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Publié le 23 Juin 2011

«Pourquoi les Palestiniens devraient apprendre l’histoire de la Shoah?»

Mohammed Daoudi Dajani, professeur à l’Université Al-Quds de Jérusalem et membre du Comité de conscience du Projet Aladin, faisait partie de la délégation qui s’est rendue le 1er février 2011 dernier à Auschwitz. Il a écrit cet article pour le New York Times avec Robert Satloff, auteur de « Parmi les justes : Histoires perdues de l’holocauste à l’intérieur des pays arabes »:



Devrait-on enseigner l’histoire de la Shoah dans les écoles palestiniennes et arabes? Ce n'est pas une question d’ordre académique. Beaucoup d’organisations politiques arabes et palestiniennes ont réagi brusquement à l’annonce récente d’un nouveau programme en cours d'élaboration par l'UNRWA, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés palestiniens. Ce programme, destiné aux écoles de Gaza, prévoit d’inclure des références historiques à la Shoah. Leur réaction souligne l'urgence de répondre à cette question fondamentale: Les palestiniens (et les autres Arabes) doivent-ils en apprendre plus sur la Shoah ? L’histoire de cette tragédie doit-elle être incluse dans les programmes scolaires?
Pour nous - un sociologue palestinien, et un historien juif américain - la réponse est oui. En effet, plusieurs raisons démontrent qu’il est important, voire essentiel, que les Arabes en apprennent davantage sur la Shoah. Et plusieurs d’entre elles n’ont rien à voir avec les Juifs. L'une des tristes réalités des sociétés arabes modernes est que les étudiants arabes se sont vu refuser l’enseignement de leur histoire ainsi que celle du monde. Pendant des décennies, des millions d'Arabes ont vécu sous le règne des dictateurs marqués par un ressentiment à l’encontre du chef qu'ils ont remplacé et par la crainte de celui qui les destituerait. Bien que les Arabes vénèrent l'étude, l'écriture et l'enseignement de l'Histoire, et ont compté parmi eux de nombreux historiens célèbres, leurs dirigeants ont souvent tendance à voir l'Histoire comme une menace. Le résultat en est que beaucoup d'historiens dans les pays arabes ne sont plus que les chroniqueurs de dynasties mortes depuis longtemps ; et des pans entiers de l'Histoire ont été expurgés des programmes que les gouvernements arabes enseignent à leurs élèves.
Cela est particulièrement vrai pour la Shoah. Notre monde qui a vu tant d’atrocités n’en a pourtant jamais vécu d’aussi grande que celle de l’extermination des Juifs par les Nazis. Cet effort fut si méthodique et si vicieux qu'un nouveau mot a été inventé pour le décrire : « Génocide ». Tous les génocides qui ont eu lieu avant et depuis lors sont aujourd’hui mis en comparaison avec la Shoah. Comprendre la cause des génocides est essentiel pour empêcher qu’ils surviennent dans l’avenir. Parler des génocides en refusant de parler de la Shoah n’a pas de sens.
Mais les Palestiniens, et les Arabes plus généralement, ne connaissent pas bien la Shoah et ce qu'ils en savent est souvent biaisé par le prisme pervers de la culture populaire arabe, par les velléités d'extrémistes religieux, par les distorsions de certaines chaînes satellites ou encore par de nombreux auteurs mal informés. Ce qui est arrivé aux Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale n'est pas enseigné dans les écoles ou universités arabes. Les Arabes n'ont rien à craindre d’ouvrir les yeux sur ce chapitre de l'histoire humaine. Comme le dit le Coran: « Et dis: Ô Seigneur, fais- moi avancer vers la connaissance. » Si les Arabes en savaient plus sur les génocides et la Shoah en particulier, peut-être leurs voix auraient-elles une portée plus grande dans la prévention d’atrocités similaires.
Les Palestiniens ont des raisons plus spécifiques de se renseigner sur la Shoah. Il ne s’agit pas seulement ici de comprendre avec plus d’empathie l'héritage de la souffrance juive et son impact sur la psyché de ce peuple. Bien qu'il soit important pour les Palestiniens et les Israéliens de connaitre l’héritage historique qui a façonné leurs visions du monde et leurs identités nationales, enseigner la Shoah aux Palestiniens pour cette seule raison aboutit à l'équation simpliste selon laquelle «les Juifs ont eu la Shoah et les Palestiniens ont la Nakba. » Nous exhortons les Palestiniens à se renseigner sur la Shoah afin qu'ils puissent avoir en main les outils nécessaires pour rejeter cette comparaison. Ainsi la paix sera plus accessible qu’aujourd’hui.
Malgré toutes les souffrances qu’ont endurées les Palestiniens, leur lutte avec Israël reste, à sa base, un conflit politique qui peut prendre fin par des accords diplomatiques. Aujourd'hui, la diplomatie est certes dans l'impasse. Mais la nature même de la politique c’est que les réalités d’aujourd’hui peuvent changer demain. La Shoah n’était pas un conflit politique: l'idée même d'un «processus de paix nazi-juif» est absurde. Enseigner la Shoah aux Palestiniens est un moyen de s'assurer qu'ils ne s’engouffrent pas dans la croyance que leur processus de paix avec Israël est aussi désespéré que la situation entre les Nazis et les Juifs. L’enseignement de la Shoah prouverait que l’idée de paix est possible.
Il y a près de deux ans, des millions d'Arabes musulmans écoutèrent attentivement le président Barack Obama qui s'exprimait au Caire. Il a respectueusement récité des versets du Coran et a proclamé l'approbation des Etats-Unis pour une solution à deux Etats afin de parvenir à une paix durable entre Israéliens et Palestiniens. Peu d’entre eux, se rappellent cependant qu’il a également condamné le négationnisme. Aujourd’hui, au moment où les peuples arabes appliquent les leçons universelles de démocratie, des droits de l'homme et de la primauté du droit en destituant leurs gouvernements autoritaires, il est temps de reprendre l'apprentissage de l'Histoire. Cela implique d’enseigner à leurs enfants les leçons universelles qui sont à tirer de la Shoah.
Photo: D.R.
Source : lettre d'information du Projet Aladin n°4 – juin 2011