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Publié le 28 Octobre 2010

Les jeunes Israéliens réconciliés avec Berlin

Jadis ville symbole de l'enfer nazi, la capitale allemande suscite aujourd'hui un véritable engouement dans les milieux «branchés» de Tel-Aviv, qui l'ont massivement adoptée.



Leurs grands-parents ne voyaient en Berlin que la capitale du «pays des bourreaux». U ne ville incarnant un univers froid et brutal. Trois générations plus tard, Berlin est redevenue fréquentable pour des milliers de jeunes Israéliens qui ont fait le choix de s'y installer. Ces jeunes n'ont rien oublié mais préfèrent se tourner vers l'avenir. Venus de Tel-Aviv, de Jérusalem ou des kibboutz, ils aiment cette ville vibrionnante et tolérante avec sa vie de bohème, des arrière-cours remplies d'ateliers d'artistes et des soirées techno dans les anciennes friches industrielles.



Longtemps, le Berlin du début du XXe siècle avait été occulté par l'effroi laissé par le nazisme dans la conscience collective juive. Pendant ces années folles, Berlin était une ville cosmopolite. La communauté juive était au cœur de sa formidable créativité. Avant l'arrivée au pouvoir des nazis en 1933, Berlin comptait plus de 170.000 Juifs. Avocats, médecins, ils appartenaient souvent à l'élite intellectuelle de la ville.



Aujourd'hui, les Israéliens reviennent et participent au renouveau de la capitale de l'Allemagne réunifiée. Les «soirées Meschugge» («dingues» en yiddish), où ne passe que de la musique israélienne, sont parmi les plus en vogue au sein de la communauté gay berlinoise. Organisateur de ces soirées, le disque-jockey Aviv Netter, 26 ans, alias DJ Aviv Without the Tel, s'est installé à Berlin il y a quatre ans. «À Berlin, vous pouvez organiser des soirées juives non kasher sans que personne ne vous regarde de travers , se réjouit Aviv. J'adore Israël, mais c'est un village un peu militariste et très religieux, où chacun sait ce que vous fabriquez dans votre cuisine et où les homosexuels ne sont pas toujours bien vus en dehors de Tel-Aviv.»



Double nationalité



Attiré par l'atmosphère libérale de la ville et sa légendaire vie nocturne, Aviv affirme que Berlin est devenue synonyme de «branché» pour les jeunes israéliens urbains. Quatre compagnies aériennes low-cost proposent des vols réguliers Tel-Aviv-Berlin. Une fois sur place, ils découvrent une ville accessible pour leurs porte-monnaie. «Berlin commence à remplacer les destinations tradition­nelles de décompression après le service militaire, comme l'Inde, explique Aviv Netter. Berlin est devenue un peu la grande sœur de Tel-Aviv. Tout le monde à Tel-Aviv regarde ce qui se passe ici dans le domaine de l'art moderne ou celui de la musique techno.»



En Israël, dans les années 2000, l'insécurité liée à l'intifada avait provoqué une ruée dans les consulats étrangers. Les Israéliens cherchaient à y faire valoir une double nationalité, à laquelle certains avaient droit en raison de leurs origines, mais qu'ils n'avaient jamais réclamée. Quelque 2.000 Israéliens obtiennent chaque année la nationalité allemande. La plupart sont des descendants de Juifs allemands privés de leur nationalité après l'arrivée d'Hitler au pouvoir. La Loi fondamentale leur permet d'obtenir la nationalité allemande. Selon l'ambassade d'Israël, environ 13.000 Israéliens vivent à Berlin. Les Israéliens se classent en deuxième position, derrière les États-Unis, pour le nombre de visiteurs non européens à Berlin alors que leur pays ne compte que 7,5 millions d'habitants.



Ils se retrouvent dans les nombreux delicatessen, cafés et bars branchés israéliens de la capitale. «Heureusement, nous n'avons pas que des clients israéliens, sinon nous aurions déjà fait faillite, précise Ofer Mellech, patron du café Zula. Les Berlinois, mais aussi les touristes étrangers, raffolent de notre houmos. Ils apprécient aussi la culture israélienne que nous servons en accompagnement.» Ofer a découvert Berlin en 1998 à l'occasion d'un stage alors qu'il était étudiant en architecture. Il s'y est installé six ans plus tard. «J'ai été tout de suite séduit par cette ville qui offre l'anonymat et les espaces verts, par son côté si accueillant pour les étrangers et son tempo plus calme par rapport à Tel-Aviv», explique-t-il.



