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Publié le 29 Octobre 2010

Pierre-André Taguieff : le comble de l’odieux a été atteint par le MRAP

Le Mrap a lancé une campagne contre vous. Dans quel but selon vous ?




Depuis longtemps, le MRAP considère, à juste titre dirai-je, que je suis un chercheur et un intellectuel dangereux pour lui, dangereux en particulier pour sa crédibilité. J’ai contribué notablement, par mes travaux sur le racisme et l’antiracisme dès la fin des années 1980, à montrer l’inconsistance des définitions du racisme à géométrie variable que se donnait cette organisation afin de poursuivre n’importe quel individu ou groupe perçu par ses dirigeants comme un ennemi. J’ai soumis ensuite à une analyse critique le décalage entre la conception universaliste de l’antiracisme affichée par le MRAP et la réalité hautement sélective de ses combats, de plus en plus clairement liés à un engagement sans nuance en faveur de la cause palestinienne. La « lutte contre le racisme » que le MRAP pratique tend de plus en plus caricaturalement à se réduire à une lutte sur deux fronts : d’une part, la dénonciation systématique et permanente d’Israël, s’accompagnant d’une diabolisation du « sionisme », et, d’autre part, des chasses aux sorcières lancées contre des personnalités ou des groupes qui lui font l’affront de ne pas obéir aux codes du politiquement correct à la française, et qu’il dénonce notamment pour péché d’« islamophobie ». L’un des principaux objectifs du combat pseudo-antiraciste du MRAP peut être ainsi défini : détruire la réputation et la carrière professionnelle des personnes dont les positions politiques ou les engagements ne lui plaisent pas, et qu’il veut faire taire. Le MRAP s’est spécialisé dans l’orchestration des appels (discriminatoires et illégaux) au boycott d’Israël et dans les campagnes visant certains écrivains violant le code du politiquement correct (Alain Finkielkraut, Éric Zemmour, etc.). Le comble de l’odieux et du grotesque a été atteint par le MRAP avec la publication, en 2009, de son rapport intitulé « Internet, enjeu de la lutte contre le racisme », où, par exemple, l’excellent site causeur.fr est classé dans la catégorie « À droite de la droite » (sic), avec ce commentaire involontairement comique : « Le contenu de ce site n’appelle pas d’observations. » Mais, lit-on encore, « sa ligne éditoriale est très à droite, proche des thèses néo-conservatrices ». Ce site est donc épinglé dans un rapport sur le racisme, alors même qu’aucune accusation de racisme ne peut être lancée contre lui. Cette mise à l’index parfaitement arbitraire illustre les méthodes douteuses employées par le MRAP pour salir, discréditer et disqualifier ceux qu’il perçoit comme des ennemis politiques. Voilà qui rappelle l’une des techniques utilisées par le maccarthysme : l’association par contiguïté.



C’est dans cette perspective que le MRAP a fouillé récemment dans les poubelles de Facebook pour dénicher sur mon « mur » une phrase de facture polémique qui, citée approximativement et extraite de son contexte (une discussion privée entre un certain nombre d’« amis » sur mon « mur »), et bien que supprimée par mes soins quelques heures plus tard, lui a paru pouvoir servir à dénoncer publiquement le chercheur gênant. Gênant surtout parce que, non content d’avoir soumis à un examen critique les pratiques d’un certain « antiracisme » politiquement instrumentalisé par une extrême gauche israélophobe, il a consacré de nombreuses analyses fouillées aux équivoques inquiétantes de ce qu’il est convenu d’appeler l’« antisionisme », qu’il analyse comme une nouvelle forme de racisme, et a mis en évidence la dimension antijuive de la guerre intellectuelle et politique menée contre l’État d’Israël.



