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Publié le 17 Février 2011

Raphaël Konopnicki ou le dur désir de résister

Président d’honneur de l’AMILAR, Raphael Konopnicki vient de nous quitter. Son enterrement devait avoir lieu jeudi 17 fevrier à 15h30 au cimetière parisien de Bagneux. Le CRIF devait être représenté par Claude Hampel, président de la commission du souvenir .dont il faisait partie.



En accord avec son fils Guy Konopnicki , nous publions un article écrit en 2008 par Eric Dior dans Marianne 2 à l’occasion de la publication des mémoires de Raphaël Konopnicki, alias Edouard Voisin.



L’ancien résistant se vend mal. Avec ses décorations et ses souvenirs tricolores, il fait figure de vieux radoteur. A l’inverse, l’ex-collabo, en raison de son abjection même, est un produit de grande consommation. Le salaud est «vendeur». Depuis trente ans, les éditeurs proposent, à jets continus, les confessions d’ex-waffen SS français ou d’anciens garçons de bain de la rue Lauriston…. Si vous êtes lassé de cette prime à l’ignominie, lisez les mémoires de Raphaël Konopnicki, alias Edouard Voisin dans la clandestinité. D’abord, parce que ce «Français de préférence», né dans une Pologne cléricale et antisémite, a une trajectoire politique qui vaut qu’on s’y attarde. C’est à Strasbourg, qui vient tout juste de redevenir française, que sa famille pose sa valise. «Je n’ai pas choisi, dit-il, le lieu où je suis né. D’après mon acte de naissance, j’ai vu le jour à Kalisz, mais ce pays m’a toujours été lointain et étranger». De son enfance alsacienne, il retient la puissance dans les têtes du catholicisme, mais aussi l’ardeur de son instituteur à défendre, coûte que coûte, la liberté de conscience. La leçon ne sera pas perdue lorsqu’il devra affronter, à la Libération, le cléricalisme stalinien.



Pendant quatre ans, la peur



Car la vache enragée fait que, chez les Konop, l’engagement à gauche va de soi. D’abord saute-ruisseau, puis étalagiste, Raphaël Konopnicki s’avise dés l’âge tendre que la France, même républicaine, ne se soucie guère de ses miséreux. Mieux, cet autodidacte a déjà compris l’essentiel sur les risques qu’il y a à confier à une avant-garde autoproclamée de «jésuites rouges» le soin d’affranchir l’espèce humaine. Ralph n’est pas bolchevique. Il souscrit à l’argumentaire de Léon Blum, lors du Congrès de Tour, lorsque le chef de la SFIO refuse l’adhésion à la IIIe Internationale bolchevique. Mais la montée en puissance du fascisme, vainqueur en Autriche, en Allemagne et, bientôt, en Espagne lui dicte de mettre un bémol à cette méfiance bien fondée. En France, la classe ouvrière court au massacre si elle affronte en désordre, comme dans les derniers moments de la République de Weimar, les ligues fascistes. La suite est connue : l’unité d’action entre socialistes et communistes aboutit au bel été 1936 et à ce Front populaire, attaqué de toutes parts et qui, pourtant, s’acharne à durer. Viendront Munich, la drôle de guerre et l’exode, chemin de croix d’une République, minée par la trahison de ses élites et qui a perdu le goût de persister dans l’être : «En juillet 1940, Pétain l’assommera avec le bâton de maréchal qu’elle lui avait offert».



Sans illusion sur son sort dans une France, provisoirement aux ordres, Raphaël Konopnicki rallie le Parti communiste dés 1940. En dépit du Pacte germano-soviétique, c’est là que l’on trouve, selon lui, les ferments les plus prometteurs de la future résistance. Les députés socialistes n’ont-ils pas plébiscité massivement, lors du dernier vote à la Chambre, le «vainqueur de Verdun», promu sauveur suprême d’une patrie en capitolade? Requinqués par la défaite, des amiraux sans flotte et des généraux vaincus s’érigent en parangons de vertu... Surtout, l’auteur nous confirme dans l’idée que l’entrée dans la résistance tenait moins à des postulats idéologiques qu’à une disposition foncière du caractère. Certains s’accommodent. D’autres sont incapables, face à l’ignominie, de faire le gros dos et de doser leur engagement. La prudence n’est pas leur fort même si, avoue-t-il, «la peur, pendant ces quatre ans ne me lâche pas d’une semelle». La hantise du coup de sonnette, du retard à un rendez-vous d’un «contact» qui signifie, en général, le pire. L’obsession de la «souricière», de la prise en filature et, surtout, la crainte de ne pas avoir le courage d’en finir pour échapper à la torture.



