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Publié le 28 Octobre 2002

Raphaël Draï : «L’antisémitisme nouveau est arrivé…»

Question : Raphaël Draï, vous êtes professeur à l’Université d’Aix-Marseille. Vous venez de publier « Sous le signe de Sion. L’antisémitisme nouveau est arrivé » aux Editions Michalon (2002). Ce livre est-il un livre d’urgence pour ne pas taire ce qui doit être dit ?



Réponse : D’urgence certainement. J’ai écrit « Sous le signe de Sion » au début de l’été 2001. Les Editions Michalon ont bien voulu l’éditer.

Depuis l’automne 2000 et le déclenchement de l’Intifada des Mosquées, la France devenait une terre d’importation violente du conflit israélo–palestinien. Les faits sont, à présent, connus et admis ( attaques contre des lieux de cultes juifs, injures et agressions physiques anti-juives, etc.. ), après avoir été déniés ou relativisés. Les plus délictueux d’entre eux font l’objet de condamnations pénales sévères. Mais je me suis surtout attaché à comprendre les causes d’un tel climat et les causalités de ces passages à l’acte. Les images et commentaires en provenance du Moyen Orient y ont été – y sont toujours – pour beaucoup, avec leurs commentaires binaires et manichéens. Le tout me semble avoir réactivé une stéréotypie antijuive que les plus naïfs pensaient dépassée, reléguée dans les caves de la mentalité raciste.

En l’occurrence, ce livre est une forme d’application du principe de précaution. Et, il a bien contribué à lancer le débat sur l’antisémitisme nouveau. Ce sous-titre est à entendre de manière analytique et par dérision. L’antisémitisme classique est en train de muter. Il a toutes les apparences d’une « bibine » dans laquelle se retrouvent bien des sous-produits rancis d’idéologies haineuses à l’encontre du peuple juif où qu’il se trouve.

Question : On dirait que la situation présente vous inquiète fortement, on lit une profonde angoisse. Vous citez même l’une des interlocutrices israéliennes de Clara Malraux, qui disait : « Il est écrit que le moment vient dans chaque pays où les Juifs reçoivent un signal. Quand ceux d’Allemagne ont entendu ce signal, certains l’ont entendu. Ils se sont sauvés. Ceux qui sont restés ont tout perdu. Tu entendras un jour ce signal. Si alors tu ne pars pas, tant pis pour toi. » Faites-vous allusion - ne fût-ce qu’indirectement - à la France ? Pensez-vous réellement qu’on pousserait les Juifs de France, consciemment ou non vers la sortie ?

Réponse : Ce dont nous venons de parler ne me paraît pas superficiel et conjoncturel mais lié aux bouleversements sociologiques, culturels, religieux et démographiques de la France actuelle. Tout se passe comme si dans cette France la communauté juive, compte tenu de son faible nombre, en tous cas au regard de la population arabo-musulmane, était regardée pour quantité négligeable. On ne peut, certes, interdire ses protestations mais il convient de ne leur donner aucune suite. Tel a été la ligne directrice du fameux « rapport Boniface »…

Sur quoi s’ajoute contre elle le procès en « communautarisme », là encore comme si elle était organisée sur un autre modèle que les grandes lois de liberté publique que sont les lois de 1901 et de 1905 sur les associations. Avant les présidentielles du printemps dernier le sentiment s’est intensifié d’une sorte de marginalisation dans l’opinion publique, puis dune véritable expulsion politique. Par exemple, les manifestations du 7 avril ont été parmi les plus importantes de l’histoire du judaïsme contemporain. Les téléspectateurs n’en ont vu que quelques images empreintes de brutalité. Le sentiment est donc de plus en plus fort d’une visibilité de plus en plus grande de la population arabo-musulmane de France et d’un effacement insidieux de la communauté juive. Seuls ceux et celles qui l’attaquent sont placés, malgré leur caractère groupusculaire et leurs propos outranciers, en première page de journaux qui apparaissent en ce domaine de moins en moins comme des journaux d’opinion et de plus en plus comme des journaux de « campagnes ».

Question : Selon-vous, l’antisionisme est-il devenu une « cause », non pas seulement au sens idéologique mais au sens psychique du terme ?

Réponse : Au-delà de leur habillage conceptuel et de leur traîne verbale, les idéologies sont des formes de croyances parfois fort primaires. C’est même gentil de les comparer à des religions, seraient-elles de caractère séculier. Les grandes idéologies dites de gauche comme de droite soit, ont fait complètement faillite, soit se trouvent en redressement judiciaire devant le célèbre « Tribunal de l’Histoire ». Le besoin de cause n’en est que plus féroce. La cause procure un simulacre de sens à la société du vide et un semblant de luminosité aux crépuscules de la militance. Dans un tract de la Ligue communiste révolutionnaire, la cause palestinienne était explicitement désignée comme le fer de lance de la lutte contre la mondialisation. Je ne sais si le père de famille nombreuse de Gaza ou de Tulkarem est toujours conscient de cette apothéose.

Question : Pensez-vous qu’une sorte de propagande anti-israélienne pénètre désormais l’école ?

Réponse : Les craintes qui s’expriment à ce propos sont nombreuses et convergentes. Dans certains établissements scolaires, il semble à présent difficile, pour ne pas dire impossible et en tous cas risqué d’aborder des sujets comme l’affaire Dreyfus ou la Shoah, pourtant inscrits aux programmes officiels. J’ai sous les yeux la page d’un manuel d’histoire à destination d’élèves de 5ème (Editions Hatier, collection Martin Ivernel) qui traite des croisades. On y lit « Entrés dans la ville, nos pèlerins poursuivaient et massacraient les sarrasins jusqu’au temple de Salomon ». Cette phrase est assortie d’un renvoi en note qui précise à propos du dit temple : « La mosquée d’El Aqsa ». Comme nul ne l’ignore le prophète Mohamed est né avant le fils du roi David et Jeanne d’Arc avant Vercingétorix…

Question : Si vous aviez en face de vous un interlocuteur palestinien, que lui diriez-vous ?

Réponse : Depuis septembre 2000 et septembre 2001… Les attentats suicidaires ont changé les lois de la guerre et donc de la politique. Je crois que j’attendrais de comprendre ce qu’il aurait à me dire s’il était porté le moins du monde à m’adresser la parole sous l’emprise du Hamas et du Djihad. Je crois que je lui dirais tout de même de se méfier de nombre de ses « amis » furieusement antisionistes. L’Etat Israël n’est pas l’Algérie française et les exciteurs ne sont pas les payeurs surtout lorsque la monnaie et une monnaie de sang.

Question : Etre sioniste aujourd’hui c’est quoi selon vous ?

Réponse : La traduction politique, c'est-à-dire en actes, et sous l’exigence démocratique, de la résurrection du peuple juif après deux millénaires d’exil, de persécution, d’avanies, de mépris et d’orgies de la pulsion de mort, tant en terre chrétienne qu’en terre d’Islam. Le sionisme n’est pas un nationalisme à la façon européenne de 1849 ni tiers-mondisme revanchard et en déficit de réalité. Il trouve sa cause dans l’événement de la Sortie d’Egypte puis dans celui du Sinaï et dans la transmission d’une loi qui trace des voies non tortueuses devant le choix de la vie.

Propos recueillis par Marc Knobel.

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