On sait que le MRAP, organisation fondée par des communistes à l’époque stalinienne avec pour objectif déclaré de combattre « le racisme et l’antisémitisme », est devenu au cours des années 1990 et 2000, sous l’impulsion de Mouloud Aounit, l’officine idéologico-politique que l’on connaît, s’efforçant de disqualifier toute critique de l’islam politique par la menace de poursuites pour « islamophobie » et participant activement à la propagande anti-israélienne, illustrant ainsi le dévoiement contemporain de la « lutte contre le racisme ». Ce dévoiement de la « lutte contre le racisme » explique la multiplication des tensions au sein de cette organisation militante qui n’a cessé de perdre des militants sincères, qui ne se reconnaissaient pas dans les orientations prises par l’étrange combat « antiraciste » mené par Mouloud Aounit, ancien apparatchik du PCF placé à la tête de cette « courroie de transmission ». Cette pratique de la dénonciation diabolisante du « sionisme » et d’Israël est le résultat d’une longue dérive idéologique qui a commencé dans les années 1970, bien avant l’accession de Mouloud Aounit à la direction du MRAP. D’une façon significative, à la fin des années 1970, le MRAP a modifié sa dénomination, tout en conservant le même acronyme : le « Mouvement contre le racisme, l’antisémitisme et pour la paix » s’est rebaptisé « Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples ». Cette suppression du mot « antisémitisme » est certainement l’acte militant le moins mensonger - un véritable aveu - de cette officine qui pervertit le débat démocratique en organisant des chasses aux sorcières contre diverses personnalités du monde intellectuel et politique.



Que le MRAP s’autorise à lancer contre moi et bien d’autres une campagne de dénigrement, au nom de la morale, cela semble relever de la provocation, venant d’une organisation ayant participé à des manifestations anti-israéliennes violentes où des slogans expressément antijuifs ont été scandés. En outre, à de telles occasions, le MRAP a manifesté sans s’émouvoir de la présence de représentants de groupes islamistes jihadistes tels que le Hamas et le Hezbollah, appelant à la lutte armée contre Israël jusqu’à la destruction totale de l’État juif. Voilà qui contredit l’image que le MRAP s’efforce d’imposer de lui-même dans les médias, celle d’un rassemblement de « militants de la paix », comme le prétend son président. Lors d’une manifestation propalestinienne organisée à Paris, place de la République, le 7 octobre 2000, à l’appel de multiples associations (dont l’Union générale des étudiants de Palestine en France et le MRAP) et de partis politiques (les Verts, la LCR), des cris « Mort aux Juifs ! » et « Juifs assassins ! » furent lancés dans un contexte de nazification frénétique d’Israël, des Israéliens et des Juifs en général. On lisait par exemple sur une affiche : « Stop au terrorisme juif hitlérien ! 1 Palestinien mort = 1 000 inhumains (Juifs) morts ». Une première depuis la Libération. J’avais relevé de tels faits dans deux de mes livres, La Nouvelle Judéophobie (2002), essai sur la genèse de la vague antijuive des années 2000, traduit dans plusieurs langues étrangères, et Prêcheurs de haine (2004), somme de près de mille pages dont l’objet est d’explorer les territoires de la « judéophobie planétaire » contemporaine. J’ai poursuivi mon exploration des diverses formes prises par la judéophobie contemporaine par deux gros ouvrages : La Judéophobie des Modernes (2008) et La Nouvelle Propagande antijuive (2010). Le MRAP ne m’a pas pardonné d’avoir établi et souligné ces dérives judéophobes des mobilisations propalestiniennes dont il était partie prenante. Le président Aounit n’a pas non plus oublié que, dans Prêcheurs de haine, j’avais notamment pointé les relations équivoques entre Dieudonné et le MRAP : alors secrétaire général de cette organisation dite « antiraciste », Mouloud Aounit était ainsi venu en personne, le 20 février 2004, soutenir Dieudonné, pourtant déjà clairement passé à l’antisémitisme militant, dans une manifestation parisienne où le comique provocateur était transfiguré par ses adulateurs, comprenant le célèbre humaniste Joe Starr, en martyr de la liberté d’expression.



