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Publié le 18 Octobre 2010

Le Père Michel Remaud, lauréat du prix de l’Amitié Judéo-Chrétienne de France

Chaque année depuis 1988 l’Amitié Judéo-Chrétienne de France décerne un prix à une personnalité juive ou chrétienne qui œuvre pour le dialogue judéo-chrétien. Le Père Michel Remaud est le lauréat de cette année 2010. Le prix de l’AJCF lui sera remis Mercredi 20 octobre à 19h dans la synagogue Massorti Adath Shalom, 8 rue George Bernard Shaw, 75015 Paris (Métro Dupleix). Né en 1940 en Vendée, ordonné prêtre à l’âge de 26 ans, le Père Michel Remaud est membre de la Congrégation des Fils de Marie Immaculée et docteur en théologie. Depuis 1985, le Père Remaud est en Israël ou il a enseigné de 1986 à 2001 à Jérusalem à l’Institut Pontifical Ratisbonne. Fondateur de l’Institut français Albert Decourtray d’Etudes Juives à Jérusalem, il dirige aujourd’hui l’Institut Chrétien d’Etudes Juives.




La première question qui nous vient naturellement est pourquoi dans le vaste champ de réflexion et d’implication qu’autorise la fonction sacerdotale avez-vous choisi de vous consacrer entièrement au dialogue avec les juifs ?



Il y a de nombreuses fonctions possibles à l’intérieur de l’unique Église. Celle de la relation au judaïsme a pris une importance grandissante au cours de ces dernières décennies et c’est un domaine où l’Église doit faire des investissements intellectuels. Évidemment, il y a aussi un attrait personnel. On ne m’aurait pas forcé à faire ce travail si je n’y avais pas trouvé d’intérêt. Pourquoi se sent-on attiré par une spécialité plutôt que par une autre? C’est une question que chacun peut se poser.



Pour moi, j’y suis arrivé progressivement, mais assez rapidement.



Il y a eu d’abord, au cours de mes années de séminaire, que j’ai passées en partie à Rome, la passion pour la Bible. Pas spécialement pour l’exégèse, mais la Bible elle-même, le texte, que je lisais cursivement et sans m’en lasser. J’ai pu bénéficier au cours de mes années romaines de la proximité d’un grand spécialiste de la littérature juive ancienne, Roger Le Déaut, qui résidait au séminaire français de Rome. Cependant, c’est surtout après coup que j’ai mesuré la chance que j’avais eue de pouvoir le rencontrer régulièrement.



La fréquentation de la Bible, prise dans son ensemble, m’a fait assimiler comme une certitude que l’Éternel est fidèle à sa parole, et donc que l’alliance avec le peuple juif ne pouvait pas être rompue. Ce qui m’a conduit, une fois rentré en France, à rencontrer la communauté juive, à Bordeaux où je résidais alors, à participer à l’Amitié judéo-chrétienne, puis à prendre contact avec le Père Dupuy, qui m’a introduit dans le Comité épiscopal pour les relations avec le judaïsme, dont il était à l’époque le secrétaire. Avec ses encouragements, j’ai commencé à publier. L’arrivée à Jérusalem, où je suis venu pour la première fois en 1979, s’inscrit logiquement dans ce parcours.



Qu’est ce qui a changé dans la perception de la relation au peuple juif ? Comment expliquer que cette relation a fait plus de progrès en 60 ans qu’en 19 siècles ?



Je répondrai d’abord à votre deuxième question. Je crois qu’il ne fait aucun doute pour personne que le point de départ de ce changement est la Shoa, ou, plus précisément, la découverte par certains chrétiens de la responsabilité particulière du monde chrétien dans la préparation du climat qui avait rendu le génocide possible. Même si le dernier concile n’en a pas parlé explicitement, le souvenir du nazisme était présent à tous les esprits. Le cardinal Bea, qui fut le principal rédacteur de la déclaration sur les juifs au concile, commence son livre L’Église et le peuple juif par ces phrases : « Le problème, vieux comme le christianisme, des relations de l’Église avec le peuple juif a été rendu plus aigu par l’épouvantable extermination des millions de juifs par le régime nazi. Pour cette raison, ce problème s’est imposé à l’attention du concile. »



C’est depuis la dernière guerre mondiale que la relation au judaïsme est devenue progressivement institutionnelle. Il y avait eu auparavant des contacts individuels, mais l’engagement des Églises comme telles (protestantes et catholique) est récent.



