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Publié le 3 Juin 2010

La galaxie des «libérateurs de Gaza»

Les militants de la flottille de Gaza ont été expulsés d’Israël mercredi 2 juin. Libération, dans son édition du 3 juin 2010, dresse le portrait de ces ONG venues d’Europe et du Moyen-Orient.




Sous les intenses pressions de la communauté, internationale, Israël a expulsé hier les militants propalestiniens capturés lundi lors du raid meurtrier contre la flottille humanitaire qui se rendait à Gaza. «Plus un seul des détenus n’est actuellement en prison», a déclaré le porte-parole de l’administration pénitentiaire israélienne, Yaron Zamir (lire page 4).
Hier après-midi, plus de la moitié des 682 militants qui étaient à bord des six bateaux avaient déjà été expulsés : 400 d’entre eux via l’aéroport Ben-Gourion, près de Tel-Aviv, les autres via la Jordanie. Parmi eux, des laïcs, des pacifistes, des militants de gauche et de la cause arabe, mais aussi beaucoup d’islamistes, dont des Frères musulmans. Tour d’horizon de cette mouvance.



France : islamistes et laïques



Le local est modeste, au rez-de-chaussée d’un immeuble banal du XVIIIe arrondissement de Paris. C’est là que siège le Comité de bienfaisance et de secours aux Palestiniens (CBSP). Sept de ses membres étaient sur deux des bateaux de la flottille d’aide humanitaire à destination de la bande de Gaza arraisonnée, lundi à l’aube, par l’armée israélienne. Moins connu du grand public que le Secours islamique qui est intervenu récemment en Haïti, le CBSP est, comme lui, l’une des associations spécialisées de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF). Chaque année, il a son stand au rassemblement organisé par cette organisation, au Bourget. Comme l’UOIF, le CBSP se situe donc dans la mouvance des Frères musulmans.



Alors que la Campagne civile internationale pour la protection du peuple palestinien (CCIPPP), dont le porte-parole, Thomas Sommer Houdeville, était à bord d’un des bateaux, est laïque et de gauche, le CBSP a des fondements religieux. «Chez les Frères musulmans, tout est religieux, pas seulement la prière, mais aussi l’engagement politique et social. Le soutien à la cause palestinienne est considéré comme un acte d’adoration», explique Samir Amghar, chercheur à l’Ecole des hautes études en sciences sociales. L’une des missions du CBSP est la mise en place de projets de reconstruction et de développement à Gaza. Les bateaux de la flottille transportaient 100 maisons en kit offertes par cette association aux Palestiniens. «Les militants du CBSP se consacrent à l’humanitaire et en même temps à la prédication, poursuit Samir Amghar. Ils disent aux gens "on vous donne de l’argent pour construire des maisons, mais c’est parce qu’on est des bons musulmans, et, vous aussi, vous devez être des bons musulmans".»



Compte tenu de sa proximité avec les Frères musulmans, le CBSP a des relations fraternelles avec le Hamas. Qualifié par le centre Simon-Wiesenthal, en 2004, d’«association française qui finance le terrorisme et qui est proscrite aux États-Unis», le CBSP a porté l’affaire en justice. En première instance, le Centre Simon-Wiesenthal a été condamné pour diffamation. Décision cassée en appel. Côté finances, le CBSP revendique 70 000 donateurs en France, mais toucherait également, selon Amghar, de l’argent «de bienfaiteurs et mécènes des pays du Golfe, des riches Saoudiens, Koweïtiens ou Emiratis pour qui la question palestinienne compte».



Turquie : l’IHH, des islamistes très proches du pouvoir



Peu de Turcs en doutent : l’opération montée par l’ONG islamiste Fondation des droits et des libertés (IHH), était soutenue par l’AKP, le parti islamo-conservateur au pouvoir, dont elle est depuis toujours très proche. «C’était une opération Recep Tayyip Erdogan - Ahmet Davutoglu. Le Premier ministre et son ministre des Affaires étrangères désirent s’affirmer au premier plan sur la scène internationale en étant ceux qui brisent le blocus de Gaza, et Tel-Aviv est bêtement tombé dans le piège d’Ankara», estime Mehmet Ali Birand, chroniqueur et célèbre journaliste de télévision. Rusen Cakir, écrivain et spécialiste des mouvements islamistes, relève que «ce convoi d’aide humanitaire était vu comme une aide islamique». D’où des interrogations croissantes dans l’opinion turque sur les buts réels et les méthodes de l’IHH.