Le MRAP est donc fort peu qualifié pour donner des leçons de morale civique, de non-violence et de « respect de l’autre ». Mais l’on comprend qu’il importe au président du MRAP, contesté dans son propre camp et soucieux de sauver sa réputation, de salir celle du chercheur Pierre-André Taguieff qui, concernant le racisme et l’antiracisme auxquels il a consacré de nombreux ouvrages, sait, quant à lui, de quoi il parle.



Pouvez-vous brièvement revenir sur les circonstances de l’attaque contre vous ?



Le MRAP, censé lutter « contre le racisme », publie le 18 octobre 2010 un communiqué où il s’indigne avec emphase d’une phrase polémique extraite d’une discussion privée, entre « amis », tenue sur mon « mur » de Facebook quelques jours auparavant, une phrase pourtant rapidement supprimée par mes soins, avec tout le passage qui lui donnait son sens, à savoir une paraphrase de la célèbre épigramme de Voltaire contre Fréron, remplacé pour l’occasion par Stéphane Hessel. À la relecture, le résultat de la paraphrase m’a paru d’une virulence hors de propos, et j’ai supprimé le passage, puis, quelques heures plus tard, le commentaire ajouté. Le contenu de cette phrase supprimée est totalement étranger au racisme, et ne comporte aucune stigmatisation d’une personne en raison de ses origines ou de ses appartenances. Comme telle, elle ne fait pas partie du champ idéologique, celui du « racisme », où le MRAP exerce sa vigilance à sens unique. Si j’ironise, avec l’aide de Voltaire, sur le personnage Hessel médiatiquement traité comme une « icône », c’est strictement en raison des positions politiques que ce dernier a prises ces dernières années, avec une virulence croissante, contre Israël ainsi qu’en faveur de la cause palestinienne, sans les nuances et les euphémismes propres à la rhétorique diplomatique dont il enveloppe à l’ordinaire ses propos, émaillés d’appels aux bons sentiments. Cet engagement total contre l’État juif est porté chez cet ancien diplomate, supposé amoureux de la paix, par des passions fortes, qui l’ont conduit à scander le slogan « Israël assassin ! » dans telle ou telle manifestation anti-israélienne violente (par exemple, le 3 janvier 2009 à Paris), et à accuser l’État juif de « crimes de guerre » et de « crime contre l’humanité ». À cette expression d’une haine à l’égard d’Israël, coupable de se défendre contre des attaques incessantes et de défendre son droit à l’existence, Hessel a ajouté un engagement personnel, exprimé le 15 juin 2010, dans la campagne BDS (« Boycott, Désinvestissement, Sanctions ») contre l’État juif, visant à l’isoler, l’affaiblir et surtout le délégitimer. En outre, alors qu’il fait preuve d’une extrême sévérité vis-à-vis d’Israël, Hessel s’est montré d’une étrange complaisance à l’égard du mouvement islamo-terroriste qu’est le Hamas. Bien que l’objectif déclaré du Hamas soit la destruction de l’État juif, il présente le mouvement islamiste comme un interlocuteur avec lequel il faudrait « négocier ». Il montre surtout par là sa totale méconnaissance de l’islamisme radical, d’inspiration jihadiste, qui ne respecte en rien les règles de la négociation internationale. L’angélisme ne saurait se substituer à l’analyse des réalités politiques.