Du côté chrétien, ce dialogue, étant donné ce qui l’a directement provoqué, a toujours été marqué par le sentiment d’une culpabilité et d’un devoir de réparation. Il y a eu des « déclarations de repentance » de la part d’épiscopats nationaux et du Saint Siège lui-même, qui ont abouti au geste de Jean-Paul II allant prier silencieusement devant le Mur occidental avant d’y glisser le texte de sa prière.



Même si les chrétiens ne doivent jamais oublier la dette (dans tous les sens du terme) qu’ils ont envers le peuple juif, il faut souhaiter que leur relation au judaïsme ne se limite pas au registre de la repentance.



Ce qui m’amène à votre première question : « Qu’est ce qui a changé dans la perception de la relation au peuple juif ? » Pour le dire très brièvement, je dirai que depuis une soixantaine d’années, les chrétiens ont appris à écouter les juifs. C’est un retournement de situation considérable, si l’on se rappelle comment, pendant des siècles, dans les sociétés chrétiennes, les juifs ont souvent été sommés de se taire et d’écouter les chrétiens. Aujourd’hui, nous découvrons combien la connaissance du judaïsme peut enrichir et renouveler la connaissance de nos propres origines.



Cela dit, il ne faut pas oublier que cet intérêt pour le judaïsme est encore le fait d’une minorité de chrétiens, même si cette minorité est en augmentation.



Vous êtes à l’origine de la fondation de l’Institut Albert Decourtray qui propose aux chrétiens francophones d’étudier le judaïsme à partir des textes qui fondent sa tradition. Pensez vous que cette lecture juive des écritures permette une autre approche des évangiles, à la lumière d’une nouvelle façon d’aborder le texte ?



Heureusement, je ne suis pas seul dans ce travail ! Si nous n’avions pas été un équipe, cette fondation n‘aurait jamais eu lieu.



La lecture juive des Écritures peut renouveler largement notre compréhension du Nouveau Testament. Des pionniers l’avaient déjà montré (je parlais tout à l’heure de R. Le Déaut, et il y en a eu d’autres), mais c’est un travail qui doit être poursuivi et faire l’objet d’une vulgarisation. N’oublions pas que les auteurs du Nouveau Testament étaient juifs et imprégnés de la culture de leur peuple. De nombreux passages du Nouveau Testament restent plus ou moins obscurs, voire incompréhensibles, s’ils ne sont replongés dans le monde juif de leur époque. C’est un paradoxe : pour remonter à ses origines, le chrétien doit changer de culture et se mettre à l’écoute de gens (les juifs) qui ne partagent pas sa foi.



Faire découvrir aux chrétiens cette réalité, dans des cours, des conférences ou des publications, soulève généralement un grand intérêt chez les auditeurs et les lecteurs. Je ne manque jamais l’occasion de souligner à ce propos que la relation de parenté qui unit le Nouveau Testament à la tradition rabbinique est le signe d’une autre relation, celle qui unit l’Église au peuple juif comme la branche est unie au tronc, pour reprendre la parabole célèbre de Paul dans l’Épître aux Romains. Pour l’Église, la relation au judaïsme ne se réduit pas à ses aspects littéraires.



J’ajoute que la réciproque est en partie vraie. Même si la relation de l’Église au peuple juif est par nature dissymétrique (chacun ne peut pas être la racine de l’autre !), le monde juif peut aussi tirer profit de la connaissance des sources chrétiennes, notamment sur le plan historique. Il est désormais commun de voir des chercheurs juifs se référer au Nouveau Testament comme à un témoin de la vie juive en terre d’Israël en en diaspora (Paul a visité une bonne partie des communautés juives d’Asie et d’Europe).



Nous avons tout à gagner à mieux nous connaître les uns les autres, dans le respect de nos différences et de nos identités.



Propos recueillis par Stéphanie Dassa



Photo : ajcf.fr
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