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Publié le 9 Novembre 2010

Roger Belbeoch, Juste des nations, nous a quittés

La Résistance décrit un engagement volontaire, au nom de valeurs supérieures, fondant des actions de lutte contre l’occupant ou ses collaborateurs et recourant à des pratiques de transgressions (François Marcot, Dictionnaire historique de la Résistance)



Roger Belbéoch, Combattant Volontaire de la Résistance, Juste parmi les Nations, ancien maire-adjoint de Joinville le Pont, est décédé le 5 novembre dernier.



Né le 26 juillet 1921 à Joinville le Pont où il sera inhumé vendredi 12 novembre à 14h, Roger Belbéoch a rejoint la résistance intérieure via le réseau Front national dès le printemps 1941.



Evidemment, l’appellation de ce réseau n’est ni de près ni de loin liée à celle du parti fondé par Jean-Marie Le Pen en octobre 1972. Le Front national de 1941 est issu d’un manifeste « Pour la formation d’un Front national de l’indépendance de la France » édité par le Parti communiste français en mai 1941 s’adressant « à tous ceux qui veulent agir en français, sauf les capitulards et les traîtres. » Ni un capitulard ni un traître, c’est peu de mots pour dire qui fut Roger Belbéoch mais cette définition par la négative déblaie autour de lui la multitude des comportements propres à la période de la collaboration et de l’occupation.



Elevé dans le souvenir de la grande guerre où son père Joseph Belbéoch, avait servi dans les tranchées mortelles, Roger Belbéoch fut très tôt éduqué à l’antifascisme. Membre de l’Association républicaine des Anciens Combattants, d’obédience communiste, présidée par Henri Barbusse, Joseph Belbéoch participe avec son fils à la contre manifestation anti-parlementaire du 6 février 1934.



« La guerre est arrivée et tout ce que j’avais prévu s’est effondré » disait Roger Belbéoch. Le « tout », le « prévu », c’était cette carrière sans éclat mais honnête dans l’administration des Postes, les PTT d’autrefois, au grand dam de ses parents qui ne comprirent pas que ce fils titulaire du brevet supérieur et apte à suivre des études se dirigea vers l’administration.



Mais à 21 ans, en 1942, alors qu’il est déjà résistant au sein du réseau Front national, il quitte l’administration des PTT pour la police judiciaire. Ce choix nous en dit bien plus sur la personne de Roger Belbéoch que la définition étriquée du « ni capitulard ni traître. » Harcelé par les autorités d’occupation pour remplir l’obligation du Service du Travail Obligatoire, Roger Belbéoch se confie à ses camarades résistants qui le font entrer dans la Police judiciaire et c’est ainsi qu’à 21 ans, il pénètre dans la cour du 36 quai des Orfèvres à Paris dans le seul but de continuer ses activités de résistance. Les contours de l’âme se précisent… Cet homme ne craint pas la gueule du loup.



Employé aux écritures, il est affecté rue du Rendez-vous dans un commissariat de police du 12ème arrondissement de Paris, où on lui remet en vrac cachets, documents, papiers et un registre des Juifs du secteur astreints à résidence surveillée. Chaque matin, ces juifs devaient signer le registre comme preuve de leur présence continue en ville, et le devoir du policier était d’informer les autorités hiérarchiques de ceux qui ne venaient pas.



Instantanément interpellé par cette procédure de surveillance inique, Roger Belbéoch en réfère à ses camarades de réseau. Décision est prise d’avertir chaque juif de l’arrestation et de la déportation qui le guette s’il ne fuit pas. Oui mais la signature quotidienne ? La preuve paraphée de la présence protège jusqu’à un certain point l’entourage immédiat du persécuté. Qui signera ? Roger Belbéoch. Certes, mais où fuir ? Et avec quelle aide ? Celle du réseau assure le fonctionnaire de Police. Voici, les lignes de son visage s’affermissent ; Roger Belbéoch est un homme défiant les règlements au risque de sa vie, un homme détaché des mouvements panurgiques, un homme qui manœuvre pour le maintien d’un ordre social contre le crime programmé de l’ordre établi.



Le risque était su, mesuré, assumé, et Roger Belbéoch pour qualifier son geste employait cette expression si forte par sa concision: il s’agissait de « rendre service aux Juifs. »



La fabrique de faux papiers complétait l’apposition des fausses signatures.



Mais derrière chaque homme il y a une femme, au moins.



Claudine Kauffman était juive, jeune, jolie peut-être, elle travaillait à la biscuiterie Gondolo de Maison Alfort et vivait à 200 mètres de chez Roger Belbéoch. Leur romance s’arrête net le 16 juillet 1942, lorsque la famille Kauffman est arrêtée par des gendarmes français. Roger Belbéoch des années plus tard exprimera ce désarroi au travers d’une colère polititque, républicaine : « C’est inadmissible ce genre de choses. Toute la question était là « on obéit aux ordres. » Mais dans des cas comme ceux-là on désobéit aux ordres, on reste des hommes, on n’est pas des mannequins, des robots, ce n’est pas parce qu’on vous ordonne d’aller arrêter cette personne que vous devez y aller. C’est là toute la différence entre ces gens là et moi. »



Alors enfin, on peut dire Roger Belbéoch: cet homme ne ressemble à personne.



Le 19 décembre 1985 Yad Vashem a décerné à Roger Belbéoch le titre de Juste des Nations.



Stéphanie Dassa



Photo : D.R.