Pour clarifier ma position après avoir supprimé la phrase polémique qui m’est aujourd’hui reprochée, et afin de préciser, sans métaphores ni images, ce que je pensais de la dérive « antisioniste » de l’ancien diplomate, j’ai posté cet autre commentaire sur mon « mur » : « Il aurait certainement pu finir sa vie d’une façon plus digne, sans appeler à la haine contre Israël, joignant sa voix à celles des pires antijuifs. Même le grand âge ne rend pas imperméable à la vanité, et ne met pas fin au goût d’être applaudi. » Il n’y a ici rien de haineux, mais bien plutôt l’aveu d’une déception, n’allant pas sans une certaine tristesse devant le naufrage d’un personnage mieux inspiré naguère. Ce passage mesuré sur l’évolution de l’ancien diplomate, relevant trop clairement du libre examen critique, n’a bien sûr pas été retenu par les inquisiteurs du MRAP. Ce qui montre la malveillance et la mauvaise foi de ces derniers.



Comment expliquez-vous les prises de position de Stéphane Hessel concernant Israël ?



Elles peuvent en effet surprendre, venant d’un homme qu’on pouvait trouver naguère fort sympathique, ouvert, nuancé et mesuré. C’est là d’ailleurs le souvenir personnel que j’avais de lui, ayant prononcé naguère une conférence sur le racisme en sa présence, et apprécié la discussion que j’avais pu avoir avec lui. Et je n’oublie pas qu’il m’avait envoyé en 2006 son ouvrage intitulé Ô ma mémoire. La poésie, ma nécessité (Le Seuil), avec une dédicace qui ne m’a pas laissé insensible. Une belle anthologie. C’est dire que je n’avais, avant de constater ses dérives, aucune prévention contre sa personne.



Les prises de positions anti-israéliennes de Stéphane Hessel proviennent, me semble-t-il, de deux sources distinctes. Elles dérivent tout d’abord, fort logiquement, de sa vision moralisante de la politique internationale, fondée sur les bons sentiments et le goût des paroles édifiantes, indissociable de la posture avantageuse qu’il a adoptée depuis longtemps : celle de la « belle âme » en permanence saisie par l’« indignation », se confondant avec celle du « citoyen sans frontières » aux horizons planétaires. Stéphane Hessel, qui se définit à juste titre comme « un favori du destin », est décrit en 2007, dans le trimestriel de la Mairie de Paris, comme « toujours en résistance contre les injustices de ce monde ». Telle est en effet l’image qu’il veut donner de lui, et il semble avoir réussi à l’imposer dans l’opinion. Il joue toujours sur du velours. Qui serait contre le projet de définir « les voies d’accès à un monde plus juste, plus harmonieux, plus humain », comme il l’écrit dans son essai paru en 2002 (Dix pas dans le nouveau siècle) ? Qui ne serait contre les injustices et pour la solidarité ? Ce culte des bonnes intentions, qu’il affiche, fait partie de son image, de cette image pieuse de saint laïque qu’il s’est construite.



Ce moralisme et ce sentimentalisme resteraient inoffensifs s’ils ne le conduisaient à prendre systématiquement, et aveuglément, le parti de ceux qu’il pense être des « dominés », des « faibles » ou des « victimes », et de combattre corrélativement les « dominants », les « puissants », a priori et toujours « agresseurs ». En France, il se fait donc le défenseur des « sans-papiers » ou d’un José Bové (lui-même chantre local de l’« antisionisme »). Au Proche-Orient, il va défendre la cause palestinienne. Sa vision négative d’Israël, Hessel l’a résumée ainsi dans un « Rebonds » de Libération : « Il reste un État sans légitimité avec un peuplement scindé, comportant des Juifs maîtres et des Palestiniens voués à un régime de non-droit. » Il superpose ainsi, à l’opposition dominants/dominés, l’opposition maîtres/esclaves, qui recouvre également l’opposition bourreaux/victimes. C’est là une vision manichéenne simpliste, qu’il partage avec nombre d’hommes de gauche sortis de la vie active et qui, oubliant le tragique de l’histoire et les dures réalités de la politique (des forces qui s’affrontent), ne sont plus guère que des prêcheurs de vertu et des donneurs de leçons. Ce moralisme manichéen le pousse à dériver vers des positions extrémistes sur le conflit israélo-palestinien, encouragé en cela par l’exemple, qui lui sert aussi d’alibi, des militants (intellectuels ou journalistes) d’extrême gauche israéliens qui ont fini par épouser les positions des ennemis d’Israël (il cite par exemple le journaliste Gideon Levy, ou le trotskiste Michel Warshawski, etc.). Il les prend, ou du moins les présente, comme des « dissidents » exemplaires. Confusion très regrettable : il n’y a pas de Goulag en Israël. Ces « dissidents » en chaise longue publient librement leurs dénonciations virulentes dans la seule démocratie pluraliste du Moyen-Orient. Ils ne risquent rien à « nazifier » leur propre nation, si ce n’est d’être applaudis dans le monde par tous les ennemis d’Israël, parmi lesquels les antijuifs fanatiques se distinguent de moins en moins des « antisionistes ».



