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Publié le 29 Janvier 2010

L’Ambassadeur François Zimeray à cœur ouvert – Entretien

Question : Monsieur l’Ambassadeur de France en charge des droits de l’Homme, en charge également de l’antisémitisme, je vous remercie de me recevoir. Nous allons évoquer ensemble quelques sujets qui interpellent la communauté juive, au-delà, les citoyens que nous sommes. Commençons si vous le voulez bien, par tenter de définir votre engagement. Quel est-il ?



François Zimeray : Le définir, je ne saurais pas, mais s’il y a un fil conducteur dans mon parcours, c’est les droits de l’Homme. Un engagement profond, maintenant ancien, qui s’enracine dans les valeurs qui m’ont été transmises.



C'est-à-dire ?
F.Z. : Lorsqu’en 1979 le monde a découvert le génocide du Cambodge, cela a été pour moi une remise en cause profonde de ce à quoi j’étais destiné à croire. J’appartiens à la génération qui a grandi avec l’idée de « plus jamais ca ». Je n’ai jamais oublié cette phrase entendue alors que je préparais ma bar mitzva : « l’indifférence est un crime sans pardon ». A l’âge de 17 ans, j’ai fondé une association, membre de la Coordination des comités Cambodge. Quelques années plus tard, je suis allé dans les camps de réfugiés à la frontière du Cambodge, je voulais me confronter au réel, aller au bout de ce qui était devenu une passion, j’avais 23 ans.



Vous étiez jeune pourtant pour vous rendre dans de tels camps…
F.Z. : Cela faisait depuis longtemps que j’étais mobilisé par le drame du Cambodge, que je côtoyais des réfugiés ou leurs proches. J’ai voulu toucher du doigt cette réalité.



Et cet engagement s’est poursuivi ?
F.Z. : Oui, d’où mon engagement plus tard avec la Cour pénale internationale, l’affaire des crimes de l’Ituri au Congo, puis il y a eu le Darfour...



Mais « cette réalité », comme vous-dites s’est reproduit depuis la Shoah…
F.Z. : Au Cambodge, au Rwanda, en Bosnie. Je sais bien ce qui est unique dans la Shoah. Je ne mélange pas tout mais si les leçons de la Shoah ne sont pas tirées, à quoi cela sert-il de commémorer le passé ? Nous avons un devoir d’implication, d’ingérence comme dirait Bernard Kouchner. Et, je suis d’ailleurs à ce sujet préoccupé de voir que la communauté juive court un danger plus grand encore que l’antisémitisme.



Lequel ?
Le repli sur soi.



Que voulez-vous dire ?
F.Z. : Je veux dire que si on part du postulat que le monde ne nous aime pas, ne nous comprend pas et que par conséquent, il faut renoncer à s’y engager, à le comprendre comme à le convaincre, notre horizon ne peut que se rétrécir.



Vous pensez vraiment que les Juifs se sont repliés sur eux-mêmes ?
F.Z. : Ce n’est qu’une tendance, un risque, mais bien réel. Cela s’explique par l’adversité, par la montée de l’antisémitisme, bien réelle aussi, que l’on a ressenti pendant la seconde Intifada. Tout cela, selon moi, peut conduire à un repli sur soi qui serait mortifère et qui contrevient à la vocation universelle du judaïsme.



N’êtes-vous pas un peu trop catégorique ? Pourquoi ignorez-vous l’engagement citoyen de nombre de nos coreligionnaires et ce que disent les intellectuels Juifs ?
F.Z. : Que dit, de nos jours, la pensée juive sur ces enjeux essentiels pour l’humanité que sont le réchauffement climatique, sur les rapports de l’homme et la nature, la consommation comme valeur marquante de notre temps ? Je suis en demande de réflexion, le monde à besoin d’être éclairé par la pensée juive, cette vieille sagesse, et je pense que ce n’est jamais bon de se replier sur soi-même car les jeunes de demain risquent de ne pas comprendre le monde qui les entoure.