La Libération n'a pas été une guerre civile



Car le «camarade Voisin» a connu le plus dur de la lutte clandestine. Typographe improvisé, il doit avec son épouse se claquemurer dans une villa cannoise où se fabrique la presse des réseaux. Autant dire qu’en pareil cas, l’imagination devient votre pire ennemie et que chaque claquement de portière, dans la rue, semble préluder à l’irruption des hommes en gabardines : «l’anxiété, insiste-t-il, ne nous quittait jamais. Nous vivions avec elle». Après de pareilles suées, les combats de la Libération où l’auteur prend la tête des maquisards FTP du Var font presque figure de «récréation». Au passage, il s’insurge contre l’idée imposée aujourd’hui comme une évidence selon laquelle la délivrance aurait été précédée par une véritable «guerre civile» entre deux camps d’importance égale. En fait, tout prouve que les miliciens engagés dans la lutte contre les réfractaires étaient vomis par la population : «Quiconque adhère à la Milice ne peut s’attendre qu’à des ennuis. Sa famille est montrée du doigt» note, en novembre 1943, un rapport de la Gestapo de Clermont-Ferrand. «D’entrée de jeu, les paysans nous ont soutenus en dépit de la propagande vichyste qui nous présentait comme des brigands rançonnant les honnêtes gens et violant les filles» se souvient un FTP de Dordogne. Comme si les vieux crabes de Vichy avaient réussi, au finish, à imposer leur version de l’Occupation, relayés, sous couvert de «démythification» par les bien-pensants de tous poils. Nous avons fauté, concéderont-ils, mais la France tout entière ne s’est-elle pas vautrée dans la fange? Nous étions, peut-être, un peu plus pro-nazis que nos voisins de palier mais tout ça n’était, après tout, qu’une affaire de degré.



Un témoignage contre les manipulations de l'histoire



Fasciste non-repentant, Lucien Rebatet est le premier à développer cette thèse, désormais banalisée, et qui a l’avantage d’exonérer en bloc tous les rescapés d’une épuration qui, comme le rappelle Raphaël Konopnicki, fût plutôt indulgente. Car, «nationaliste» étrange, Rebatet déteste avec passion ses compatriotes. Il jubile à décrire un pays cafard et veule, des Français qui cirent avec enthousiasme les croquenots de leurs vainqueurs. Ce qui le lave du même coup de sa propre bassesse. A croire que ces mécontents chroniques attendaient, depuis Clovis, de pouvoir plébisciter le régime de Vichy, le seul correspondant à leurs vœux profonds. Heureusement, les témoignages de Voisin et de beaucoup d’autres sont là pour faire justice de ces falsifications.



Arrive la délivrance avec son lot d’illusions et aussi d’infamies, contre ceux qui avaient tout risqué. Stalinien récalcitrant, probablement suspect à cause de son passé «réformiste», le camarade Voisin tombe en disgrâce. Là encore, il a manqué – et c’est pour ça qu’on l’admire - de la prudence la plus élémentaire. Etait-il sage, par exemple, de répondre dans un questionnaire interne au parti, que l’on n’avait pas approuvé le pacte germano-soviétique alors que c’était là, bien sûr, le critère décisif pour faire la différence entre les vrais croyants, acquis corps et âme au Secrétaire-général Maurice Thorez, et les éléments peu sûrs…. D’un seul coup pestiféré, Raphaël Konopnicki garde de cet épisode un légitime amertume mitigée, il est vrai, par le précieux souvenir d’une incomparable fraternité. Cette mince confrérie, au temps du plus grand péril, de ceux qui n’ont jamais transigé.



Camarade Voisin, de Raphaël Konopnicki (398 pages, 23 euros), est publié chez Jean-Claude Gawsewitch



Photo (Raphaël Konopnicki et son épouse) : D.R.
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