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Publié le 3 Octobre 2007

Saadi : nous avons beaucoup à faire ensemble, et à apprendre l'un de l'autre

Richard Prasquier, président du CRIF avait rencontré le 1er juin Mustapha Saadi, président fondateur de la Coordination des berbères de France (CBF) jusqu’en 2006, cofondateur et directeur général de BTV (berbère télévision).


A la suite d’un échange chaleureux et instructif, nous avons souhaité en savoir plus sur la communauté berbère dont on estime être l’origine de plus de 2 millions de français.
Question - Vous avez créé en 2003 la Coordination des Berbères de France (CBF) ; une structure qui aujourd’hui se déploie sur l’ensemble de la France et fédère une soixantaine d’associations franco-berbères. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette initiative ?
Mustapha Saadi - Les franco berbères constituent la composante la plus ancienne de l’immigration contemporaine issue d’Afrique du Nord. Ils sont présents en France depuis 1870. De multiples facteurs historiques qu’il serait trop long de développer ici, ont ralenti leur intégration et empêché leur conscientisation en tant que citoyens français de culture berbère, malgré un attachement profond aux valeurs de la république ainsi qu’à leur culture et langue berbères reclus dans l’espace intime. Leur organisation dans le cadre associatif a donc mis du temps à s’affirmer.
Je dirai que l’apparition de la Coordination des Berbères de France, est en fait l’expression du dépassement de ce verrou historique et psychologique. Il s’agit d’une évolution significative dans le processus d’installation définitive en France, avec une population qui veut dorénavant vivre comme française sans se renier, sans se désintégrer ; bien au contraire en affirmant sa différence comme une particularité qui participe de la richesse du patrimoine national et de la diversité. S’en est ainsi terminé des multiples tiraillements ou influences, le réseau associatif franco berbère est clairement tourné vers l’avenir, c'est-à-dire une pleine implication dans la société française et ses enjeux, et la recherche de la valorisation et de la mise en visibilité de leurs apports légitimes au profit des valeurs de la République. Etre français et berbère à la fois, ne fait que renforcer la république en s’appuyant sur les valeurs multimillénaires de la civilisation berbère pour faire partager à ses enfants le sens du respect de l’autre, la laïcité et la liberté individuelle.
Enfin, il serait juste d’ajouter que le modèle d’intégration à la française a montré certaines limites. Les franco berbères en paient le prix, car ils ont totalement investi dans la promotion sociale et républicaine pour leurs enfants, en abandonnant leur culture et leur langue qu’ils vivaient comme contraire à leurs efforts d’intégration !
Aujourd’hui leurs enfants, quelquefois réussissent, mais aussi de plus en plus souvent sont confrontés à l’échec, au chômage, aux discriminations, en somme à une forme de fermeture de la société à leurs égards. La Coordination des berbères de France, c’est donc la volonté d’agir dans ce contexte, pour participer à la remise en route du modèle républicain, tout en valorisant et en transmettant une culture multimillénaire, qui est aussi comme les autres cultures du monde porteuse de sa part d’universalité
Q - Quels sont les liens historiques, politiques ou philosophiques entre les Berbères et les Juifs originaires d’Afrique du Nord ?
M. S. - Il serait peut-être plus juste de parler de partage : les Juifs s’étaient établis progressivement depuis la seconde moitié du premier millénaire avant notre ère en Afrique septentrionale et ils se sont intégrés aux Berbères en vivant avec eux toutes les péripéties, révoltes et révolutions de l’Histoire de cette région. On peut parler d’emprunts réciproques. D’une part, les Juifs ont adopté – en particulier dans les régions berbères du Maroc – le berbère comme langue de communication et l’ont même utilisé comme langue cultuelle jusqu’à leur récent départ massif vers Israël (ce qui a provoqué d’ailleurs la destruction de ces très anciennes communautés) : On a ainsi retrouvé des textes religieux juifs en berbère, écrits en caractères hébraïques. D’autre part, on suppose, en s’appuyant sur des sources fiables, que bon nombre de Berbères ont embrassé la religion juive entre le IIe et le IVe siècle, d’où l’appellation de Judéo-Berbères : Plusieurs patronymes juifs séfarades sont par ailleurs d’origine berbère.
Les liens sont anciens et profonds. Paradoxalement, voilà une dimension de l’histoire humaine et civilisationnelle de l’Afrique du Nord qui a été très et trop longtemps occultée par les histoires officielles de tous les Etats, par les historiens eux-mêmes. C’est dire combien il est des questions ou des domaines qui finissent par déranger des intérêts idéologiques et politiques, et ce, aux dépens de la vérité historique. J’observe d’ailleurs que même la diaspora juive issue de l’Afrique du Nord a elle-même mis un couvercle sur cette part de son identité et de son histoire. Par conséquent, c’est un chantier qui s’ouvre et qui est immense tant pour ce qui concerne l’Histoire, la Politique ou la Philosophie autant pour les Berbères que pour les Juifs.
