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Publié le 24 Juin 2008

Pasteur Florence Taubmann : «L'AJC veut rester vigilante devant les manifestations d'antisémitisme et d'antijudaïsme, comme elle l'a toujours fait»

Question : Vous êtes la nouvelle Présidente de l'Amitié Judéo Chrétienne de France. Que ressentez-vous?


Florence Taubmann : Je ne suis pas vraiment surprise car sollicitée depuis plusieurs mois, je me suis préparée à prendre cette responsabilité. Je suis très contente et en même temps un peu impressionnée car l'héritage est beau. En 60 ans de travail, de réflexions, de rencontres, d'immenses pas ont été accompli dans la compréhension réciproque des juifs et des chrétiens. Et surtout les Eglises chrétiennes ont opéré un virage à 180 ° par rapport à la théologie traditionnelle qu’elle professait un enseignement très méprisant sur le judaïsme. De tout ce cheminement, la revue Sens (1), qui paraît chaque mois, apporte un bon témoignage. Il faudra continuer. Mais si j'ai pu accepter cette présidence, c'est parce que je suis entourée d'une très bonne équipe autour du Directeur Bruno Charmet.
Question : Quels vont être vos objectifs et vos prochaines priorités?
Florence Taubmann : Poursuivre le travail qui est en cours, et le faire davantage connaître. Je crois que nous ne communiquons peut-être pas suffisamment. Mais nous avons maintenant un site Internet (amitie-judeo-chretienne.com) et cela change les choses. Je voudrais aussi continuer ce que Paul Thibaud a entrepris l'an passé, en organisant une semaine de l'Amitié judéo-chrétienne, qui s'est tenue à l'Institut catholique de Paris et a attiré un public nombreux. Il ne faut peut-être pas exactement refaire la même chose, car c'est assez lourd, mais créer des moments forts. Mais à côté de tout cela il ne faut pas oublier que l'AJCF veut rester vigilante devant les manifestations d'antisémitisme et d'antijudaïsme, comme elle l'a toujours fait.
Question : Comptez-vous vous déplacer, en portant la voix de l'AJCF dans les paroisses, les temples ou les synagogues?
Florence Taubmann : L'AJCF est née en 1948. Donc il est évident que les Eglises et les communautés juives d'aujourd'hui ne sont plus du tout les mêmes qu'il y a 60 ans. Aller à la base ce qui se passe et ce qu'on attend de nous me semble aller de soi. Mais il faut aussi reconnaître que beaucoup de rencontres, de tables rondes, de débats ont lieu maintenant en dehors d'associations ou de structures officielles. Ces événements se multiplient et c'est une bonne chose. Mais sur le plan historique et théologique, l'AJCF a un rôle à jouer, car elle bénéficie de l'expérience et du recul nécessaire. Il faut donc la faire mieux connaître dans les paroisses et les synagogues.
Question : Mais, votre tâche ne sera-t-elle pas plus difficile, parce que vous êtes Pasteur?
Florence Taubmann : C'est vrai que je suis chargée d'une paroisse. Même si le ministère en province est moins lourd qu'à l'Oratoire du Louvre, où j'étais précédemment, il n'en reste pas moins qu'il est prenant et que je n'aurai pas la même disponibilité que mon prédécesseur. En même temps, être ancrée localement donne un plus grand sens des réalités, et du langage à utiliser pour se faire comprendre des gens. A les fréquenter l'on sent très concrètement leur sensibilité, leurs difficultés à admettre ceci ou cela, leurs réticences ou au contraire leur intérêt, leur sympathie, leurs désirs. Or que ce soit dans une paroisse ou dans la société, l'enseignement, l'explication, l'écoute ...sont essentiels pour que les gens s'ouvrent les uns au autres et deviennent capables d'ouverture et d'attention ...Je ne sais pas si les juifs se rendent toujours bien compte de l'énorme intérêt qu'il y a pour le judaïsme et pour la pensée juive dans le monde chrétien, un intérêt à la fois passionné et respecteux. Il y a des gens qui apprennent l'hébreu, qui lisent des tas de livres, certains prennent des cours de pensée talmudique...
Question : Comment comptez vous engager l'AJCF dans la lutte contre l'antisémitisme?
Florence Taubmann : Il y a la lutte immédiate, je veux dire les réactions à chaud devant telle ou telle manifestation d'antisémitisme. Et là je crois que c'est important de se fédérer avec d'autres associations, d'autres voix. Et il y a la réflexion de fond pour analyser ce qui est en cause, ce qui est spécifique à chaque fois. Car l'antisémitisme n'est pas toujours le même. Il évolue. Et par exemple ces dernières années il est clair qu'une certaine forme d'opposition radicale à Israël a pu être lue comme une nouvelle forme d'antisémitisme. Mais en même temps ce travail de réaction et d'analyse ne suffit pas. Pour lutter il ne faut pas seulement dénoncer. Il y a parfois un effet pervers de la dénonciation ...quand de manière désespérante on a l'impression qu'on n'est pas compris et que la dénonciation finit par susciter une forme de suspicion. Je crois donc qu'il faut agir contre l'antisémitisme par le philosémitisme, et contre l'antijudaïsme par un philo judaïsme....Et je pense que c'est vraiment l'esprit de l'Amitié judéo-chrétienne, notamment dans son travail de connaissance du judaïsme et du monde juif.
Question : Et Israël dans tout cela?
Florence Taubmann : Même chose: faire connaître, faire aimer! Expliquer patiemment même quand on est fatigué des sempiternelles critiques. Bien sûr on ne convainc que ceux qui veulent se laisser convaincre. Mais cela vaut le coup, car cela joue toujours au moins sur quelques personnes de bonne volonté qui ne demandent qu'à comprendre à condition qu'on leur apporte des éléments de connaissance. Dans la revue Sens il y a eu de très bons articles sur Israël et sur le conflit israélo-palestinien. Je pense en particulier à celui du Père Jean Dujardin dans le numéro 11 de l'année 2007.
Question : Ne pensez-vous pas qu'il faille élargir cette amitié aux Musulmans?
Florence Taubmann : Tout a fait. D'un côté il y a des dialogues spécifiques qu'il faut continuer et approfondir, d'un autre côté il faut s'ouvrir aux autres associations de dialogue. Je pense à la Fraternité d'Abraham, ou à l'amitié judéo-musulmane, à l'Amitié islamo-chrétienne ...Nous avons du travail à faire ensemble. D'ailleurs le thème de l'Assemblée annuelle internationale de l'AJC, qui se tient cette année à Jérusalem, est : " La contribution du dialogue judéo-chrétien-musulman au progrès vers la paix au Moyen Orient."
Propos recueillis par Marc Knobel
Notes :
La revue Sens, dirigée par le Professeur Yves Chevalier, est publiée par l’Amitié judéo-chrétienne de France, 60, rue de Rome – 75008 – Paris.
Tél : 01.45.22.12.38.
Site Internet : amitie-judeo-chretienne.com
Pour aller plus loin :
Florence Taubmann et André Grjebine, « Les fondements religieux et symboliques de l’antisémitisme », Les Etudes du CRIF, n° 11, juin 2006, 32 pages. Pour aborder, sans fards, l’antisémitisme contemporain et son inévitable surgeon, l’antisionisme, dans cette 11ème édition des Etudes du CRIF, deux talents se conjuguent : Florence Taubmann, pasteur de l’Église réformée de France et André Grjebine, directeur de recherches à Sciences Po.
Cette étude a été mise en ligne grâce à la participation de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah. La version intégrale du texte est accessible en cliquant sur le lien ci-contre : http://www.crif.org/pdf/etude_11.pdf
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