L’ancien diplomate n’a pas seulement professionnalisé la posture de l’indigné permanent, il pratique l’indignation sélective. Dans une brochure publiée en octobre 2010, Indignez-vous !, il confie : « Aujourd’hui, ma principale indignation concerne la Palestine, la bande de Gaza, la Cisjordanie. » Et de justifier le terrorisme palestinien en ces termes diplomatiques : « Il faut reconnaître que lorsque l’on est occupé avec des moyens militaires infiniment supérieurs aux vôtres, la réaction populaire ne peut pas être que non-violente. » Si la forme reste académique, le fond participe d’un esprit extrémiste qu’on pouvait croire étranger à une telle « icône » du droit humanitaire international.



Il me semble cependant qu’on puisse identifier une deuxième source des prises de position anti-israéliennes de l’ancien diplomate refusant avec obstination de quitter la scène : le narcissisme et la vanité - défauts, il est vrai, communément partagés. L’homme veut plaire. Il veut séduire et sait parfaitement le faire. Il est passé maître dans la fabrication d’un public d’adulateurs et d’inconditionnels. Son carnet d’adresses est sans frontières, et ses amis influents. À 93 ans, il accepte les invitations médiatiques les plus diverses pour faire un numéro de charme auprès de « jeunes » comme « Olivier » (Besancenot, bien sûr), dont il n’hésite pas à vanter les « idées intéressantes » qui vont selon lui permettre de « construire l’Europe de demain ». Or, pour séduire, il faut s’adapter aux valeurs et aux croyances de l’auditoire. Ce qu’il fait admirablement. Il a compris que les bons sentiments sont toujours applaudis dans les émissions « people » : il est en phase avec la vision médiatique de la politique. Bel homme, belle âme, bel esprit, beau parleur, il n’a nulle peine à opiner brillamment dans le sens du vent idéologique. Il se convertit à l’altermondialisme quand tout le monde l’est plus ou moins. À l’écologie politique ensuite. Et puisque l’auditoire est aujourd’hui largement gagné par les convictions anti-israéliennes et propalestiniennes, il sera anti-israélien et propalestinien, avec talent, et la flamme qui convient. Peut-être même s’est-il pris au jeu. Je conclus : de l’opportunisme politique et du conformisme idéologique, certes, mais aussi une propension à porter des accusations aussi fiévreuses que déplacées (Israël accusé de « crime contre l’humanité »), et un irrépressible désir de rester sur la scène, pour y être applaudi. Du haut de sa vie réussie, en 2007, l’heureux « favori du destin » lance aux « jeunes » : « Je suis convaincu que l’engagement permet de devenir quelqu’un de respectable et de mener une vie agréable. » Que demander de plus à la vie ? Tel est l’idéal bourgeois platement célébré par le prétendu « dissident » Hessel. Voilà qui, par contraste, me fait songer avec nostalgie à des figures que l’on peut admirer sans réserve : un Jean Moulin, un René Cassin.



À qui profite la campagne contre Israël et le sionisme ?



