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Publié le 7 Juin 2011

Mission en arménie - mon «carnet de route» ,par jean-Pierre Allali

Organisé par les associations COL (Communauté On Line présidée par Simon Midal, par ailleurs membre du comité directeur du CRIF) et Sassoun (Amitié du peuple arménien avec le peuple juif présidée par Paul Kieusseian) un voyage exceptionnel a eu lieu en Arménie du 30 mai au 3 juin 2011. Ce voyage de découverte, à la rencontre du peuple arménien et des lieux de sa mémoire millénaire, a également permis aux vingt-et-un participants de rencontrer des personnalités arméniennes, les responsables de la petite communauté juive d’Arménie et le conseiller culturel de l’ambassade de France à Erevan. Jean-Pierre Allali, membre du Bureau Exécutif, qui représentait le CRIF lors de ce voyage, nous propose son carnet de route au jour le jour au pays des abricots, des grenades, de l’obsidienne, de la flûte et du lavache. Aujourd’hui : les journées des 30 et 31 mai.




Lundi 30 mai 2011



Partis à la mi-journée de Paris-Charles de Gaulle, nous nous retrouvons, compte tenu du décalage horaire de trois heures, en pleine nuit à l’arrivée à l’aéroport Zvartznos d’Erevan, la capitale arménienne. Comme l’Arménie est membre de la C.E.I., Communauté d’États Indépendants fédérés autour de la Russie, des douaniers russes sont aux côtés des douaniers autochtones. Nous changeons nos premiers euros pour des drams, monnaie arménienne, pour faire établir nos visas. Puis, notre guide, la sympathique Hasmig, nous conduit au bus et à son chauffeur, le dévoué Rafi que nous ne quitterons plus jusqu’à la fin de notre séjour. Dès les premiers pas la surprise est totale : sur la route, des dizaines de casinos se succèdent. Des néons multicolores invitent à venir tenter sa chance au poker ou à la roulette. À croire que les Arméniens ont la passion du jeu. Voici aussi une Tour Eiffel en miniature qui scintille et, plus loin, le quartier populaire de « Bangladesh ». La ville n’est pas très loin. Au passage, on découvre l’ambassade américaine, un bâtiment gigantesque construit au bord d’un lac et qui dispose d’une piste d’atterrissage pour hélicoptères et d’un terrain de golf. Peu avant l’arrivée à l’Hôtel de l’Europe, on traverse la superbe place de la République où une foule dense écoute avec ferveur, comme tous les soirs, de la musique classique tandis que des jeux lumineux et colorés de fontaines agrémentent un décor véritablement féerique.



Mardi 31 mai 2011



Le décalage horaire rend nos nuits courtes. Très tôt, nous partons à la découverte de la capitale de l’Arménie, Erevan. La ville est très animée et, très vite, on réalise le dynamisme et l’extrême jeunesse de la population. Malgré des salaires moyens extrêmement bas, une couverture sociale inexistante, des écoles et des universités payantes, un marché du travail très fermé, les gens ont l’air heureux, épanouis même. Partout, des vendeurs de fleurs, des cafés, des restaurants très animés, des petits marchands, des parcs avec de nombreux terrains de jeux pour enfants.



Située à plus de 1000 mètres d’altitude, Erevan a été érigée en 782 avant J.C. Au début du XXème siècle, elle ne comptait que 40 000 habitants. Ils sont aujourd’hui 1,2 million. Aux bâtiments de style soviétique construits pour l’essentiel dans les années trente, se sont ajouté des immeubles modernes comme ceux de l’avenue Hanrapetutian, les « Champs Élysées » de la ville. De très nombreuses statues sont érigées ici et là, telle celle de David Sassoun, héros de la résistance contre les Méliks, envahisseurs arabes. Le nom de David Sassoun, avec sa consonance hébraïque, ne laisse pas d’étonner et d’interpeller. Au fil des heures et des explications de notre guide, nous réalisons l’imbrication très intime, à travers les siècles, de l’histoire arménienne avec celle du peuple juif. Les Arméniens, qui se considèrent comme les descendants de Japhet et de son fils, Hayk, désignent leur pays comme le Haykstan. Ce sont les Assyriens qui les ont appelés « Ar Men », « Les fils du Soleil ». Parmi les premières dynasties arméniennes, celle des Bagrat et de sa famille dont Achod le Grand, des Juifs convertis et celle de leurs petits cousins, les Zaccharides. Voici encore les Zogs, des pseudo-Juifs venus du Nakhitchevan azerbaïdjanais. Leurs descendants, les Molocans, appelés « Les buveurs de lait » car ils buvaient du lait quand les autres Arméniens faisaient carême, se regroupent du côté de la ville de Dilidjan, sorte de petite Suisse arménienne, que nous traverserons plus tard. Lors de la Seconde Guerre mondiale quelques centaines d’enfants juifs venus de Russie et d’Ukraine ont été sauvés et placés dans des familles molocanes près du lac Sevan. Par la suite, nombreux seront, par la force des choses, les mariages mixtes. Des traces juives dans le pays, à travers des cimetières juifs datant des 12ème, 13ème et 14ème siècles rappellent les carrefours commerciaux dans le sud du pays sur la route des caravanes où les Juifs étaient particulièrement présents. Sans oublier la secte marrane des Pacradounis et la filiation juive du roi arménien Tigrane et de son neveu du même nom (2).



