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Publié le 1 Juillet 2010

Le régime syrien encourage les opérations pour Gaza en vue de faire oublier la misère et la répression qu’il fait subir à son peuple depuis quarante ans, par l’écrivaine palestinienne Zeinab Rashid

En apprenant que des militants syriens ont participé à la “flottille pour la liberté”, certains pourraient croire qu’ils n’ont rien d’autre à faire que s’occuper des problèmes des autres sans doute parce qu’il n’en existe aucun dans leur propre pays. En apprenant qu’après avoir été relâchés par Israël et expulsés vers la Jordanie, ils ont été accompagnés jusqu’à la frontière syrienne par leur ambassadeur en poste à Amman, certains pourraient croire que Damas se soucie du sort de chacun de ses ressortissants, protège sa sécurité et assure son bien-être où qu’il se trouve et quels que soient ses ennuis. En apprenant que les ministres de l’Information et des Affaires étrangères étaient en contact permanent avec eux, dès leur libération et jusqu’à leur retour à la maison, certains pourraient croire qu’un tel gouvernement fait preuve d’une prévenance sans égale vis-à-vis de ses citoyens. Quand c’est le président Bachar El-Assad en personne qui les reçoit dans son palais afin de s’enquérir en détail de ce qu’ils ont subi de la part des sauvages tortionnaires israéliens, alors, là, on ne peut qu’envier les Syriens pour la considération dont ils jouissent.




Pourtant, tout un chacun peut comprendre qu’en réalité la Syrie essaie simplement de surfer au mieux sur la vague déclenchée par le Premier ministre turc Erdogan. La belle affaire pour Damas : détourner l’attention de sa propre situation intérieure pour faire oublier la dégradation de son économie et pour couvrir les cris de détresse des prisonniers d’opinion qui croupissent dans des bastilles, visibles ou secrètes.



Jusqu’à ce que le Hamas établisse sa domination sur la bande de Gaza, la situation y était bien meilleure que dans la Syrie de la famille Assad, dont l’appareil répressif a ramené la population des dizaines ­d’années en arrière et qui a étouffé les libertés et jeté en prison tous ceux qui ont osé formuler la moindre revendication.



A Gaza, point d’écoles construites en terre cuite comme il en existe dans beaucoup de villages syriens, ni de classes surchargées avec plus de 60 élèves. A Gaza, même en état de siège, la raréfaction de certains produits alimentaires est moins flagrante que sur le marché syrien, où il faut avoir des contacts bien placés pour en faire venir clandestinement du Liban. L’accès à Internet est incomparablement meilleur à Gaza qu’en Syrie et il n’y existe pas d’interminables listes de sites proscrits. Qui donc a le plus besoin d’une “flottille de la liberté”, Gaza ou le peuple syrien ?



Avant que le Hamas ne contrôle la bande de Gaza, de nombreux médias de diverses obédiences concouraient sur place à l’information du public dans un environnement de liberté tout à fait acceptable, et d’innombrables articles critiquant l’Autorité palestinienne pouvaient paraître. Cependant, en Syrie, Ali Abdallah est jugé pour un article qu’il avait écrit en prison, parce que sous les Assad on n’a pas le droit d’exprimer son opinion.



A Gaza, on n’applique pas des lois d’exception brutales comme on le fait depuis quarante ans en Syrie. Les habitants de Gaza n’ont pas connu de massacre tel que celui qui a eu lieu à la prison de Sednaya dans la banlieue de Damas en 2008, à la prison de Palmyre [en 1980], ou encore dans la troisième ville du pays, Hama, en 1982. Bilan : des dizaines de milliers de morts.



Où faudrait-il attirer l’attention de l’opinion publique mondiale ? Qui a vraiment besoin d’une “flottille pour la liberté” ? Le peuple syrien, enchaîné par le régime des Assad, ou les habitants de Gaza, où la répression a atteint le niveau actuel seulement depuis que le Hamas y a établi sa ­domination, avec les soutiens de Damas et de Téhéran ?



(Article publié dans le Courrier International du 1er juillet 2010)



Photo La prison de Sednaya, près de Damas) : D.R.