Un règlement de compte politique est en cours, sur le mode d’une campagne de style maccarthyste lancée contre moi et d’autres par des milieux qui, sous couvert de « défense du peuple palestinien » et de « critique de la politique d’Israël », visent à délégitimer l’État juif en le diabolisant, avec pour objectif final de le détruire. Pour ceux qui sont convaincus qu’Israël est l’incarnation du Mal absolu, la logique de l’éradication totale s’impose logiquement comme la juste voie à suivre. Les slogans « Israël assassin ! » et « Mort à Israël ! » ont remplacé le slogan « Mort aux Juifs ! ». En ce sens, les « antisionistes » radicaux incarnent le nouvel esprit antijuif. Leurs compagnons de route, ceux qui, intellectuels ou journalistes, légitiment leurs actions, portent une lourde responsabilité dans cette dernière extension du domaine de l’antisémitisme. Cette campagne, qui vise à éliminer de l’espace public français tous ceux qui s’opposent à l’entreprise de délégitimation et d’isolement d’Israël, profite aux islamistes palestiniens du Hamas et plus généralement aux milieux islamistes menant le jihad au Proche-Orient comme en Europe. Elle nourrit également et tend à légitimer le discours conspirationniste de ceux qui, tels Dieudonné et ses semblables, dénoncent à toute occasion la « domination sioniste » ou l’« axe américano-sioniste ».



Peut-on renverser la tendance ?



Il faut croire, par optimisme méthodique, qu’un renversement de la tendance est possible. Mais il est peu probable à court terme, et, même, me semble-t-il, à moyen terme. L’imprégnation idéologique de facture « antisioniste » n’affecte pas seulement l’opinion en surface, elle s’est produite au niveau des mentalités ou de l’imaginaire social. Désormais, les représentations et les croyances « antisionistes » vont de soi, elles font partie du stock des évidences qui permettent au citoyen ordinaire de se repérer dans le monde, de faire des choix, de prendre parti. Le conformisme intellectuel et politique va dans le sens de l’antisionisme radical, qui, n’ayant rien à voir avec une « critique de la politique d’Israël », a pour objectif final la destruction de l’État juif. Autrement dit, pour résister à l’antisionisme diabolisateur ambiant, il faut s’arracher à la doxa, ne pas se laisser piéger par la force des images de propagande diffusées complaisamment par les médias et mettant en scène la souffrance palestinienne, avoir la force de refuser les idées reçues et de les soumettre à une critique rationnelle, en les confrontant aux faits empiriques. C’est ainsi que le discours victimaire des propagandistes palestiniens, présentant les Palestiniens non seulement comme des victimes mais encore comme des victimes abandonnées de tous, ne tient pas une seconde face à de simples données statistiques. Loin d’illustrer le type de la victime maximale, les Palestiniens apparaissent bien plutôt comme les privilégiés de l’aide humanitaire internationale. Par exemple, selon le rapport d’Oxfam France récemment rendu public, un Palestinien reçoit 27 fois plus d’aide au développement qu’un Congolais. En 2008, en termes d’aide publique au développement par habitant, un Palestinien a reçu 682 dollars, un Irakien 340 dollars, un Afghan 179 dollars, un Congolais 25 dollars et un Pakistanais moins de 10 dollars. Ou encore : les Palestiniens mobilisent près de 80 % de l’aide humanitaire internationale alors qu’il n’y a aucune pénurie dans les territoires. Et il existe une agence spécialisée à l’ONU pour les seuls Palestiniens, l’UNWRA. Comment justifier ces privilèges alors des centaines de milliers de personnes meurent de faim un peu partout dans le monde ? Tout se passe comme si les Palestiniens devaient conserver leur statut symbolique de peuple-victime. On reconnaît la stratégie consistant, pour les pays arabes depuis 1948, à préserver et à prolonger indéfiniment le statut de « réfugiés » des Palestiniens en ne les intégrant pas. Ce traitement préférentiel des Palestiniens par la communauté internationale a fini par créer un peuple de « victimes » statutaires et d’assistés, ce qui permet à toutes les mouvances « antisionistes » de continuer à diaboliser et à condamner Israël, accusé injustement d’être l’unique responsable de la situation.