Mais, ne serait-ce qu’au CRIF, nous parlons de plus en plus de ces sujets…
F.Z. : C’est vrai, il faut continuer car c’est fondamental: si les jeunes ne comprennent pas le monde dans lequel ils vivent, lorsqu’ils tenteront de perpétuer la mémoire de la Shoah, ils rencontreront les pires difficultés.



Mais, vous savez comme moi, que les gens sont plus réactifs lorsque les questions les touchent directement…
F.Z. : C’est tout à fait humain. Mais la place d’Israel parmi les nations, cela veut dire quelque chose quand même ! Le mot important pour moi, c’est parmi...



Soit. Mais ce rôle (de sensibilisation, d’éducation et de vigilance) ne peut être simplement dévolu à la communauté juive, l’école doit jouer aussi son rôle, les parents, les associations humanitaires, la presse…
F.Z. : Oui, mais les institutions juives ont aussi un rôle essentiel à jouer.



Vous avez l’impression que les institutions juives sont repliées sur elles-mêmes ?
F.Z. : Je trouve qu’elles devraient rassurer la communauté et non pas uniquement relayer son inquiétude. Il faut qu’elles soient plus ouvertes sur leur temps. Et puis, il faut montrer ce qu’il y a d’universel dans le combat contre l’antisémitisme.



J’entends ce que vous dites, mais vous devez comprendre que nous sommes nous-mêmes inquiets. Nous avons vécu comment dire… de véritables situations traumatisantes, je pense notamment à l’assassinat du jeune Ilan Halimi. J’ajoute et vous le savez que les actes antisémites ont augmenté considérablement ces dernières années. Pourquoi devrions-nous taire ce que nous ressentons ? Comment pourrions-nous ne pas essayer de mobiliser la société toute entière pour combattre ce cancer qu’est l’antisémitisme ?
F.Z. : A qui le dites vous ! Sachons montrer en quoi la lutte contre l’antisémitisme concerne chacun, ce n’est pas la défense d’un intérêt catégoriel.



« Intérêt catégoriel » ? Pas du tout… Parlons justement de l’antisémitisme. Les propos de Jacques Attali, dans Haaretz, le 16 octobre 2009, ont soulevé un émoi justifié. Il a notamment déclaré « ce n'est pas un problème (l’antisémitisme) au niveau national. C'est un mensonge. Je pense qu'il s'agit de propagande, de propagande israélienne ». Que pensez-vous de cette déclaration ?
F.Z. : Autant je pense comme lui -avec sa vision universelle - que le judaïsme devrait être de plus en plus ouvert, pour ne pas dire prosélyte, autant je crois qu’il a tort sur ce point. Il y a de l’antisémitisme et il s’est manifesté de manière violente.



Justement, quel est votre sentiment à cet égard, comment considérez-vous l’antisémitisme et la manière de le combattre ?
F.Z. : Mon premier élan serait de refuser de répondre à une question comme celle-là, parce que je considère que ce n’est pas un juif de commenter l’antisémitisme. Je ne l’explique pas, je le combats.



Mais, votre fonction a évolué. Vous êtes toujours ambassadeur pour les droits de l’homme, mais vous êtes en charge actuellement de la lutte contre l’antisémitisme, la Shoah et la question des réparations, que je sache. Vous ne commentez donc pas, vous ne questionnez pas ?
F.Z. : Si, bien sûr, je suis en charge de cela et je suis obligé de me faire violence, de m’interroger et de tenter de répondre à ces questions.



Alors, quel est votre sentiment ?
F.Z. : Je pense qu’aujourd’hui, -à quelques exceptions près, on l’a vu récemment- l’antisémitisme n’est plus véhiculé par l’Eglise, il est même le plus souvent combattu par elle. Mais, il subsiste un fond de préjugés, la lie de millénaires d’antisémitisme qui sous l’agitation du conflit israélo-palestinien fait réapparaître son trouble. Et, il est clair que ce conflit organise inconsciemment la reviviscence des vieux thèmes antisémites, même s’il est difficile de démonter ce qui relève de la critique d’une politique et ce qui relève parfois de l’antisémitisme. A l’étranger, mon domaine, c’est souvent plus fort, plus net qu’en France.



