. Même s’ils ne se ressemblent apparemment pas toujours, les extrémismes peuvent s’assembler et trouver des intérêts communs pour prospérer.
La situation de l’extrême droite en France est aujourd’hui heureusement toute autre, même si le choc d’avril 2002 a montré que la vigilance doit rester constante. L’élection présidentielle de 2007 marque peut-être la fin d’un cycle, qui avait démarré à Dreux en 1983. Il faut se réjouir de la clarté et du nouveau ressourcement du débat démocratique, y compris autour des valeurs qui font l’identité française. Il faut se réjouir que ce ressourcement, caractérisé par une confrontation positive entre, d’une part, une droite républicaine modernisé et ouverte à un centre de majorité, et d’autre part, une gauche plurielle en quête de rénovation idéologique autour d’un centre de gravité social-démocrate, puisse fortement limiter l’espace politique des extrêmes, qui profitent toujours des malaises de la société et des confusions politiques. Il faut souligner à mon sens l’impact positif de la démarche de Nicolas Sarkozy sur l’ensemble de la vie publique: elle peut réduire certains malaises sociaux et sociétaux, si les réformes sont ensuite réellement engagées et bien accomplies, et elle peut durablement limiter la confusion politique et ce qui a longtemps été appelé la «crise du politique» par la clarté et le volontarisme du discours. Si les actions – le réformisme – suit avec succès le volontarisme du discours, alors, on peut présager que les extrêmes auront beaucoup de mal à se faire une place en France, au-delà des marges qu’elles n’auraient jamais du quitter. C’est pourquoi, comme cela se produit dans la plupart des grandes démocraties d’ailleurs, il faut souhaiter que des options claires opposent dans la durée une droite moderne et une gauche moderne, chacune des deux grandes familles ayant légitimité à avoir des alliés au centre.
Question : Nos lecteurs se souviennent sûrement que vous aviez fait une quarantaine de propositions, fin 2004, dessinant le « plan d’action civique » pour lutter contre le racisme et l’antisémitisme au Ministre de la Cohésion Sociale, Jean-Louis Borloo, qui en fut le commanditaire. Le document en appelait « à la responsabilité de l’État » dans la défense et la promotion des principes républicains, en particulier l’Egalité. Que ce soit dans les domaines de l’emploi, du logement, de la politique de la ville ou de l’école, « l’État se doit d’assurer la promotion de la diversité et d’engager de nouvelles actions de lutte contre les intolérances », précisiez-vous. Vous en appelez aussi à la « conscientisation de l’opinion ». Pourriez-vous nous rappeler les grandes lignes de votre réflexion et de cet engagement ?
JPM : Je proposais un plan d’actions, effectivement fourni d’une quarantaine de propositions pour l’Etat républicain, alors que les statistiques des actes et menaces racistes et antisémites étaient à leur apogée. J’ai donc contribué aux propositions et aux mobilisations de moyens, et heureusement, qu’il s’agisse des actions menées par le Ministère de l’Intérieur - essentielles naturellement quand il s’agit d’abord d’assurer la Sûreté des personnes – et par d’autres Ministères, dont celui de la Cohésion Sociale (comme celles d’ailleurs, importantes aussi, de nombreux acteurs de la société civile mobilisés), tout cela a permis d’améliorer globalement la situation. Reste que des dangers persistent et que des chantiers restent encore ouverts et même, pour certains, pas assez avancés. Je pense notamment à tout ce qui relève de la promotion des valeurs de la République, dont le principe de Laïcité, à la promotion d’une citoyenneté fondée sur l’Egalité, à la promotion de la diversité et du «vivre ensemble» qui doit s’opposer plus activement à la fois aux forces xénophobes et aux forces communautaristes qui mènent à mal l’esprit et l’équilibre de notre République,
Notamment pour les personnes issues de l’immigration et dans les quartiers dits sensibles, un certain nombre d’actions de promotion, concrètes et volontaristes, des principes de la République Française étaient énoncées déjà dans mon rapport de 2004 et restent en partie à mener, voire pour certains à ouvrir. La République Française a toujours su intégrer sur ses valeurs, généreuses et universelles, mais je suis frappé de voir que dans certains quartiers, qui risquent parfois de devenir des territoires perdus de la République, les lois et les voix qui s’imposent n’ont rien à voir avec celles de la République. Cette situation, inacceptable d’abord pour les personnes les plus défavorisées qui vivent dans ces quartiers, doit changer. On a beaucoup parlé, ces dernières années, souvent à juste titre, de l’Etat de droit et de l’Egalité des chances à rétablir dans ces quartiers pour sortir leurs habitants d’une logique d’exclusion. Je pense qu’un des grands chantiers du nouveau Président de la République et de son gouvernement sera de mettre en oeuvre un vaste plan d’actions républicaines, à dimension interministérielle (comprenant le domaine social bien sûr, le volet essentiel aussi Education Nationale, le champ Justice et Sécurité aussi, la partie Rénovation urbaine et Logement bien sûr), pour sortir ces quartiers d’un sentiment de relégation et surtout de situations de fait inacceptables. Ce grand chantier est lourd et sans doute difficile, car de longue haleine. Mais pour éviter des troubles comme ceux subis en novembre 2005, il faut que l’esprit et les moyens de la République Française puissent aussi converger vers les zones urbaines les plus sensibles, pour amplifier rapidement les actions amorcées ces dernières années.