Comment voyez-vous l’avenir du conflit israélo-palestinien ?



L’enracinement et l’expansion, dans l’imaginaire du monde musulman, d’un grand récit négatif sur Israël et le « sionisme » constituent l’un des principaux obstacles à l’établissement d’une paix véritable et durable au Proche-Orient. La propagande et l’endoctrinement « antisionistes » entretiennent la haine et la méfiance à l’égard d’Israël, désormais profondément inscrites dans les mentalités des populations proche-orientales. Mettre en évidence les origines, les composantes et les fonctionnements de ce mythe répulsif constitue un préalable obligé à l’engagement d’un dialogue sans faux-semblants entre les Israéliens et leurs voisins arabes, lesquels sont loin d’accepter tous le statut de « voisins ». La démythisation d’Israël et du sionisme peut seule ouvrir la voie à la paix au Proche-Orient, en rendant possible une reconnaissance mutuelle entre Israéliens et Palestiniens. À la condition que les pays arabes, ainsi que l’Iran, acceptent de reconnaître la légitimité de l’État juif (en tant qu’État-nation du peuple juif), donc son droit à l’existence et, partant, son droit de se défendre. Mais, comme on le sait, la vision islamiste du conflit interdit la voie du compromis : elle légitime exclusivement une guerre de destruction contre l’État juif. C’est pourquoi il est politiquement et géopolitiquement irresponsable de rechercher la paix en continuant de mettre entre parenthèses ou de sous-estimer la ré-islamisation dans un sens jihadiste de la cause palestinienne, qui s’est accélérée depuis la fin des années 1980. C’est là rêver les yeux ouverts.
Pour ne pas désespérer, il faut donc miser sur un reflux de l’islamisme dans les pays arabes et en Iran – sans oublier la Turquie -, et, en conséquence, soutenir toutes les forces politiques s’opposant aux mouvements islamistes au Moyen-Orient, qu’ils aient ou non pris le pouvoir. Rien ne changera tant que la doctrine du jihad conservera une place plus ou moins grande dans la culture islamique. En attendant, il importe que l’État juif résiste aux chants de sirène de ceux qui, au nom des « bons sentiments » et selon une logique paternaliste (supposer par exemple que les Américains ou les Européens savent mieux que les Israéliens ce qui est « bon » pour ces derniers), veulent remettre son destin entre les mains de grandes puissances supposées bienveillantes. Il n’est pas impossible que la paix soit possible. Mais il est sûr que le chemin qui y conduira ne sera pas jonché de roses.



Un sursaut démocratique est-il possible en France ?



Il faudrait imaginer la possibilité de recréer un consensus de base, dans la population française et ses élites, sur certaines questions de politique internationale, à commencer par celles qui touchent au conflit israélo-palestinien, à la lutte contre le terrorisme islamiste (notamment en Irak et en Afghanistan), à la menace représentée par l’Iran dirigé par une clique d’illuminés fanatiques, etc. Or, l’accentuation des clivages depuis l’arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy peut faire douter de cette possibilité. La « sarkophobie » emporte tout, les scrupules comme les nuances, et rend impossible la formation de compromis.



Comment expliquez-vous le silence des médias sur votre dernier livre ?



