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Publié le 19 Octobre 2004

Jean-Yves Camus, politologue : «… le négationnisme est au cœur de l’idéologie d’extrême- droite dont sont imprégnés nombre de cadres frontistes… »

Question : Que pensez-vous des dernières déclarations de Bruno Gollnisch qui met en doute l’existence des chambres à gaz et met en cause un universitaire également en raison de son origine juive ? Pensez-vous qu’il apporte ainsi son appui à Robert Faurisson et Bernard Notin, deux universitaires lyonnais, auteurs de thèses négationnistes ?



Réponse : Stricto sensu, Bruno Gollnisch ne remet pas en doute l’existence de la Shoah, mais l’ampleur de l’extermination des juifs par les nazis. Il ne dit pas non plus que les chambres à gaz n’ont pas existé, comme l’affirme la secte négationniste. Mais en affirmant qu’il « appartient aux historiens de se déterminer », il introduit le doute sur la réalité de l’existence des chambres à gaz, et cherche à créer un débat qui n’existe pas. En effet, aucun historien ne doute que les chambres à gaz aient existé. Les négationnistes ne sont jamais des historiens : Faurisson, comme Bardèche, enseignait les lettres ; Butz est informaticien et Notin économiste, Gollnisch, lui, est juriste.

Le point central, dans les déclarations de Gollnisch, c’est la phrase qui impute à Israël la responsabilité de la « police de la pensée », qui empêcherait le libre débat. Cela, selon lui, par « intérêt dans les discussions sur les réparations ». Israël tirant un profit financier de la Shoah, c’est exactement l’argumentation de Faurisson, dès 1978, et de toute la secte négationniste aujourd’hui.


Question : En 1987, Bruno Gollnisch avait-il apporté un soutien indéfectible à Jean-Marie Le Pen qui avait qualifié l’existence des chambres à gaz de « point de détail de l’histoire de la seconde guerre mondiale » et avait-il par le passé personnellement remis en question l’ampleur de l’extermination des Juifs par les nazis ?

Réponse :
Bruno Gollnisch n’a jamais désavoué la déclaration de Jean-Marie Le Pen, réitérée d’ailleurs en 1997. Il appuie les négationnistes. Dans un communiqué des presse du 23 janvier 2003, qu’il a rédigé en sa qualité de député européen, il a soutenu Jean Plantin, condamné par la justice, en expliquant que les publications de ce dernier participaient de la « recherche de la vérité » et de la « critique historique ». Dès 1991, Gollnisch avait demandé « le respect de la liberté d’expression pour les enseignants qui exercent un regard critique sur l’histoire de la deuxième guerre mondiale ». En 1996, il avait fait l’éloge des Français qui ont combattu sous l’uniforme nazi. Il est constant dans l’expression du doute, mais n’a jamais franchi le pas du négationnisme pur, qui lui vaudrait à coup sûr condamnation.


Question : Pensez vous que Bruno Gollnisch joue les « durs » pour mieux séduire les cadres radicaux du FN, rétifs aux discours prétendument modernistes de Marine Le Pen, sa concurrente dans la course à la succession du chef du FN ?

Réponse :
C’est une des explications de sa dernière déclaration, qui exprime avant tout sa conviction profonde. Et ce positionnement tactique a réussi, puisque le bureau politique du FN a voté, le 18 octobre, un communiqué de soutien, six proches de Marine Le Pen s’abstenant. Marine Le Pen, après avoir, le même jour, fait une déclaration dont il faut prendre acte, pour condamner les propos de Gollnisch et évoquer « le martyre du peuple juif par les nazis », a fini par voter ce communiqué. L’opération de Bruno Gollnisch a donc réussi. Ceci étant, il ne faut pas oublier que, si le négationnisme est au cœur de l’idéologie d’extrême- droite dont sont imprégnés nombre de cadres frontistes, l’électorat du parti, pour sa part, ne se sent guère concerné. Il existe toutefois un risque que parmi les jeunes électeurs, perméables aux idées frontistes et vivant par ailleurs dans le contexte de la résurgence de l’antisémitisme, les idées négationnistes s’encrent.


Question : Que pensez-vous du rapport sur le négationnisme à l’université Lyon III, qui a été présenté par une commission composée d’historiens, dirigée par Henri Rousso, directeur de l’Institut d’histoire du temps présent (CNRS) ?

Réponse :
C’est un rapport sérieux et mesuré, qui évite à la fois l’écueil de la minimisation et celui, non moindre, de l’hystérie dénonciatrice qui a caractérisé l’action de certaines associations lyonnaises de « vigilance », pour qui l’université de Lyon III serait « fasciste », ou du moins complice, en bloc. Le rapport Rousso pointe à raison un comportement propre à nombre d’institutions : un esprit de corps qui a conduit à la pusillanimité, à ne pas prendre de sanctions, à se défausser sur l’Etat. Il est incontestable qu’un noyau d’extrême- droite a utilisé les facilités offertes par l’université de Lyon III pour se livrer à un travail de propagande politique. Il est tout aussi incontestable que dans d’autres universités, des enseignants proches de l’extrême gauche ont érigé la critique radicale d’Israël au rang d’idéologie quasi-officielle, avec la campagne indigne pour la rupture des relations scientifiques entre universités françaises et israéliennes. Et que d’autres s’agitent dans les milieux négationnistes, sans sanction aucune dans les deux cas.


Question : Pensez-vous, comme le philosophe Pierre-André Taguieff, qu’il renaît aujourd’hui un vieil imaginaire conspirationniste, qui se mêle au négationnisme et à l’antisionisme absolu, dont l’objectif est la destruction d’Israël ?

Réponse :
Cet imaginaire n’a jamais disparu. En Europe, sa visibilité politique, son acceptabilité sociale, son exposition médiatique, ont été réduits à quasiment néant, après 1945, par l’énorme sentiment de culpabilité vis-à-vis de la Shoah que l’idéologie dominante avait intégré. La grande erreur des juifs a sans doute été de penser que cette culpabilité allait durer sur la longue période. Or elle s’estompe et à terme, la Shoah risque de ne rester inscrite que dans la mémoire juive. Je suis frappé par la similitude qui existe entre le discours négationniste d’extrême- droite et d’ultra-gauche et celui des milieux fondamentalistes islamistes ou nationalistes arabes radicaux. Le fondement commun à ces milieux, c’est le refus total de ce que signifient la création et l’existence de l’Etat d’Israël comme Etat juif : le fait que le peuple juif soit passé, du statut d’objet de son histoire, propre à la situation de la diaspora, à celui de sujet, et d’acteur de son devenir. Dans cette optique, la destruction d’Israël est le projet commun à l’antisionisme politique et à l’anti-judaïsme théologique, chrétien comme musulman, parce qu’elle ramènerait le peuple juif à son destin supposé : la soumission et l’expiation de la faute. La faute de la non- reconnaissance des faux messies et surtout, du don de la Loi à l’humanité.

Il n’existe pas, à l’échelle humaine, de possibilité pour que cet antisémitisme disparaisse, parce qu’il est une réaction à la mission du peuple juif, qui est de marcher dans son histoire avec son D.ieu et sa Loi. Mais la démocratie peut en contenir, et doit en punir, l’expression.

Propos recueillis par Marc Knobel

Nous rappelons que les propos tenus dans les interviews ne sauraient engager la responsabilité du CRIF.