Q - Comment définissez-vous la berbérité ?
M. S. - La berbérité, est une énigme dans l’histoire humaine si on ose dire. C’est un monde dont les historiens officiels ont toujours sous-estimé la place et le rôle. Ils l’ont souvent condamné à une disparition prochaine. Ce fût le cas par exemple des penseurs de la colonisation comme de la décolonisation, notamment en France. Contrairement à la manière dont on les caractérise trop souvent, les berbères ne sont ni une ethnie ni un seul peuple. C’est d’abord la cristallisation d’une culture et d’une langue, de valeurs et de représentations enrichies par les multiples brassages et métissages de l’Afrique du Nord. C’est une civilisation et une irruption du croisement. 8000 ans d’histoire qui échappe encore à la compréhension objective de nos esprits les plus cartésiens. Si je devais résumer et définir la berbérité, je dirai qu’il s’agit de l’attachement viscéral à la liberté (amazigh = homme libre) et au respect de l’autre et sa propre liberté.
Q – Est-il important pour vous de resserrer les liens avec la communauté juive ?
M. S. - C'est essentiel. Nous avons tous le devoir d'agir pour la cohésion sociale et nationale. Nous devons veiller à réduire les fausses représentations, à travailler ensemble pour que chacun trouve sa place dans la société. Ce sera notre manière de contribuer au renforcement de notre république, et au développement de relations harmonieuses. Oui, nous avons beaucoup à faire ensemble, et à apprendre l'un de l'autre et les uns avec les autres. C'est la vraie voie pour dépasser les blocages. « Peuple » d’ouverture depuis toujours, les berbères, comme ils ont accueilli la communauté juive pendant la re-conquista, ne peuvent ignorer une communauté avec laquelle ils ont fait un long chemin durant toutes les périodes de l’histoire.
Q- Comment envisagez-vous l’avenir des Berbères de France ?
M. S. - C’est un avenir prometteur. Il y a à peine quatre ans, l’écrasante majorité de nos compatriotes, y compris les élites de la République (au sens large), ignoraient ou méconnaissaient tout du fait berbère. Le mouvement de renaissance de la culture berbère et les valeurs qu’elles véhiculent finiront par faire tomber des obstacles et des à priori. Les Berbères de France seront des acteurs importants de la République au sens positif du terme.
Q - Quelle est votre conception de l’Islam et votre position sur l’islamisme ?
M. S. - C’est une conception sereine et harmonieuse. Nous sommes issus de sociétés, de culture dans lesquelles la religion est appréhendée comme une question individuelle, quand bien même elle peut revêtir une dimension collective par certains de ces aspects. C’est une relation personnelle d’amour à Dieu et un ensemble de règles morales qui viennent conforter les normes de la société berbère. C’est la raison pour laquelle, la religion n’est pas un problème ni un instrument politique. Un principe fondamental : « Tasnarexsa », la laïcité, distingue le spirituel du temporel. La religion n’intervient pas dans les affaires de la cité !
L’Islamisme est le mal qui pêche par ce côté ! C’est l’instrumentalisation de la religion à des fins politiques. Cependant, il n y a pas que les Islamistes qui instrumentalisent la religion. Dans tous les cas, c’est un discours dogmatique qui s’appuie sur la force et la violence. Ce n'est pas l'expression d'une des libertés à laquelle nous sommes attachées, à savoir la liberté de l'esprit, la liberté de croire. Nous devons lui opposer notre attachement aux valeurs de la république, et particulièrement à la laïcité.
Q - Quelle est votre vision du racisme et de l’antisémitisme en France ?
M. S. - C’est une vision nuancée et prudente. Les Français sont de nos jours ouverts à « l’autre », à l’étranger en dépit des politiques publiques restrictives. Nous ne pouvons pas dire qu’il y a une hostilité à l’égard de l’étranger. Mais en même temps, il existe un courant de xénophobie encore réel dans ce pays et les représentations ont la peau dure. Les discriminations sont une réalité dans notre pays.
En ce qui concerne l’antisémitisme, la situation est également complexe. Car il y a le « fond » antisémite de notre société et l’antisémitisme véhiculé par certaines populations issues de l’immigration. Nous avons connu une période extrêmement critique. Les faits et les actes à l’encontre de juifs de France ont nettement baissé mais le discours malveillant persiste même s’il n’a plus la même force.
Q - Comment améliorer cette situation ?
M. S. - La pédagogie, la prévention, l’échange et la connaissance mutuelle. Il faut combattre les idées reçues et les a priori. Il faut également empêcher les individus de s’enfermer dans des « communautés étanches ». Enfin, il faut poursuivre et punir ceux qui commettent ces actes.
Propos recueillis par David Gamrasni
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