Ce boycott médiatique caractérisé s’explique, tout d’abord, par deux raisons liées au contenu de l’ouvrage : mes analyses de l’affaire al-Dura et celles de la bataille de Gaza. Mes conclusions sur ces deux moments hautement conflictuels du conflit israélo-palestinien sont aux antipodes des clichés colportés par la vulgate anti-israélienne contemporaine. Celle-ci est fondée sur deux amalgames de propagande : « sionisme = racisme » (ou « sionisme = nazisme »), et « Israël = État criminel » (ou « assassin », en particulier d’enfants palestiniens). Elle postule que les Israéliens sont nécessairement des « agresseurs », voire des criminels, et les Palestiniens toujours des « victimes », par nature innocentes. Je m’attaque donc frontalement aux positions bien-pensantes, d’un conformisme aussi épais que tatillon, concernant le conflit israélo-palestinien, postulant qu’Israël a toujours tort.



Il faut tenir compte, ensuite, d’un facteur lié au contexte : à peine l’ouvrage venait-il de paraître (fin mai) qu’avait lieu l’affaire de la « Flottille de la Liberté », déclenchant une vague israélophobe puissante. La haine et le ressentiment contre Israël se sont réveillés en France au point d’intimider les milieux intellectuels et journalistiques, tentés de suivre le courant pour échapper aux pressions, voire aux menaces diffuses. Les articles qui devaient paraître sur mon livre dans certains journaux n’ont jamais été publiés, sans explication (ce qui confirme mon hypothèse selon laquelle les journalistes, certes à de notables exceptions près, ne brillent ni par le courage, ni par le non conformisme), et, lorsque j’étais invité dans les médias, c’était pour parler de tout autre chose que des thèmes de mon livre : j’ai refusé toutes ces invitations douteuses. On ne m’a pas donné la parole pour présenter mes analyses et mes thèses sur la « nouvelle propagande antijuive », comme s’il s’agissait d’une question médiatiquement interdite. Contrairement à certains intellectuels et écrivains, je n’écris pas pour aller bavarder dans les médias sur l’événement du jour, ni pour faire un numéro de charme sur le petit écran. Mais j’accepte toujours d’intervenir lorsque je suis assuré de pouvoir exposer mes thèses, expliquer ma démarche, présenter les résultats de mes recherches ou de mes analyses. La vraie liberté de l’intellectuel aujourd’hui réside dans sa capacité de résistance au spectacle médiatique.



Craignez-vous une vague d’antisémitisme ?



C’est en 2000 que la vague judéophobe a commencé en France et dans d’autres pays européens, mais aussi dans les deux Amériques. Elle ne s’est jamais interrompue, bien qu’elle ait varié en intensité. L’analyse de l’évolution des actes ou des faits antijuifs (violences et menaces confondues), recensés en France de 1998 à 2009, montre une augmentation globale de la judéophobie depuis le début des années 2000, avec des « pics » en 2000, 2002, 2004 et 2009, corrélés avec des moments hautement conflictuels. Elle s’est accompagnée de la banalisation des accusations les plus délirantes contre Israël et « les sionistes », allant de l’accusation de prélèvements et de trafics d’organes de jeunes Palestiniens à celle de mise en œuvre d’un programme d’extermination des Palestiniens, baptisé « palestinocide ». Il existe désormais une nouvelle mythologie antijuive, alimentée par la lutte « antisioniste » mondiale. À cette mythologie fondée sur la diabolisation d’Israël et des « sionistes » correspond une rhétorique figée, avec ses slogans, ses clichés, ses stéréotypes d’accusation prêts à l’emploi. Tout indique que cette grande vague judéophobe, la plus significative depuis la Libération, continuera, voire s’aggravera, notamment en France et en Belgique. Car la stratégie anti-israélienne consiste à provoquer des incidents, des embrasements ou des affrontements locaux faisant des victimes palestiniennes, événements susceptibles d’être ensuite interprétés comme des preuves de la nature criminelle de l’État juif. Ce qui permet de relancer la machine propagandiste, tout en entretenant la haine et la volonté de vengeance dans les populations s’identifiant aux Palestiniens-victimes. Rien n’indique que cette stratégie de provocation et de harcèlement sera abandonnée dans un avenir proche.



Photo : D.R.