«Le passé est le passé»



Impossible d'échapper au passé à Berlin. La plupart des Israéliens se sont installés dans le quartier branché de Prenzlauerberg ou dans l'ancien quartier juif, autour de la Oranienburgerstrasse et de sa synagogue, la plus grande d'Europe avant la Seconde Guerre mondiale. Elle a été sauvée de la destruction par un policier courageux lors de la nuit de Cristal. La mairie de Berlin a fait poser des Stolpersteine -appelés «pierre à trébucher»-, des petites plaques en cuivre portant le nom de chaque déporté devant toutes les maisons où ils vivaient. Originaire de Pologne, la grand-mère d'Ofer Mellech s'était cachée à Berlin avant d'être déportée dans un camp de concentration. «Au début, certains de mes amis m'ont demandé pourquoi j'allais m'installer au pays des bourreaux, raconte Ofer. Seule ma grand-mère, survivante de l'Holocauste qui a perdu toute sa famille ici, ne m'a jamais posé de questions. Elle est morte il y a dix ans. Elle avait compris que Berlin était redevenue une ville ouverte. Elle m'avait dit que le passé était le passé et qu'il y avait une nouvelle génération en Allemagne aujourd'hui.»



Animatrice d'une émission en hébreu sur la radio allemande, «Kol Berlin», destinée à la communauté israélienne, Nirit Bialer, 32 ans, est l'une des pionnières du renouveau judéo-israélien en Allemagne. Fascinée par l'histoire et la langue, Nirit a 14 ans lorsqu'elle commence à apprendre l'allemand. Sa ville d'origine, Raanana, a été l'une des premières en Israël à organiser des échanges avec l'Allemagne dans les années 1960. «Je suivais des cours au Goethe Institut de Tel-Aviv, raconte Nirit. À l'époque, nous passions pour un groupe de farfelus. Tout le monde nous demandait pourquoi nous apprenions la langue des bourreaux. Aujourd'hui, les jeunes se battent pour y trouver une place.» Nirit pense que de nombreux jeunes Israéliens ont été attirés par l'Allemagne en raison de la politique très dynamique du gouvernement allemand, qui finance de nombreux échanges. «Je me suis liée d'amitié avec les familles allemandes où j'ai été accueillie, explique Nirit. La première fois que je suis venue à Berlin, j'avais 17 ans, et je suis tombée sous le charme.»



Malgré toute la bienveillance qu'elle cultive à l'égard de l'Allemagne depuis l'enfance, Nirit juge que vivre à Berlin reste un défi pour une Israélienne. «Les Allemands réagissent toujours de manière embarrassée lorsque je dis que je viens d'Israël, raconte-t-elle. On finit généralement par parler de l'Holocauste. Mais il n'est pas question de pratiquer l'humour noir qu'affectionnent les Israéliens sur ce thème. Cela rend les Allemands livides. Et bien que ce soit interdit par la loi et que le phénomène soit moins répandu qu'ailleurs en Europe, l'antisémitisme existe toujours en Allemagne.» Nirit avoue que lorsqu'elle attend un train sur un quai de gare par une journée grise et qu'elle entend parler en allemand dans les haut-parleurs, elle ne peut s'empêcher de frissonner… L'image des déportés juifs sur les quais de gare est indélébile dans la conscience juive.



Malaise des Allemands



En Israël, Nirit n'était pas très pratiquante. Elle n'est pas devenue plus religieuse à Berlin mais dit s'être rapprochée de ses racines juives depuis qu'elle y habite. «En Israël, être juif est une évidence, explique-t-elle. On y baigne dans le judaïsme et on finit par devenir un peu cynique à l'égard de la religion. À Berlin, je me suis demandé pour la première fois ce que cela signifie d'être juive. Je me sens plus proche des Juifs de la diaspora et d'Israël. Depuis que je vis à Berlin, savoir qu'Israël, un endroit où l'on peut être juif sans se poser de questions, existe me rassure. Cela ne m'empêche pas d'éprouver une très forte émotion lorsque je vais à la grande synagogue de Berlin pour Yom Kippour. Lequel de mes grands-parents aurait pu imaginer cela?»



Élevé par des parents survivants de la Shoah, le chanteur d'opéra Amit Friedman confie qu'il est plus difficile pour lui que pour les Israéliens de la troisième génération de vivre à Berlin. «Au début, comme tout le monde, je trouvais cette ville très décontractée, explique-t-il. Maintenant, je me rends compte que le Berlin des années 1920 était fascinant grâce à la créativité des Juifs. Depuis qu'ils nous ont chassés, les Allemands sont devenus ennuyeux. Je me demande parfois si, malgré leur culpabilité, leur rapport profond aux Juifs a vraiment changé et si l'histoire leur a réellement appris quelque chose sur nous. Ils ignorent tout d'Israël et du conflit du Proche-Orient. Parfois, il est plus facile de communiquer avec des Palestiniens.» De fait, le malaise des Allemands les empêche souvent de comprendre Israël. Amit Friedman avoue éprouver encore de la colère lorsqu'il pense aux souffrances infligées par les nazis à ses parents. Mais, pour les jeunes, il est plus facile et plus naturel de se tourner vers l'avenir.



Article de Patrick Saint-Pierre publié dans la Figaro du 28 octobre 2010



Photo : D.R.
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