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Publié le 3 Novembre 2004

Robert Redeker, philosophe (1): « …Une mythologie en toc de la rébellion (dans laquelle des assassins et des tyrans passent pour des héros de la liberté !) a été fabriquée par les médias à partir des années 1970. Arafat passe pour un clone de Che Guevara

Question : Comment expliquez-vous qu’Israël ait une si mauvaise image en France et soit souvent perçu comme un pays dangereux, menaçant les équilibres régionaux et la paix mondiale ?



Réponse : La manière dont les médias présentent le conflit israélo-palestinien joue un rôle importantissime dans cette perception. Mais ce n’est pas la seule explication. D’abord, entrent en jeu des données psycho-sociales puissantes. Lié à la décomposition de la politique, le misérabilisme compassionnel, l’abbépierrisme largement répandu dans l’opinion, tourne sa sympathie vers ceux qui sont présentés par les médias comme les démunis, les victimes, les pauvres. Cette présentation médiatique fausse toute perspective : elle suggère que la puissance est du côté d’Israël, qui en userait de manière abusive, tandis que les Arabes seraient les faibles. Cette manipulation laisse dans l’ombre qu’Israël est un îlot de démocratie, de droits de l’homme, de pluralisme, de liberté de la presse, de haut niveau d’éducation, dans un océan de plusieurs centaines de millions de personnes ne rêvant qu’à sa perte. Ilot exerçant les valeurs les plus intimement liées à la culture occidentale dans un univers se nourrissant de la haine de ces mêmes valeurs. La vérité est l’inverse de la représentation diffusée par les médias : la précarité d’Israël, sa fragilité sont toujours passées sous silence. Sous pression médiatique, le citoyen français assimile spontanément Israël à une puissance inentamable. D’autre part, aux yeux des élites européennes, qui tiennent à ce que ce point de vue devienne celui des masses, Israël (comme parallèlement les USA) représente tout ce qu’elles rejettent désormais : un Etat, une nation, une patrie, un patriotisme, un attachement aux frontières, la volonté ferme de se défendre, la fierté de ses valeurs, autrement dit les éléments qui structurent essentiellement l’être politique. Israël représente l’Occident dans ce qu’il a de meilleur, c’est pour cette raison que les médias et les élites tiennent à renverser la perspective, à répandre le sentiment que les meilleurs ce sont les autres, ceux qui haïssent Israël, les terroristes, voire des régimes comme ceux de Saddam Hussein. Souvent venues du gauchisme, les classes qui discutent, qu’elles soient françaises et européennes sont fortement animées par la haine de l’Occident – du coup, elles voient dans le Palestinien, mais aussi l’Arabe en général, un représentant de cette haine.

Question : Comment peut-on lutter contre les stéréotypes qui sautent si facilement les frontières lorsque l’on parle d’Israël ?

Réponse :
C’est plus qu’une question d’appréciation, c’est une question de vérité. Cette occultation du drame israélien constitue le trait dominant de la présentation médiatique des événements du Proche-Orient. On masque en particulier ceci : l’effort difficile de maintenir une vie démocratique ouverte, une liberté que tous les pays européens ne connaissent pas à ce degré, une vie en conformité avec les valeurs les plus fortes de la culture occidentale, tout en étant sous l’épée de Damoclès permanente du terrorisme, des attentats-suicides (crimes contre l’humanité). « Difficile liberté » reconnaissait Emmanuel Lévinas ! Ce qui est occulté : Israël éprouve la difficulté, lévinassienne, de maintenir la liberté dans un univers ontologiquement hostile. La manière dont les médias parlent du « mur » témoigne de l’occultation de ce drame, ainsi que du mépris pour les vies israéliennes menacées pourtant en permanence par le terrorisme criminel visant les civils des organisations palestiniennes.

Question : Comment expliquez vous qu’en France, l’on évite de critiquer l’Autorité palestinienne et son chef, Yasser Arafat ?

Réponse :
Outre les raisons évoquées dans les questions précédentes, deux autres apparaissent. Commençons par la première. Une mythologie en toc de la rébellion (dans laquelle des assassins et des tyrans passent pour des héros de la liberté !) a été fabriquée par les médias à partir des années 1970. Arafat passe pour un clone de Che Guevara ! Cette mythologie de papier-journal ignore volontairement le fait que le prétendu rebelle peut être également un tyran sanguinaire pour son propre peuple, régnant par la terreur, l’intimidation meurtrière, les milices armées, la corruption financière, la manipulation criminogène du fanatisme religieux. Du temps de Saddam Hussein, les familles des auteurs d’attentats suicides recevaient un chèque de plusieurs milliers de dollars, en sus d’une place réservée au paradis. La figure d’Arafat est, dans les médias européens, un produit fabriqué, que l’on vend aux lecteurs assoiffés de héros, de Zorros – il faut alors que la représentation de l’actualité corresponde à ce produit (qui est une sorte d’ « arôme spirituel » accompagnant la presse et la télévision au même titre que les DVD et les CD qui sont offerts en cadeau aux lecteurs). La deuxième raison maintenant. Les élites médiatiques et politiques européennes tiennent absolument dans leur majorité à ne pas heurter la jeunesse des banlieues. Celle-ci est un immense réservoir d’influence, et de clients potentiels, pour les médias, quand elle est également un réservoir encore inexploité de voix aux élections pour certains partis politiques (Pascal Boniface l’a dit avec un cynisme stupéfiant).

Question : Pensez-vous que, dans la plupart des pays arabes, les représentants de l’Islam agissent suffisamment pour condamner les prises d’otages et les exécutions d’innocents ou le terrorisme?

Réponse :
Du Pakistan à la Mauritanie, les civilisations musulmanes se signalent, pour l’heure, par la démesure dans la barbarie. Elles font peser une oppression terrible sur des centaines de millions d’êtres humains (redoublant cette oppression quand il s’agit de femmes) en utilisant le ressort de la « la servitude volontaire ». Les officiels de l’Islam sont, pour le moment, et dans leur immense majorité, solidaires de cette situation.

Spinoza nous donne la clef de cette situation lorsque, dans l’appendice au livre 1 de L’Ethique, il nous parle de la façon dont les autoproclamés « interprètes de Dieu » conservent leur pouvoir sur « le troupeau ». Les représentants dont vous parlez savent très bien que leur pouvoir sur les masses qui leur sont soumises passe par la complaisance envers les actes dictés par le fanatisme aussi bien que par le ressentiment. Au lieu d’éclairer ces masses, ils les maintiennent dans l’obscurantisme afin de leur complaire. La différence avec Israël est ici notable : Israël possède une culture de la raison (et le judaïsme en général), thématisée de Moses Mendelsohn à Hermann Cohen, faisant le pari que sa survie passe par le développement intellectuel et la tension entre la raison et la révélation, tandis que les représentants de l’Islam demeurent persuadés que l’obscurantisme, ennemi de la raison et de la libre réflexion est (je reprends une formule de Spinoza) « leur unique moyen d’argumenter et de conserver leur autorité ». La non-condamnation de la violence, du terrorisme, de l’horreur fanatique, du statut honteux des femmes dans les pays musulmans, de la dhimitude, de la peine de mort pratiquée dans des conditions épouvantables, etc… persistera tant que l’Islam ne sera pas entré dans son siècle des Lumières (qui ne peut naître qu’en son sein), tant qu’il ne se sera pas affronté à un Spinoza intérieur. Ce n’est pas pour demain…

Propos recueillis par Marc Knobel

Notes :

1. Robert Redeker est membre du comité de rédaction des Temps modernes.