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Publié le 15 Mai 2008

Marcel Blumenzak : «Je ne veux pas être considéré comme un héros»

L’homme n’aime pas les honneurs. Il refuse même d’aller chercher la légion d’honneur qui lui est décernée. Marcel Blumenzak est un homme modeste. Il considère que ce qu’il a fait était de son devoir. Téméraire, il s’engage à 17 ans comme volontaire étranger pour aller combattre aux côtés des siens en Israël. « Je ne voulais plus qu’à cause d’un nom, d’une appartenance à une religion quelqu’un soit massacré. »


Ses parents justement sont partis de Pologne pour fuir l’antisémitisme et les persécutions. Lui est né en 1931 à Paris ainsi que ses deux sœurs. La famille a des moyens très modestes. Le père de Marcel est ouvrier-boulanger. Il travaille de nuit. Leurs relations père-fils sont pour ainsi dire inexistantes. C’est un de ses regrets.
Lorsque la guerre éclate, sa mère, sentant le vent tourner, décide de passer en zone libre avec ses enfants. Tandis que son père reste sur Paris. En parlant de sa mère, Marcel raconte : « Sa vie en Pologne lui avait enseigné la prudence, la prévoyance et la débrouillardise. » Ils se retrouvent donc à Grossouvre, dans le Cher, dans une maison où sont accueillis des réfugiés. Marcel se souvient de ses papiers avec la mention « Juif » et de son instituteur antisémite : « Il avait une grosse gomme. Il me faisait reculer et me l’envoyait à la figure sans que j’aie le droit de bouger. » Difficile de vivre tranquillement lorsque l’on s’appelle Blumenzak dans les années 40. « Mon nom m’a longtemps traumatisé à tel point qu’après la naissance des jumeaux j’ai proposé à ma femme de changer notre état-civil dans la crainte qu’ils n’aient eux aussi un jour à en souffrir. Elle m’en a dissuadé », se rappelle t-il.
La vie devenant difficile, ils déménagent à Sancoins, à quelques kilomètres. « En période chaude, on se séparait. Tout le monde savait que l’on était juif mais personne n’a jamais rien dit. »
Son père a été arrêté en zone libre en juin1941 et interné au camp de Vernet où il est resté jusqu’en septembre 1942. Afin de le sortir de là, la mère de Marcel demande une permission pour que son compagnon et elle puissent se marier. « Elle voulait qu’il profite de cette permission pour s’enfuir ». Mais conscient du danger qu’il ferait courir à sa famille, son père décide de repartir, après le mariage, au camp accompagné des gendarmes. Il est déporté à Auschwitz le 25 septembre 1942 par le convoi n° 37 et ne reviendra pas.
A la fin de la guerre, sa mère ayant tout perdu décide de placer ses enfants. Marcel est envoyé à Limoges, au château de Laborie, dirigé par l’OSE. C’est là qu’il fait sa bar-mitzva. Après plus d’un an au château il rentre sur Paris. « Je n’étais pas bien dans ma peau. J’étais un solitaire », se souvient-il.
Mais le tournant, c’est l’épisode de l’Exodus. Marcel est révolté face à cette tragédie. « Cette histoire m’a perturbé et a été le déclencheur. Voir des Juifs sortis des camps de la mort et reconduit dans des camps. J’étais révolté. Je ne pouvais pas rester sans rien faire. Je me suis dit qu’on ne pouvait nous, les Juifs, ne pas avoir un refuge. » Il décide donc de s’engager en juin 1948 malgré la détresse de sa mère qui se sent abandonnée.
A Marseille, il monte à bord d’un bateau de pêche, le « Marie-Annick ». La traversée dure trois semaines dans des conditions difficiles, vu l’état vétuste du bateau. En débarquant à Jaffa, « nous avons ressenti un immense sentiment de bonheur ». Dès son arrivée il est incorporé dans Tsahal qui venait d’être créée par Ben Gourion. « Je me suis retrouvé dans un camp de formation militaire accélérée. J’y ai appris à une utiliser une mitraillette Sten et des fusils tchèques. Le mien avait une croix gammée gravée sur le canon. Ce symbole avait pour moi un parfum de revanche. »
Après cet entraînement accéléré, Marcel est affecté à une unité anti-aérienne dont la mission est la protection et la défense des sites menacés, pistes d’atterrissage de fortune, dépôts de carburants... « Notre unité a longtemps stationné sur le toit de la gare de Haïfa. Ce poste de surveillance était idéal pour protéger l’importante installation d’hydrocarbures qui se trouvait à proximité, ainsi qu’une partie de la côte et du mont Carmel.
Quelques temps plus tard, son unité est envoyée au camp de Tel-Litvinsky près de Tel-Aviv. Il se souvient que lors d’un exercice, David Ben Gourion est venu les visiter. « Je ressentais une grande fierté d’être là. Et dire que quelques années avant, sous l’occupation, j’étais obligé de me cacher. »
L’unité anti-aérienne est restée opérationnelle jusqu’aux accords d’armistice de 1949. Après sa démobilisation, Marcel retrouve une partie de la famille de sa mère qui avait survécu aux camps et était venue s’installer en Israël. Mais souhaitant retrouver sa mère et ses sœurs, il rentre sur Paris. Il rencontrera plus tard son épouse, pour qui il a cette phrase affectueuse : « Je ne sais pas ce que je serais devenu si je ne l’avais pas rencontrée. »
Cette guerre lui a permis d’ « évacuer » tout ce qu’il avait gardé en lui pendant des années sous l’occupation : la frustration, la peur.
Bien des années plus tard, Marcel Blumenzak a voulu revoir les villages où il s’est caché avec sa famille. Il est également parti en Allemagne. « Lorsque je suis allé à Berlin, j’avais besoin de voir et de comprendre. C’était une nécessité. Je me suis réconcilié avec l’Allemagne d’aujourd’hui. »
Quant à son engagement, Marcel insiste en disant qu’il n’a fait que son devoir et ne souhaite pas être considéré comme un héros. « Je voulais me battre contre une injustice ». D’ailleurs, Israël a pour lui une importance considérable. « Ce qui m’a le plus frappé à mon arrivée dans ce pays c’est que tout le monde était juif ! L’agent de police, les militaires, les chauffeurs de bus… tout le monde. Cela me changeait de l’époque où j’étais obligé de raser les murs. Ici je me sentais libre. » Même dans son unité où toutes les nationalités étaient représentées, Marcel explique : « On faisait partie d’un ensemble. »
Inquiet, aujourd’hui, il s’interroge sur l’avenir du pays : « Quand on est parti en Israël, on voyait la paix. Au bout de 60 ans, elle n’est toujours pas là et je dois dire que c’est une énorme déception. On s’est battu pour, mais on ne la verra pas. »
Propos recueillis par Stéphanie Lebaz
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