C'est-à-dire ?
F.Z. : En France, il y a des lois et des interdits qui font que l’antisémitisme lorsqu’il réapparaît est plus difficile à caractériser, souvent masqué, subtil. Dans d’autres pays, c’est plus évident. Lorsque l’on diffuse sur les télévisions des épisodes ou des feuilletons inspirés des Protocoles des Sages de Sion, je ne me pose pas la question de savoir si c’est antisémite ou pas. De même, lorsque l’on s’autorise à présenter le Juif comme un ennemi du genre humain, cela ne laisse pas planer l’ombre d’un doute. Et, de façon étonnante, ces propos sont admis.



Vous pensez à l’Iran d’Ahmadinejad ?
F.Z : Notamment, mais pas exclusivement. Regardez, à Durban II, avec l’Ambassadeur Jean-Baptiste Mattei, nous avons été les premiers à quitter la salle du Conseil des Droits de l’Homme, lorsqu’Ahmadinejad à dit des choses inqualifiables. Mais encore, pour pouvoir le faire, fallait-il être là à ce moment-là.



Certes, mais vous savez aussi -et nous l’avons dit et proclamé- qu’Ahmadinejad aurait mérité une salle totalement vide, à ce moment-là… Mais bon… Revenons sur les programmes antisémites diffusés dans certaines télévisions. Il y a un instant, vous me disiez que ce n’est pas aux Juifs de commenter l’antisémitisme. Prenons cet exemple. Nous, nous nous sentons isolés. Si le CRIF ne dénonçait pas les programmes antisémites diffusés par Al Manar, la télévision du Hezbollah libanais, ou par Iqra, la chaîne d’information iranienne et par Al Rahma, une télévision privée égyptienne, qui le ferait à notre place ??? Personne ! Vous comprenez qu’il y a un problème comme si l’antisémitisme véhiculé dans ces pays n’intéressait personne… !



F.Z. : Ces faits sont inacceptables, vous avez raison. Et, il n’y a aucune raison de les tolérer, car ce sont des atteintes aux droits de l’Homme et c’est contraire à toutes les conventions internationales. Si le CRIF a connaissance de faits précis quant à la diffusion d’émissions antisémites, il faut continuer à nous le faire savoir. Il n’y a aucune raison de ne pas parler de cela avec les pays avec lesquels nous entretenons un dialogue, afin de dénoncer ces torchons.



Oui, et ce d’autant plus, que l’on s’étonne quelquefois du silence de certaines chancelleries. Que font les ambassades ?
F.Z. : Les Ambassades de France sont mobilisées et n’hésiteront pas à intervenir.



Continuons à parler de l’antisémitisme, si vous le voulez bien. Dans certains pays, les tabous ont sauté et l’antisémitisme relève la tête, se réveille…
F.Z. : Au Venezuela, les Juifs sont vraiment inquiets, j’ai l’intention de me rendre dans ce pays pour y rencontrer les dirigeants communautaires.



Et les autorités de ce pays ?
F.Z. : Evidemment. Je compte leur parler également.



Vous irez en Turquie ? En Iran ?
F.Z. : Je sais que la communauté juive est inquiète pour son avenir et j’irai rencontrer les dirigeants de ce pays et la communauté juive. C’est un moment important.



Et en Iran ? Dans certains pays arabes ?
F.Z. : Je doute d’avoir un visa pour me rendre en Iran en ce moment. Mais j’irai très bientôt à Bagdad. Il ne faut pas renoncer au dialogue avec des interlocuteurs de bonne volonté. Par exemple, je soutiens le projet Aladin initié par la Fondation pour la Mémoire de la Shoah et qui a pour objet de lutter contre le négationnisme et l’antisémitisme qui sévissent en terre d’islam. Je pense qu’il faut ouvrir un dialogue avec l’Organisation de la Conférence Islamique à ce sujet. Il faut donc échanger avec certains pays, comme la Malaisie, l’Indonésie, qui joueront un rôle clé dans le futur.