Voici aussi la statue de « Tata Margot », protectrice de la ville, due au sculpteur Israelian, celle d’Ara le Beau, « Ardichti », le quartier des « Rapatriés » où l’on retrouve les Arméniens venus d’Union Soviétique et de Paris sous Nikita Khrouchtchev. Les maisonnettes rustiques sentent bon le café quand on s’en approche. Nous découvrons la cathédrale de Grégoire l’Illuminateur, le quartier estudiantin, les universités dont la française et l’américaine, l’Institut Économique National, l’Académie des Sciences, bâtie en tuf, l’Assemblée Nationale, appelée « La Forteresse ou le Palais des Hirondelles », le musée dédié au cinéaste Parajdanov, l’Opéra, construit par Alexandre Tarmanian. Sans oublier le grand stade construit en 1972, année où le club de football d’Erevan avait gagné le championnat de Russie. Ce stade a aussi été le théâtre, récemment des matches « Turquie-Arménie » joués dans le cadre de la « diplomatie du football ». Parmi les panneaux publicitaires, nous ne manquons pas de noter l’omniprésence de la marque de cognac et de vins « Ararat » passée sous la coupe du français Ricard.



Enfin, quelques immeubles délabrés rappellent qu’il reste encore des cicatrices du tremblement de terre de 1988.



La Forteresse d’Erebouni est un passage obligé pour le visiteur d’Erevan. Elle fut construite sur ordre du roi Arghisti 1er en 782 avant notre ère. Le site est bien reconstitué et des archéologues, italiens et français, reviennent régulièrement sur le site.



Nous voici à présent à l’Institut des Manuscrits Anciens Mesrop Machdots de Madenataran, une impressionnante bibliothèque avec ses 17 000 manuscrits et enluminures, pour beaucoup récupérés dans des ventes aux enchères et offertes par des Arméniens de la diaspora.



Après un déjeuner en ville, nous rejoignons le Mémorial de Tsitsernakaberd, dédié aux victimes du génocide de 1915 construit en 1968. Le monument se compose de deux parties l’une sous forme de flèche élancée, l’autre sous forme de coupole, les Arméniens du pays et ceux de la Diaspora. Nous sommes reçus par le directeur. Une plantation de pins avec des plaques commémoratives rappelle ce que l’on peut voir à Yad Vashem en Israël. Une musique grave est diffusée de manière perpétuelle. Dans une crypte, nous nous recueillons devant la flamme symbolique avant de visiter une exposition de photographies et de documents. À l’extérieur, les tombes de victimes du conflit du Haut-Karabakh.



Nous quittons fort secoués le Mémorial pour nous rendre au monument mixte « Shoah-Génocide des Arméniens » érigé dans un parc en centre ville. Nous y rencontrons la présidente de la communauté juive, Rimma Varzhapetyan, accompagnée, et c’est une surprise, par l’historien israélien Israël W.Charny, grand spécialiste des génocides (1) venu recevoir une décoration à Erevan.



Dans son intervention, Paul Kieusseian mettra l’accent sur l’unicité de la Shoah, appellera les Arméniens à lutter de toutes leurs forces contre l’antisémitisme et contre l’antisionisme et les incitera à se rendre en visite à Jérusalem.



Un peu plus tard, nous sommes reçus dans les locaux de la communauté juive où une collation décorée aux drapeaux d’Israël a été préparée pour nous. C’est l’occasion d’un échange de cadeaux. Madame Varzhapetyan remet à chacun d’entre nous un livre sur les Juifs d’Arménie et une petite grenade en pendentif ainsi que des « Tables de la Loi » en obsidienne. Au nom du CRIF, je lui remets un petit objet d’art.



Parmi les présents, Narine Gulyan, membre du cabinet du président de la République Arménienne, Serge Sarkissian, chargée des relations avec les minorités nationales. Elle nous expliquera comment elle gère, au quotidien, les problèmes de onze minorités, à savoir : les Assyriens, les Biélorusses, les Allemands, les Yezidis, les Polonais, les Juifs, les Grecs, les Russes, les Géorgiens, les Ukrainiens et les Kurdes.



Nous dînons le soir dans un ancien cinéma transformé en restaurant, « Oregano » dirigé par Paul, un Arménien qui a vécu à Paris et au Canada avant de se lancer dans la restauration en proposant des spécialités libanaises, juives et arméniennes.



Jean-Pierre Allali



(1)Il a dirigé l’ouvrage de référence « Le livre noir de l’humanité. Encyclopédie mondiale des génocides « préfacé par Simon Wiesenthal et Desmond M.Tutu. Éditions Privat. 2001.
(2)Lire à ce sujet : « Rome, la Judée et les Juifs » de Mireille Hadas-Lebel. Éditions Picard. 2009



Photos (Erevan : Le Mémorial du Génocide des Arméniens ; Devant le Mémorial « Mixte », la présidente de la communauté juive d’Erevan entourée des organisateurs du voyage, Paul Kieusseian et Simon Midal) : D.R.
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