Question : D’autre part, vous avez rendu une étude sur les cérémonies célébrant l'acquisition de la nationalité française, remis à Catherine Vautrin, la Ministre déléguée à la Cohésion Sociale et à la Parité. Dans cette étude, vous préconisez de renforcer la dimension symbolique et politique de l'acquisition de la nationalité française. Pourriez-vous nous rapporter vos suggestions et propositions en la matière ?
JPM : Oui, bien sûr. Il s’agit simplement de faire du moment de l’entrée dans la nationalité française, non pas une étape administrative ou bureaucratique comme une autre (et comme cela a été trop longtemps le cas en France), mais un moment fort, d’entrée dans la citoyenneté républicaine pleine et entière, les personnes qui acquièrent la nationalité française obtenant l’ensemble des droits (et devoirs) civils et politiques, dont le droit de vote et le droit de se présenter aux élections. Mon rapport, remis en avril 2006 au gouvernement (consultable notamment sur le site de la Documentation Française), s’est notamment appuyé sur des pratiques locales en France, et des pratiques portées dans quelques grands pays démocratiques (dont le Canada, les Etats-Unis, et plus récemment la Grande Bretagne) pour dire qu’il fallait faire de ce moment–clé (pour plus de 100 000 personnes chaque année en France) un moment privilégié pour une promotion de la diversité et de la citoyenneté dans la République.. C’est aussi un moment privilégié pour rappeler avec une certaine solennité et force à ces nombreux nouveaux citoyens qui viennent, par leur diversité, enrichir et renforcer la France, que l’histoire de notre pays repose sur de grands acquis (les principes de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, le principe de Laïcité et de Démocratie), acquis qui ont pu traverser des épreuves, heureusement surmontées, qui font qu’aujourd’hui ces grands acquis de la République Française ne sont heureusement pas négociables et qu’ils auront peut-être à être défendus à l’avenir par les nouveaux citoyens. Ce message de transmission de notre héritage républicain est l’un des enjeux des cérémonies d’entrée dans la nationalité française, dont j’ai souhaité la rapide généralisation et la forte expression symbolique. Depuis, une loi de juillet 2006, qui mentionne la nécessité d’organiser ces cérémonies, les choses sont en cours mais, là encore, le volontarisme de l’Etat est nécessaire dans la durée pour que les dispositions nouvelles ne se perdent pas dans les arcanes et les habitudes de l’administration ou pour qu’elles ne reposent pas simplement sur le bon vouloir, forcément trop variable, des responsables ou des élus locaux.
Question : Et puis, il y a La revue civique, que vous venez de fonder et dont le premier numéro vient de paraître (printemps 2007). La revue se veut un «carrefour novateur entre des secteurs d'activité trop segmentés en France : médias, entreprises, institutions, associations, ONG... » Vous parler de « réinventer » un civisme ; vous dites également qu’il faut « renouveler » la « citoyenneté ». A quoi pensez-vous ? Réinventer le civisme, mais pour quoi faire ?
JPM : il s’agit là d’une initiative associative et éditoriale qui consiste à faire converger des réflexions et des contributions de toutes natures, théoriques et concrètes, venant de sphères d’activité les plus diverses, pour mieux explorer la «question civique», qui me semble une question centrale aujourd’hui en France. Le civisme - en résumé, le respect des règles et le respect des autres, une certaine idée du « vivre ensemble » - est en fait un sujet très moderne, qui traverse tous les champs d’activité de la société. C’est un sujet de réflexion et de débat pour l’avenir et cette Revue (qui a une première cible de 8 à 10 0000 « décideurs citoyens ») est une manière de porter des éclairages sur la modernité de cette question, sur diverses expériences qui nous montrent que les enjeux de la citoyenneté et du civisme sont en constante évolution, en France comme dans d’autres démocraties d’ailleurs. C’est en cela une revue « carrefour » et une revue de l’ouverture de la France sur d’autres horizons, notamment ceux qu’offrent (et ce n’est évidemment pas toujours une catastrophe ou une difficulté pour notre pays) la mondialisation des échanges. Dans cet esprit, pouvant être qualifié de « néo-aronien» sur certains aspects, les débats seront naturellement ouverts au sein de la Revue Civique. Avec un fil rouge conducteur, peut-être, qui correspond à celui qui jalonne mon parcours: celui d’une vigilance particulière à l’égard de toutes les formes d’intolérance qui peuvent porter atteinte aux valeurs de la démocratie, qu’il faut savoir défendre. Par civisme.
Propos recueillis par Marc Knobel