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Publié le 7 Décembre 2007

Laurent Duguet, journaliste : «Accepter de laisser croire que ces discours racistes et antisémites n’existent pas vraiment, c’est prendre le risque qu’ils franchissent de nouveaux paliers à l’insu de tous»

Question : Vous venez de publier un texte pour le treizième numéro des Etudes du CRIF (décembre 2008): « La haine raciste et antisémite tisse sa toile en toute quiétude sur le Net. » Quel est l’objet de ce texte ?


Réponse : Ce texte est d’abord né d’un constat historique. Le négationnisme, qui consiste à nier la politique d’extermination de l’Allemagne nazie et de ses alliés contre les Juifs d’Europe pendant la seconde guerre mondiale, est né en 1948, sous la plume de Maurice Bardèche, beau-frère de Robert Brasillach. Ce discours ne nie pas seulement le génocide mais aussi l’ampleur des modalités –les chambres à gaz- et la volonté politique et matérielle de sa mise en œuvre. Le développement de l’historiographie sur le génocide juif, d’une part, et l’interdiction faîte par la loi Gayssot, en 1990, de tenir des propos niant les crimes contre l’humanité, au sens du procès de Nuremberg, avaient, semble-t-il, stoppé les « faussaires ». C’était oublier l’inventivité des négationnistes. Quand l’outil Internet s’est développé, au début des années 1990, les négationnistes du monde entier ont senti l’opportunité qui s’offrait à eux. Etre sur Internet, c’est être visible et anonyme à la fois, hors de portée de certaines juridictions. Autant dire que les auteurs de propos racistes ou antisémites ont, eux aussi, utilisé la voie qui s’offrait à eux. Ce texte est le résultat, hélas non exhaustif, d’une observation, celle d’une violence inouïe de propos en libre-service sur le net que rien ne semble freiner.
Question : Quelles sont vos préoccupations ?
Réponse : Il ne me paraît pas infondé de dire que ces textes qui circulent ne sont en rien un épiphénomène. Ils utilisent des arguments dont certains sont directement tirés des « mythes fondateurs »[1] de l’antisémitisme ou de ceux qui ont contribué naguère à élaborer les bases du racisme. Il est donc préoccupant de voir se développer, parfois de manière très différente, ces terreaux d’intolérance sans que cela ne gêne grand monde. Mais jusqu’à quand ? Jusqu’à quel degré ? Je pense souvent aux propos de Robert Badinter : « On pouvait penser qu’après tant de souffrances engendrées par le racisme et l’antisémitisme, tant de déclarations solennelles et de conventions internationales dénonçant ces deux fléaux de l’humanité, tant de dispositions législatives nationales, de cérémonies, de commémorations rappelant le martyr des victimes, tant d’ouvrages et de films consacrés à la Shoah (…) ceux-ci se seraient effacés des démocraties ou que, du moins, leurs manifestations ou leurs expressions auraient disparu de la scène publique. Or, il n’en a rien été. (…) L’histoire récente enseigne que les démocraties sont souvent restées sourdes aux périls et aux poisons qui les menaçaient jusque dans leur fondement. Interrogeons-nous : que serait-il advenu si le Dr Goebbels et ses émules avaient disposé des moyens actuels de propagande, notamment de l’Internet ? [2]».
Question : Vous paraît-il nécessaire de parler de ce sujet ? Ne vaut-il pas mieux taire l’existence de ces sites ?
Réponse : Alors qu’il existe une batterie de textes interdisant et condamnant tout propos d’incitation à la violence ou à la haine raciale dans les médias, on peut se demander au nom de quoi des propos similaires sur le net seraient absous de cette vigilance. Ne pas en parler, c’est se voiler la face alors que le net est justement par ailleurs un formidable outil d’échange, de connaissance et de progrès humain. Accepter de laisser croire que ces discours racistes et antisémites n’existent pas vraiment puisqu’ils ne sont « que » sur le net et de façon marginale ou en revendiquer le maintien au nom de la liberté d’opinion, c’est prendre le risque qu’ils franchissent de nouveaux paliers à l’insu de tous.
Question : Que convient-il de faire pour lutter contre le développement de ces sites extrémistes ?
Réponse : Le parquet peut désormais saisir le Juge des référés pour ordonner la fermeture d’un site. Sont notamment visés les sites encourageant crimes et délits ou ceux faisant l’apologie des crimes de guerre et des crimes contre l’Humanité ou encore ceux favorisant les actes de terrorisme, la discrimination, la haine et la violence ethnique, religieuse ou sexuelle.
Propos recueillis par Marc Knobel
Notes :
1.Iancu C., Les Mythes fondateurs de l’antisémitisme, Toulouse, Editions Privat, 2003.
2.Badinter R., Interaction entre racisme, xénophobie et antisémitisme sur Internet et crimes de haine, OSCE, 16/17 juin 2004, Paris.