Le 28 mai, jour du départ du Mavi Marmara, le président de l’ONG, Bülent Yildirim, évoquait devant la presse «l’éventualité d’une descente des commandos d’Israël. Nous n’aurons même pas de couteaux, mais nous avons beaucoup de courage et nous saurons résister contre une attaque éclair». Yildirim a longtemps vécu à Gaza et, en tant que président de l’IHH, travaillé en Afghanistan, en Somalie et en Irak. L’IHH assure avoir envoyé ces quatre dernières années vers la Palestine de l’aide sociale, culturelle, éducative et médicale pour 20,5 millions d’euros. Mais la Palestine est loin de représenter son seul terrain d’action.



La Fondation revendiquait il y a encore quelques jours 18 000 membres. La tragédie du Mavi Marmara a dopé les adhésions, qui seraient passées à plus de 50 000. «On ne sait même plus combien : notre site a été piraté par Israël, alors nous continuons notre communication sur Facebook», déclarait hier un responsable de l’IHH. L’ONG, créée en 1992 par des croyants turcs d’Allemagne, s’était beaucoup engagée en Bosnie. Certains de ses membres ont ensuite été impliqués dans l’affaire Deniz Feneri («le Phare maritime»), une autre association islamique de bienfaisance turco-allemande condamnée pour détournements de fond. Le scandale éclaboussa aussi l’AKP à l’époque. «Toutes les initiatives de l’IHH, en particulier celles ayant des conséquences internationales, sont réalisées sous contrôle du gouvernement», accusent les organisations de l’opposition laïque. «Le Premier ministre Erdogan gagnera pour la troisième fois les élections grâce à cette victoire palestinienne», prévoit déjà Yavuz Semerci, éditorialiste du quotidien Haberturk (centre).



Grande-Bretagne et Allemagne



L’arrestation d’au moins 31 Britanniques et de 11 personnes disposant de la double nationalité a été confirmée hier par le Foreign Office. Aucun Britannique n’a été tué, mais au moins un, Ashan Shamrak, a été sérieusement blessé et est toujours hospitalisé. La plupart des activistes sont des membres d’organisations humanitaires ou politiques affiliées au mouvement «Free Gaza», basé à Chypre, qui a déjà organisé plusieurs convoyages humanitaires à bord de navires vers Gaza. Certains sont des activistes occasionnels, qui ont déjà participé à des missions humanitaires, d’autres sont journalistes ou exercent des professions médicales. Osama Qashoo était à bord du Mavi Marmara et filmait un documentaire, alors que Peter Venner, 63 ans, qui tient un commerce de bois sur l’île de Wight, amenait des livres pour l’université de Gaza, achetés grâce à des dons locaux. Il y avait au moins cinq Ecossais à bord des bateaux, dont Theresa McDermott, une postière d’Edimbourg, qui a fondé il y a un an Free Gaza Scotland. Deux représentants du groupe Viva Palestina, fondé par l’ex-député britannique George Galloway, étaient également à bord du Mavi Marmara.



Onze Allemands se trouvaient sur les bateaux de la flottille, dont Matthias Jochheim (lire page 3), qui faisait partie d’un groupe de cinq Allemands voulant livrer du matériel médical et des médicaments à Gaza. Trois membres du parti néocommuniste Die Linke (les députées Inge Höger et Annette Groth) ainsi qu’un ancien député, le professeur d’université Norman Paech, les avaient rejoints, de même qu’un Allemand né à Gaza, Nader Al-Sakka, de la Société palestinienne allemande. Cinq autres Allemands ont également été emprisonnés. Un sixième Allemand a été blessé et se trouvait hier dans un hôpital près de Tel-Aviv.



(Par Catherine Coroller, Ragip Durand (à Istanbul), Sonia Delesalle-Stolper (à Londres) et Nathalie Versieux (à Berlin))



Photo : D.R.
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