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Publié le 21 Décembre 2010

Meurtre d'Ilan Halimi : «Ça peut se reproduire»

Alors que le procès en appel du Gang des barbares s'est achevé vendredi 17 décembre 2010, Emilie Frèche pointe du doigt un procès dont la France n'aura rien retenu. Rencontre exclusive avec l'auteur de « La mort d'un pote » rédigé juste après le meurtre d'Ilan Halimi et de « 24 jours », coécrit avec la mère de la victime où elle raconte, jour après jour, le calvaire vécu par Ilan et sa famille.




Guysen International News : Pensez-vous que ce procès aura une portée pour l’avenir ?



Emilie Frèche : Non. Pas du tout. Je trouve que ça a été géré comme un fait divers. Ça ne sera pas un procès pour l’histoire, ça c’est sûr.



Beaucoup de gens ont nié le motif antisémite à l’époque des faits.



Mais encore aujourd’hui ! Dans "La mort d’un pote" je l’explique. On est dans la vraie banalisation. Ce qui est assez dramatique c’est qu’aux yeux de certains il faudrait être cultivé pour être antisémite. Certains disent "ils ne peuvent pas être antisémites, ils sont trop bêtes pour ça, ils ne savent pas ce que c’est". Et il y a des gens qui pensent sincèrement que l’équation ‘Juif=argent’ est pertinente. Et c’est pour ça que je pense que la France s’est privée d’un procès pédagogique, parce que c’était aussi le moyen de revenir là-dessus. Si le livre qu’on a écrit avec Ruth Halimi (la mère d’Ilan, ndlr) a aussi bien marché. Si ça a touché les gens c’est parce que ce qu’on a mis c’est la souffrance d’une mère. Et ça c’est universel, tout le monde peut s’y reconnaitre. Ainsi on a pu faire passer des messages. Si le procès n’avait pas eu lieu à huis-clos, on aurait pu tous se rendre compte que chacun de nos enfants peut un jour faire partie du ‘Gang des Barbares’. Parce que ce ne sont pas des barbares, ils se sont appelés les barbares mais ils n’ont rien de barbares ces gamins. Ils sont on ne peut plus normaux. Ce que je disais il y a quatre ans et qui est toujours d’actualité c’est que la tentation barbare elle existe dans chacun d’entre nous. Je trouve que c’est vraiment dommage parce qu’on aurait pu voir comment la participation de chacun a abouti au meurtre d’Ilan Halimi, comment le silence de chacun a aussi participé à sa condamnation. On aurait pu voir que l’antisémitisme, il commence à partir du moment où on décide d’aller arpenter les boutiques du boulevard Voltaire à la recherche de Juifs plutôt que celles de Versailles. C’est pour ça que Ruth voulait absolument un procès public. Quand vous faites un procès public avec Fourniret par exemple, avec un tueur en série, il est considéré comme le vrai barbare, il ne nous ressemble pas, il nous fascine par sa violence. Alors que là il y aurait pu avoir un processus d’identification très fort pour ceux qui auraient suivi le procès.



Aux yeux de certains Ilan Halimi a le visage de toute une génération qui a subi la vague d’antisémitisme au début des années 2000. Cet antisémitisme que vous aviez décrit dans ‘‘Le sourire de l’ange’’.



C’est d’ailleurs l’écriture de ce livre qui a fait que j’ai été autant bouleversée par l’histoire d’Ilan Halimi. Ça aurait pu être n’importe quel Juif. C’est pour ça que c’est un acte antisémite. Ilan Halimi est certes l’apogée de cette vague mais ce qu'il y a de plus terrible, ce qui m’a paniqué, c’est finalement la réaction des élites qui disent que ce n’est pas un acte antisémite, que Juif=argent c’est un cliché, mais pas antisémite. En gros ils disaient ‘‘Ils nous gonflent ces Juifs avec leur victimisation permanente’’. On a écrit des livres, fait des manifestations, deux procès et malgré ça ces gens-là rentrent chez eux et gardent la conviction que ce n’est pas un acte antisémite.



Vous pensez que c’est encore le cas aujourd’hui ?



Mais absolument ! J’étais dans un salon du livre il y a 15 jours, j’étais assis à côté d’une femme, charmante, intellectuelle, qui écrit des essais et qui me dit, sans ne savoir quoi que ce soit de cette affaire, ‘‘non mais on sait tous que ce n’était pas antisémite, ils voulaient juste de l’argent’’. On a beau se battre ça ne change rien. On a passé un nouveau cap qui est celui de la conviction arrêtée avant même le début de la conversation…



Vous pensez que cette histoire va faire date ou bien, au contraire, peut-elle se reproduire ?



Je pense que ça peut se reproduire, ça c’est certain. Pour moi cette affaire est aussi importante que l’affaire Dreyfus. Ce qui était choquant dans l’affaire Dreyfus c’était l’antisémitisme d’Etat. Le capitaine Dreyfus a été victime d’un antisémitisme militaire, de la haute société d’Etat. Cette affaire a été le signe annonciateur de Vichy, de l’antisémitisme de la ‘‘France d’en haut’’. Or là c’est le signe annonciateur de l’antisémitisme ‘‘d’en bas’’.



Mais lorsqu’Ilan Halimi a été tué, on était à la fin de la vague d’antisémite, donc c’est plutôt une conséquence qu’un acte annonciateur de la suite.



Oui c’est la conséquence mais ce que je veux dire c’est que ça la ibèré la parole. C’est un meurtre qui libère les choses. D’un coup on dit publiquement qu’on peut choisir un Juif dans la rue et le séquestrer. C’est ahurissant. Ils ont pris le fils d’une secrétaire, d’une femme qui gagnait 1400 euros par mois !



Comment ont réagi les institutions juives ? Ont-elles tout de suite reconnu le motif antisémite ?



Evidemment. Les institutions étaient furieuses de ne pas être au courant de l’affaire pendant la séquestration. Mais Ruth n’a rien dit parce que la police, le quai des Orfèvres, lui a dit ‘‘vous vous taisez et de votre silence dépend la survie de votre fils’’, c’était ça le drame.



Propos recueillis par Julien Bahloul pour Guysen International News - Lundi 20 décembre 2010



Photo : D.R.



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