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Publié le 19 Mai 2004

Pierre Lévy, Délégué régional du CRIF Est : « Ce n’est pas une minorité certes agissante qui doit mettre en péril les fondements de la République… »

Question : 127 tombes du cimetière juif de Herrlisheim (Haut-Rhin), ont été découvertes souillées par des inscriptions néo-nazies et antisémites le vendredi 30 avril 2004. Puis, une vingtaine de tombes du cimetière catholique de Niederhaslach (Bas-Rhin) ont été recouvertes d'inscriptions, pour l'essentiel des croix gammées, dans la nuit du samedi 1er mai au dimanche 2 mai, Enfin, le vendredi 7 mai, le monument érigé dans le cimetière de Fleury-Devant-Douaumont (Meuse) à la mémoire des combattants juifs morts pendant la bataille de Verdun a été profané avec des inscriptions néo-nazies. S’agit-il selon vous d’une véritable hémorragie ? N’y a t-il pas un terreau particulier dans l’Est de la France ? Enfin, est-ce par ailleurs une nouveauté ?



Réponse : Après les réactions d’indignation, d’émotion, de stupeur et de colère, suite à ces profanations successives de cimetières, on peu effectivement s’interroger.

A l’occasion de la manifestation organisée par l’UEJF le 02 mai 2004 devant le cimetière de Herlissheim, je mentionnais les lieux de sépultures Juifs profanés en France ces vingt dernières années. (24) Il en ressort une constatation : plus de la moitié de ces profanations se situent dans le grand Est de la France.

Il faut savoir que ce même cimetière de Herrlisheim a été profané quatre fois depuis la fin de la guerre 39-45. De même, le cimetière de Strasbourg-Cronenbourg a été profané deux fois en 1992 et 2002. Cependant, je n’imputerai pas la région en tant que telle. Je pencherai plutôt pour la position géographique de cette région et la proximité de nombreuses frontières (la Suisse et l’Allemagne), pouvant faciliter les contacts de groupuscules marginaux aux idéologies néo-nazies ou extrémistes de tous genres. Cette plaque tournante européenne s’est concrétisée en 1991 lorsque à Haguenau, dans un hôtel de bonne facture, des nazis et des négationnistes allemands et français se sont rencontrés (Voir l’article du 6 mai de Marc Knobel sur le site du CRIF, « retour sur des profanations de tombes juives et chrétiennes. Un essai d’explication sur le néonazisme et le satanisme. »).


Question : En présence de plusieurs personnalités politiques et religieuses, une cérémonie oecuménique s’est déroulée le jeudi 6 mai à proximité du cimetière juif d'Herrlisheim-près-Colmar (Haut-Rhin). Le samedi 8 mai, trois cents à quatre cents personnes ont participé à une marche silencieuse à Herrlisheim-près-Colmar (Haut-Rhin). Cette manifestation contre l'intolérance avait été organisée à l'appel du conseil municipal. Pourriez vous nous décrire ce que vous avez vu et entendu ? Les habitants d’Herrlisheim sont-ils meurtris par cette profanation ? Que dit-on dans le village ?

Réponse : Les nombreuses manifestations de soutien qui ont eu lieu, sont toutes empreintes d’émotions et de sincère solidarité.

Les plus hautes autorités religieuses juives, musulmanes, catholiques, protestantes étaient présentes ainsi que le Ministre de l’Education Nationale, François Fillon. J’ajoute qu’un nombre impressionnant d’élus de notre région ont assisté à cette cérémonie oecuménique.

Des messages parlant de tolérance, de respect d’autrui et du vivre ensemble, ont été prononcés à l’intention des nombreux jeunes élèves de lycées qui étaient également présents, mais aussi des messages de fermeté demandant l’identification rapide des coupables afin qu’une peine exemplaire leur soient infligée.

Moins médiatisé, mais combien prenant et touchant, l’ultime relais avec cette manifestation des habitants d’Herrlissheim. Elus en tête, ils sont tous venus. Et, se tenant par la main, formant ainsi une chaîne symbolique, ils ont réalisé une réelle chaîne de solidarité humaine.


Question : Quels sont les commentaires de la presse alsacienne ?

Réponse : La presse alsacienne est en première ligne, suite aux deux profanations d’Herrlissheim et de Niederhaslach (Bas-Rhin et Haut-Rhin) et a fait l’écho des nombreuses indignations du monde politique et religieux (de la région). Ces profanations n’ont pas été traitées comme un banal fait divers car la gravité de ces actes a fait la Une des différents quotidiens régionaux, du journal L’Alsace au Républicain Lorrain, de l’Est Républicain en passant par les Dernières Nouvelles d’Alsace, tous ont relaté avec forces commentaires ces tristes évènements.


Question : Quelles sont les réactions des Musulmans ?

Réponse : La Communauté musulmane, par l’intermediaire du président du Conseil Régional du Culte Musulman, a publié un communiqué de presse : « Nous condamnons avec force ces actes inqualifiables qui présentent de fortes similitudes, tant au niveau des slogans que des symboles, avec les récents agissements criminels dont ont été victimes les Communautés Musulmanes, tout en exprimant sa profonde solidarité avec la Communauté Juive. »

J’ai reçu personnellement des appels téléphoniques du Président du CRCM d’Alsace, du Directeur de la Mosquée Eyuub Sultan de Strasbourg-Meinau, ainsi qu’un courrier émanant de l’Association pour l’Edification d’un Monument Commémoratif à la Mémoire des Combattants d’Afrique et d’Outre Mer morts pour la France en Alsace. Je cite le colonel Aziz Meliani, membre du bureau du haut conseil des rapatriés : « je m’associe de tout cœur à la douleur qui frappe la Communauté Juive, une composante de notre nation qui a tant sacrifié pour sa fidelité en la France et aux idéaux qu’elle incarne et avec laquelle je partage une histoire, un destin, une volonté…… » Je pense que de réels interlocuteurs se dégagent de la Communauté musulmane. Je ne peux que m’en réjouir. Leur présence à Herrlissheim a été remarquée et appréciée.


Question : Vous êtes inquiet ?

Réponse : Un sentiment d’inquiétude, oui certainement. Mais parallèlement, je veux souligner l’élan de solidarité qui a été manifesté par tant de gens, des personnalités politiques et religieuses les plus diverses, de l’élu au simple citoyen. Tous les alsaciens se sont montrés extrêmement solidaires. Le combat continue et ce n’est pas une minorité certes agissante qui doit mettre en péril les fondements de la République.


Propos recueillis par Marc Knobel