Mais, vous savez qu’il ne sera pas facile de raisonner certains de vos interlocuteurs…
F.Z. : Il ne faut pas renoncer à expliquer, à convaincre, et ne jamais désespérer. Ce combat n’est pas perdu d’avance.



Vous irez discuter de ce sujet avec les Palestiniens ?
F.Z. Moi, je trouve que les palestiniens, ceux que je connais, notamment les responsables actuels ne sont franchement pas des antisémites. Je ne leur ferai pas ce procès là.



Mais vous savez aussi que les programmes scolaires dans les territoires contrôlés par l’Autorité palestinienne sont encore ouvertement antisémites et que dire des programmes diffusés par la télévision du Hamas ? Vous voulez d’autres exemples ?
F.Z. : Vous savez, je me suis battu là-dessus et j’en suis fier. Je le referai s’il le fallait. Le matériel pédagogique s’est amélioré, et c’est aussi grâce au combat que j’ai mené. Mais, honnêtement, je suis allé de nombreuses fois dans la région, cette année deux fois à Ramallah et à Gaza. Et, je n’ai jamais entendu à Gaza et à Ramallah, le quart des outrances que j’ai entendu à Paris.



C'est-à-dire ?
F.Z. : Une chose m’a toujours frappé avec ce conflit. Plus on s’éloigne de son épicentre, plus il est passionnel et plus on se rapproche, plus on trouve de gens qui se disputent, se combattent parfois mais qui partagent le même réel, au fond, ils savent bien qu’ils sont dans le même bateau.



Même au Hamas ? Alors qu’au Hamas, on dénie le droit à Israël d’exister ???
F.Z. : Non, je ne parle pas du Hamas, et lorsque j’étais à Gaza, je n’ai pas vu le Hamas. Mais, les voyages que j’ai faits ont été très importants pour moi, parce que j’y ai reconnu des semblables. J’ai rencontré des êtres humains dont je me suis senti spontanément très proche et j’ai réalisé à quel point une vision lointaine et abstraite du conflit pouvait déshumaniser l’autre et c’est vrai dans les deux camps. Maintenant, quant je pense aux Palestiniens, je me dis que rien n’est pire que ceux qui, de Paris, prennent parti pour un camp contre l’autre. Pourquoi est-ce si difficile d’être être à la fois pro-israélien et pro-palestinien ?



Expliquez-vous…
F.Z. : C’est quoi penser le futur d’Israël si ce n’est en paix avec les peuples qui l’entourent ? La guerre perpétuelle ? Inversement, comment peut-on être pro-palestinien sans être également pro-israélien et un fervent défenseur d’Israël ? C’est quoi l’avenir du futur Etat palestinien s’il doit être en conflit permanent avec son voisin Juif ? Le drame ici, ce sont ceux qui prétendent défendre l’intérêt d’un camp et nuisent finalement aux deux.



Attendez, vous avez fait l’objet vous-mêmes de grandes critiques par ceux qui disent que François Zimeray est un sioniste. Non ?
F.Z. :C’est un compliment ! Pourquoi refuser à l’un le droit à l’existence que l’on revendique pour l’autre ?



Mais, qu’est ce que cela veut dire d’être (aussi) pro-palestinien ?
F.Z. : C’est d’abord être habité par ces mots de Victor Hugo : « Ah, insensé qui crois que je ne suis pas toi ». Je me suis souvent demandé ce que je penserais, ce que je ferais si j’étais à leur place ? Je suis donc pour la création d’un Etat palestinien libre et démocratique vivant au côté d’Israël.



Je comprends. Mais, est-ce que vous pensez que tous les Palestiniens imaginent un seul instant qu’ils devront vivre en paix avec les Israéliens, alors que de nombreux terroristes veulent rayer définitivement Israël de la carte ?
F.Z. Je pense que la majorité des palestiniens n’aspirent qu’à une chose, vivre en paix et avoir une vie normale et je sais que les israéliens sont comme eux.



Vous êtes optimiste ?
Notre espoir, c’est la lassitude du conflit, je l’ai partout ressentie…



Monsieur l’Ambassadeur, je vous remercie.



Propos recueillis par Marc Knobel



Photo : D.R.